Courrier des lecteurs

De la dépression

Publié le 03/02/2020

J’exerce à la campagne depuis trente ans. Je suis appelé par la fille d’une patiente de 86 ans car, me dit l’une de ses filles, « Colette ne va pas bien, elle dépérit »

À son chevet je constate les signes d’un fléchissement thymique en rapport avec des problèmes récurrents d’avec son fils qui vit au domicile maternel depuis la mort du mari. Aucun symptôme organique repérable. Si, à chaque visite mensuelle pour renouvellement de son traitement, Colette me fait part de la même problématique, l’entrée dans l’automne, contribue de façon significative à porter à son acmé ses troubles anxieux.

Je lui prescris une analyse sanguine qui s’avère sans particularité en regard de son âge, la revoie et lui évoque un probable « syndrome dépressif » lui prescris, avec une idée derrière la tête, un antidépresseur. Et un mois après :

- Ça va mieux Colette ?

- Beaucoup mieux !

- Vous avez pris le médicament que je vous ai signé* la fois dernière ?

- Non docteur… Car vous m’avez dit que j’étais sans doute dépressive.

C’était mon idée derrière la tête. On ne devient pas dépressive à 86 ans quand on habite la campagne… Par fierté, par orgueil, par humilité, pour rester le chef de clan, pour garder le seul statut qu’il nous reste de mater, si souvent dolorosa, mais jamais baisserlesbras… On laisse, tout en sachant qu’il existe et qu’il entraîne des suicides, cette pathologie à d’autres, qui ont sans doute, beaucoup plus de raisons de l’être.

Coup de mou, vague à l’âme, fléchissement thymique, creux de la vague, levée du pied gauche, chafouin, chonchon, irritable, ne se sentant bien nulle part, ne voulant fréquenter que des gens ayant la même problématique… Chaque jour, la vie nous convoque sur un circuit, alors que nous ne sommes équipés que pour rouler sur une route aux tourments qui font crisser les pneus de notre trajectoire.

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* À la campagne on dit signer du paracétamol, un onguent, un A.I.N.S… quand le médecin couche sur une ordonnance une prescription.

Dr Thierry Deregnaucourt Médecin généraliste, Sailly-en-Ostrevent (62)

Source : Le Quotidien du médecin