Dossier

Faut-il tout dire aux assurances ?

Par Camille Roux - Publié le 28/02/2020
Faut-il tout dire aux assurances ?


Olivier Le Moal/Adobe stock

Que faire lorsqu’un patient vous demande de remplir un formulaire de son assureur pour faire valoir ses droits ? Si le secret médical n’est pas opposable au patient, de nombreux généralistes font face à des compagnies parfois insistantes leur demandant, par l’intermédiaire de leurs assurés ou leurs ayants droit, de compléter des formulaires, certificats et autres questionnaires divulguant des informations médicales. Une situation que vous êtes nombreux à dénoncer.

« Le secret professionnel, institué dans l’intérêt des patients, s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi », précise l’article 4 du code de déontologie médicale. Certaines compagnies d’assurances tenteraient-elles de mettre à mal l’un des devoirs fondamentaux du médecin ? C’est ce que dénoncent de nombreux praticiens depuis des mois. Des assureurs demandent ainsi à leurs souscripteurs de solliciter leur médecin traitant afin d’obtenir des informations permettant de faire valoir leurs droits… Et jouent parfois avec les limites légales du secret médical. Sur legeneraliste.fr, 70 % des 177 généralistes ayant répondu à notre enquête affirment que des compagnies d’assurances leur ont déjà demandé des informations confidentielles sur leurs patients. Même si la Fédération française de l’assurance (FFA) assure avoir mis en place des garde-fous.

Multiplication des signalements

Le Dr Michaël Rochoy, généraliste à Outreau (Pas-de-Calais), a relancé le débat sur son compte Twitter le mois dernier. Agacé par les insistances de la société SMA auprès d’un de ses patients victimes d’un accident du travail, il a partagé le formulaire que le patient lui a demandé de remplir. Le document comportait notamment une ligne « Résumé de l’ensemble du passé médical (antécédents distincts de l’affection justifiant l’arrêt de travail) ». « Sous couvert d’un accident de travail, il faut révéler tous les antécédents, signer, tamponner ? », s’indigne le Dr Rochoy sur le réseau. Sur son blog, il a ainsi partagé un courrier type à envoyer aux assurances dans lequel il rappelle la loi (voir encadré). Il affirme avoir déjà envoyé ce courrier à plusieurs assureurs, comme Aviva, CBP/Generali Vie, Lamie mutuelle ou encore Carcept Prev. Son partage d’expérience a amené d’autres généralistes à témoigner. Le twitto @DocAlban56 a partagé en réponse un formulaire de CNP assurances fourni par l’un de ses patients, demandant au médecin traitant des éléments sur pas moins de cinq années de suivi. « C’est un éternel problème, car d’un côté nous n’avons pas et nous ne devons pas les remplir et de l’autre, nous mettons en difficulté les patients pour obtenir leurs droits, réagit un autre praticien. On se retrouve en porte-à-faux ».

Demandes abusives

Avant le Dr Rochoy, d’autres avaient déjà signalé ce qu’ils considèrent comme des demandes abusives. Il y a un an, un autre généraliste, le Dr Adrian Combot, installé à Lannilis (Finistère), partageait son expérience avec la banque-assurance Socram et s’indignait que la société lui demande de fournir des informations confidentielles au sujet d’un patient décédé, sans lesquelles la société refusait de débloquer les fonds destinés aux ayants droit. Sans ces informations, la famille du défunt continuait de verser ses mensualités à l’assurance. « Je souhaite que la famille de monsieur P. ne soit pas plus longtemps pénalisée de façon illégale par vos décisions », mettait-il en garde dans le courrier adressé à la compagnie et partagé sur Twitter. Dans sa lettre, le praticien rappelait à l’assureur que le médecin traitant n’est pas habilité, au regard de la loi, « à renseigner aux assurances des informations couvertes par le secret médical ». Là encore, le praticien n’était visiblement pas le seul à être confronté à cette problématique, et son courrier avait à l’époque été partagé plus de 60 fois.

En mars dernier, un autre omnipraticien répondant au pseudo @VFK2A s’en prenait à une société de courtage qui exigeait d’une patiente une attestation médicale du médecin traitant à la suite d’un arrêt maladie. L’omnipraticien ayant une première fois refusé, la relance de la société auprès de son assurée était sans appel. « À défaut de production de ce document, l’assureur ne pourra procéder à l’examen de la demande d’indemnisation », précisait le courrier. Il n’en fallait pas plus pour rendre furieux le généraliste, qui avait alors répondu dans un courrier salé à l’assureur : « Il n’y a pas de secret médical partagé entre le médecin d’assurance et le médecin traitant, je n’ai pas à remplir un quelconque certificat médical ».

Souvent interpellé, l’Ordre tarde à agir

Finalement, les situations dans lesquelles les compagnies demandent des informations au médecin traitant par l’intermédiaire de ses souscripteurs sont très diverses. Mais tous les exemples partagés par les médecins sur la toile semblent pouvoir entraîner ce que les praticiens conçoivent comme des abus. Il peut s’agir de certificats pour la mise en œuvre d’un contrat (incapacité de travail, invalidité), de questionnaires santé à remplir en vue d’une souscription à un contrat ou encore de documents post-mortem pour les ayants droit dans le cadre d’une assurance décès. Face à ces pratiques, les conseils départementaux de l’Ordre des médecins (CDOM) sont unanimes. « Il n’appartient en aucun cas au médecin traitant du salarié de remplir, signer ou contresigner le questionnaire de santé ou le certificat médical détaillé », ont-ils répondu aux praticiens ayant lancé l’alerte. Mais le Dr Rochoy déplore que le Conseil national « n’engage pas d’action contre des gens qui bafouent le secret médical ».

Contactée par Le Généraliste, la présidente de la section éthique et déontologie du Cnom, le Dr Anne-Marie Trarieux, affirme au contraire avoir pleinement conscience de cette préoccupation quotidienne des médecins. « Nous recevons très régulièrement des appels, des mails ou des courriers sur le sujet », précise-t-elle. La psychiatre de formation rappelle que l’Ordre a mis à jour en décembre 2019 son rapport Questionnaires de santé, certificats et assurances, afin de répondre aux interrogations des généralistes. « Les choses devaient être revues, clarifiées voire évoluer sur certains points législatifs. Nous avons rencontré les représentants des assurances, qui se sont engagés à tenir compte de ce nouveau cadre. Notre volonté était d’en faire un guide pratique, auquel le médecin généraliste puisse se référer », explique-t-elle. L’Ordre se donne ainsi « six mois » pour évaluer l’impact de ce nouveau guide et faire le point avec les assureurs. « Nous ne pouvons pas exclure que les assurances essaient parfois de se simplifier la vie et d’obtenir les renseignements dont ils ont besoin. Mais aujourd’hui, pour moi, il est encore tôt pour dire si ces travaux ont porté leurs fruits. Il nous faut un temps d’appropriation et d’évaluation », souligne-t-elle. L’Ordre invite aussi les praticiens à signaler les demandes abusives au Cnom afin d’enrichir cette évaluation dans les prochains mois.

En attendant cette échéance, le Dr Rochoy poursuit son combat. Il a adressé un courrier au procureur de la République pour demande d’avis mais n’a pas, à ce jour, reçu de réponse. « Les assurances font des contrôles (parfois) a priori et (toujours) a posteriori. Ce dernier est illégal, en plus d’être immoral. Il part du principe que tout client de l’assurance est fraudeur jusqu’à preuve du contraire à leur apporter. Dans tous les cas, il n’y a aucune place pour le médecin dans tout ça », conclut-il.

Dossier réalisé par Camille Roux