THE LANCET
Amitriptyline à faible dose titrée en deuxième ligne de traitement du syndrome du côlon irritable (Atlantis) : un essai randomisé en double insu versus placebo en médecine générale
Amitriptyline at Low-Dose and Titrated for Irritable Bowel Syndrome as Second-Line Treatment in primary care (Atlantis) : a randomised, double-blind, placebo controlled, phase 3 trial
Ford AC, Wright-Hugues A, Alderson SL, & al.
CONTEXTE
Le syndrome du côlon irritable, ou Irritable Bowel Syndrome (IBS) en anglais (autrefois appelé « colopathie spasmodique ») est défini par l’association de douleurs abdominales récurrentes et de modifications de la fréquence et/ou de la consistance des selles (1). La prévalence de ce syndrome chronique, souvent considéré comme « psychosomatique » dans les pays latins, est de 5 à 10 % dans la population générale (2). Sa physiopathologie n’est pas bien connue. Dans sa forme sévère, il a un fort impact sur la qualité de vie des patients (3). Il n’est pas curable et son traitement de première ligne (4) est symptomatique (diététique, antispasmodiques, régulateurs du transit intestinal, etc.) avec une efficacité modeste (5, 6). Enfin, la grande majorité de ces patient(es) est prise en charge en médecine générale (7).
OBJECTIF
Évaluer l’efficacité et la tolérance de l’amitriptyline (Laroxyl) à faible dose titrée versus placebo chez des patients souffrant d’un IBS selon les critères de Rome IV (8) et insuffisamment soulagés par les thérapeutiques de première ligne.
MÉTHODE
Essai randomisé en double insu comparatif versus placebo conduit dans 55 cabinets de médecine générale anglais. Pour être éligibles, les patients devaient être âgés de 18 à 60 ans et souffrir d’un syndrome de l’intestin irritable selon les critères de Rome IV (8) insuffisamment soulagé par un ou plusieurs médicaments de première ligne préconisé(s) par le National Institute for Health and Care Excellence (NICE). Par ailleurs, les patients devaient avoir un score de sévérité de la maladie (IBS-SSS) ≥ 75 points. Le score IBS-SSS (8) est une échelle d’évaluation des symptômes qui explore cinq domaines et est coté par le patient de 0 à 500 (plus le score est élevé, plus les symptômes sont sévères). La différence minimale cliniquement pertinente sur cette échelle est de 35 points (9).
Les possibles causes organiques des symptômes ont été écartées par les examens complémentaires appropriés. Les patients inclus ont été randomisés (avec leur consentement) pour recevoir 1 à 3 comprimés à 10 mg d’amitriptyline/jour (titrés en trois semaines selon la tolérance clinique) ou 1 à 3 comprimés de placebo pendant six mois (groupe témoin). Ils ont tous reçu les conseils diététiques et de mode de vie préconisés par le NICE (10).
Le critère de jugement principal (CJP) était le score IBS-SSS à 6 mois. Le critère secondaire clé était l’évolution des symptômes à six mois mesurée avec une échelle subjective d’évaluation globale (SGA). Les autres critères secondaires étaient nombreux mais leurs résultats sont à considérer comme exploratoires car l’analyse statistique n’a pas été hiérarchisée. L’analyse sur le CJP a été faite en intention de traiter, avec imputation multiple des données manquantes, à l’aide d’un modèle de régression linéaire ajusté sur le score IBS-SSS à l’inclusion. Pour démontrer une différence d’au moins 35 points sur l’IBS-SSS entre les deux groupes à six mois, avec une puissance de 90 % et un risque alpha = 5 %, il fallait inclure 414 participants.
RÉSULTATS
Entre octobre 2018 et avril 2022, 15 672 sujets potentiellement éligibles ont été invités à participer à l’essai. 1 253 ont répondu positivement et ont été évalués au regard des critères d’inclusion et de non-inclusion et 463/1 253 (37 %) ont été randomisés : 232 dans le groupe amitriptyline et 231 dans le groupe témoin. À l’inclusion, les caractéristiques démographiques et médicales des patients étaient similaires dans les deux groupes. La moyenne d’âge était de 48,5 ans et 68 % étaient des femmes. Le score IBS-SSS moyen à l’inclusion était de 273 points, avec 13,5 % de patients souffrant d’un IBS léger (IBS-SSS = 75-174 points), 43,5% d’un IBS modéré (175-299) et 41,5 % d’un IBS sévère (300-500). L’ancienneté moyenne du diagnostic d’IBS était de 10 ans. Tous les patients avaient reçu des conseils diététiques, des médicaments de première ligne, et 78,5 % des antispasmodiques.
À six mois, l’analyse a été faite sur 401 patients : 88 % du groupe traité et 85 % du groupe placebo (imputation multiple des données manquantes). Toujours à six mois, 43 % des patients prenaient 30 mg d’amitriptyline dans le groupe traité et 57 % 30 mg de placebo dans le groupe témoin.
Sur le CJP, le score IBS-SSS a diminué de 99,2 points dans le groupe traité et de 68,9 points dans le groupe témoin, soit une différence absolue entre les groupes de 27 points (IC95 = -46,9 ; -7,1), p = 0,0079. Sur le critère secondaire clé (non hiérarchisé), une réduction « sensible » de l’intensité des symptômes mesurée par le SGA a été signalée par 61 % des patients dans le groupe traité vs 45 % dans le groupe témoin : odds ratio (OR) = 1,78 ; IC95 % = 1,19-2,66, p = 0,005.
En termes d’effets indésirables mesurés à six mois chez les patients toujours sous traitement, il y en a eu davantage dans le groupe amitriptyline. Ils étaient principalement liés aux effets anticholinergiques connus des tricycliques : bouche sèche (53 % et 37 %), somnolence (53 % et 34 %), troubles urinaires (22 % et 13 %) et visuels (17 % et 9 %) dans les groupes traité et témoin respectivement.
COMMENTAIRES
À la suite des résultats prometteurs mais non convaincants d’un ancien petit essai iranien (11), Atlantis a été conduit et financé à l’initiative du NICE qui souhaitait valider (ou non) l’efficacité des antidépresseurs tricycliques sur les symptômes de l’IBS en médecine générale (12).
Mis à part l’absence d’analyse hiérarchisée sur les critères secondaires, cet essai méthodologiquement bien conçu était pertinent pour la médecine générale.
Cependant, Atlantis illustre également un concept pertinent souvent passé sous silence dans les publications scientifiques tant les yeux des chercheurs (et des lecteurs) sont polarisés sur la valeur de p. Pour les Anglo-Saxons, ce concept s’appelle MCID (Minimal Clinically Important Difference) ou différence minimale cliniquement pertinente en français.
Dans Atlantis, la MCID sur le CJP était définie dans l’échelle IBS-SSS, soit 35 points (9). La différence attendue au protocole était également de 35 points, ce qui n’est pas un hasard. Le résultat sur le CJP était statistiquement significatif mais la différence absolue était seulement de 27 points, soit très inférieure à la MCID. Autrement dit, l’amitriptyline réduit significativement la sévérité des symptômes de l’IBS mais les patients ne vont pas mieux. Il est probable que le fort effet placebo observé dans le groupe témoin (-68,9 points) explique en partie ce demi-échec. Enfin, il est judicieux de se demander si ce qui a été observé était lié à l’effet de l’amitriptyline sur des éléments dépressifs infracliniques (fréquents dans cette pathologie) ou sur sa capacité à ralentir le transit intestinal, ce qui ferait de cet effet secondaire un effet désirable.
En pratique quotidienne, compte tenu des effets indésirables anticholinergiques plus fréquents dans le groupe amitriptyline et de la différence non pertinente (même si statistiquement significative) en termes d’efficacité clinique entre les deux groupes, il n’est pas certain que prescrire 10 à 30 mg/jour d’amitriptyline aux patients souffrant d’IBS soit une bonne idée. Cependant, il n’est pas interdit d’essayer une fois que l’AMM sera (éventuellement) octroyée dans cette indication.
Docteur Santa Félibre, généraliste enseignant
BIBLIOGRAPHIE :
1. Ford AC, Sperber AD, Corsetti M, Camilleri M. Irritable bowel syndrome. Lancet 2020;396:1675-88.
2. Oka P, Parr H, Barberio B, Black CJ, Savarino EV, Ford AC. Global prevalence of irritable bowel syndrome according to Rome III or IV criteria : a systematic review and meta-analysis. Lancet Gastroenterol Hepatol 2020;5:908-17.
3. Buono JL, Carson RT, Flores NM. Health-related quality of life, work productivity, and indirect costs among patients with irritable bowel syndrome with diarrhea. Health Qual Life Outcomes 2017;15:35.
4. Vasant DH, Paine PA, Black CJ, et al. British Society of Gastroenterology guidelines on the management of irritable bowel syndrome. Gut 2021;70:1214-40.
5. Black CJ, Yuan Y, Selinger CP, & al. Efficacy of soluble fiber, antispasmodic drugs, and gut-brain neuromodulators in irritable bowel syndrome: a systematic review and network meta-analysis. Lancet Gastroenterol Hepatol 2020;5:117-31. 17
6. Black CJ, Staudacher HM, Ford AC. Efficacy of a low FODMAP diet in irritable bowel syndrome: systematic review and network meta-analysis. Gut 2022;71:1117-26.
7. Thompson WG, Heaton KW, Smyth GT, Smyth C. Irritable bowel syndrome: the view from general practice. Eur J Gastroenterol Hepatol 1997;9:689-92.
8. Mearin F, Lacy BE, Chang L, & al. Bowel disorders. Gastroenterology 2016;150:1393-407.
9. Everitt H, Moss-Morris R, Sibelli A, & al. Management of irritable bowel syndrome in primary care: the results of an exploratory randomised controlled trial of mebeverine, methylcellulose, placebo, and a self-management website. BMC Gastroenterol 2013;13:68.
10. British Dietetic Association. Irritable bowel syndrome and diet. https://www.bda.uk.com/resource/irritable-bowel-syndrome-diet.html.
11. Vahedi H, Merat S, Momtahen S, & al. The effect of amitriptyline in patients with diarrhea-predominant irritable bowel syndrome. Aliment Pharmacol Ther 2008;27:678-84.
12. Hookway C, Buckner S, Crosland P, Longson D. Irritable bowel syndrome in adults in primary care: summary of updated NICE guidance. BMJ 2015;350:h701.
Liens d'intérêts : L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts relatif au contenu de cet article
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