Étude & pratique

Apnées du sommeil : quel impact de la ventilation sur la mortalité ?

Publié le 06/06/2025
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Si l’efficacité de la ventilation à pression positive nocturne sur l’index d’apnée-hypopnée, la somnolence diurne, et la qualité de vie est bien documentée, son bénéfice en termes de mortalité totale et cardiovasculaire est moins établi. Une publication du « Lancet Respiratory » portant sur toutes les études disponibles, randomisées ou non, met en évidence un bénéfice. Cependant, ce résultat positif repose essentiellement sur les études non randomisées, la méta-analyse des essais randomisés n’étant pas concluante.

En France, environ un million de patients bénéficient d’un traitement par ventilation à pression positive nocturne

En France, environ un million de patients bénéficient d’un traitement par ventilation à pression positive nocturne

Ventilation à pression positive nocturne et mortalité totale et cardiovasculaire chez les patients atteints d’apnées du sommeil : revue systématique et méta-analyse des essais randomisés et des études non-randomisées ajustées sur leurs facteurs confondants
Positive airway pressure therapy and all‐cause and cardiovascular mortality in people with obstructive sleep apnoea: a systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials and confounder-adjusted, non-randomised controlled studies
Benafield AV, Pepin JL, Cistulli PA et al.
Lancet Respir Med 2025;13:403-13.
https://doi.org/10.1016/S2213-2600(25)00002-5

CONTEXTE

Les apnées obstructives du sommeil (AdS) sont particulièrement fréquentes chez les sujets en surcharge pondérale (47 % des Français) ou obèses (17 %) (1). En France, le taux de patients atteints d’AdS est estimé à 4 % (2), et environ un million d’entre eux (3) bénéficient d’un traitement par ventilation à pression positive nocturne (VPPN). Au-delà de l’inconfort clinique respiratoire hypo-xémique que les AdS peuvent provoquer, les études observationnelles et leurs méta-analyses ont suggéré qu’elles étaient statistiquement corrélées à une augmentation de la mortalité totale et des événements cardiovasculaires, dont la mortalité (4, 5). À l’inverse, les résultats des essais cliniques randomisés (ECR) étaient inconsistants sur l’effet de la VPPN sur la mortalité totale et cardiovasculaire (MCV). De plus, un rapport de l’Agency for Healthcare Research and Quality étatsunienne publié récemment (6) stipulait que la VPPN ne réduisait pas la mortalité totale : HR = 0,89 ; IC 95 % = 0,66-1,21, ni les évènements cardiovasculaires (ECV) graves : HR = 0,99 ; IC 95 % = 0,64-1,53.

Pour traiter les AdS, la VPPN est le traitement le plus utilisé dans le monde et elle est largement recommandée (7,8) car elle réduit significativement l’index apnée-hypopnée nocturne, la somnolence diurne, et améliore la qualité de vie (9). Cependant, ses effets sur la mortalité totale, et la MCV restent incertains (10,11).

OBJECTIF

Démontrer que l’ensemble des études publiées, randomisées ou non (y compris les abstracts sélectionnés pour les congrès) confirment l’efficacité de la VPPN sur la réduction de la mortalité totale et cardiovasculaire.

MÉTHODE

Revue systématique de la littérature incluant des études observationnelles ayant des résultats ajustés sur leurs facteurs de confusion et les essais randomisés d’une durée ≥ 1 an. Les deux types d’études devaient avoir pour critère de jugement la mortalité totale et/ou cardiovasculaire liée à la VPPN versus pas de traitement, ou VPPN placebo. L’outil Cochrane Rob 2 (12) a été utilisé pour évaluer les risques de biais des ECR et le Newcastle Ottawa Scale (13) pour mesurer la qualité scientifique des études non randomisées (échelle cotée de 1 à 9 dans laquelle plus le chiffre est élevé, plus le risque de biais est important).

Les critères de jugement de ce travail étaient la mortalité totale et cardiovasculaire. Par ailleurs, chaque type méthodologique (randomisé et non randomisé) a bénéficié d’une analyse préspécifiée en sous-groupe, puis les résultats des deux types d’études ont été fusionnés pour une méta-analyse en régression multivariée. Pour chaque critère de jugement, chaque groupe méthodologique, et leur fusion, les résultats sont présentés en Hazard Ratio (HR) avec un intervalle de confiance à 95 % (IC 95 %).

RÉSULTATS

La recherche bibliographique a identifié 5 484 publications (y compris les abstracts des congrès internationaux). Parmi celles-ci, 435 ont été évaluées pour éligibilité et 30 ont été retenues pour la revue systématique avec méta-analyses car elles remplissaient tous les critères d’inclusion. Au total, 10 ECR et 20 études observationnelles ont été sélectionnés.

Sur ces 30 études, 10 ECR (5 885 participants) et 17 études observationnelles (1 166 471 participants) traitaient de la mortalité totale. Pour la MCV il y avait 6 ECR (5 223 participants) et 5 études de cohortes (20 559 patients).

Pour le critère mortalité totale, les caractéristiques des populations incluses n’étaient pas comparables entre les ECR et les études observationnelles en termes de durée de suivi (3 ans vs 5,8), de répartition des sexes féminin et masculin, et de durée de traitement nocturne dans les populations recevant une VPPN (3,6 heures vs 6,0). Il en était de même pour le critère mortalité cardiovasculaire, sauf pour la répartition des sexes qui était comparable (p = 0,58). Quatre des 10 ECR étaient à faible risque de biais, 3 à risque modéré et 3 à haut risque. Pour les 20 études non randomisées, 3 étaient à faible risque de biais, 11 étaient à risque modéré et 6 à haut risque. Enfin, en termes d’observance de la durée de VPPN rapportée par les patients, il n’y avait pas de différence significative entre les ECR et les études observationnelles pour les 2 critères de mortalité.

En agrégeant les résultats de toutes les études sélectionnées (quelle qu’en soit la méthode), les auteurs concluaient que la VPPN réduisait la mortalité totale de 37 % (en relatif) : HR = 0,63 ; IC 95 % = 0,56-0,72 et la mortalité cardiovasculaire de 55 % :HR = 0,45 ; IC 95 % = 0,29-0,72.

Cependant, les analyses en sous-groupes préspécifiés par type méthodologique montraient que :

– Pour la mortalité totale, aucun des 10 ECR sélectionnés pour ce critère, ni leur méta-analyse (HR = 0,87 ; IC 95 % = 0,65-1,16) ne montrait de bénéfice significatif de la VPPN, alors que 14 études non randomisées sur 17 (83,2 %) et leur méta-analyse en montraient un : HR = 0,60 ; IC 95 % = 0,52-0,70.

– Pour la mortalité cardiovasculaire, aucun des 6 ECR sélectionnés pour ce critère, ni leur méta-analyse (HR = 0,87 ; IC 95 % = 0,43-1,41) ne montrait de bénéfice significatif de la VPPN, alors que toutes les études non randomisées (100 %) et leur méta-analyse en montraient un : HR = 0,35 ; IC 95 % = 0,21-0,58.

Les analyses de sensibilité excluant les effectifs les plus importants de chaque type méthodologique ont « confirmé » ces résultats.

COMMENTAIRES

La lecture de cet énorme travail bibliographique et biostatistique mené par des pneumo-somnologues australiens, français et étatsuniens soulève la question de leur réel objectif. Certes, en plus de leur expérience clinique, ils disposent de preuves scientifiques solides de l’efficacité de la VPPN sur des critères intermédiaires : nombre d’apnées-hypoxémies par heure de sommeil, somnolence diurne et qualité de vie (9, 10), mais aucune preuve randomisée tangible sur des critères cliniquement plus pertinents et importants pour les patients comme la mortalité totale et cardio-vasculaire (10, 11).

Ils se sont donc dit qu’en agrégeant les résultats des études observationnelles ajustées sur leurs facteurs confondants et les essais randomisés à l’aide d’une procédure bio-statistique relativement peu académique, il était possible de démontrer que la VPPN réduisait les mortalités totale et CV. Le résultat est un peu comme une salade de fruits qui mélangerait fraises, concombres, melon, framboises, poivrons, etc. : jolie à première vue, mais au goût pas toujours très agréable.

Même si la conclusion de ce travail est en faveur de la VPPN sur les deux critères de jugement choisis et qu’elle peut séduire d’autres pneumo-somnologues (14), il n’en reste pas moins qu’aucun essai randomisé ni leur méta-analyse (10, 11) n’ont démontré l’efficacité de la VPPN sur les mortalités totale et cardiovasculaire.

Cette situation est probablement liée à une puissance insuffisante des essais et comme la VPPN est bien installée dans les pratiques, il est peu vraisemblable qu’un nouvel essai randomisé de bonne qualité voit le jour.

Bibliographie

(1) INSERM. Obésité et surpoids : près d’un Français sur deux concerné. État des lieux, prévention et solutions thérapeutiques. 2023
(2) INSERM. Syndrome d’apnées du sommeil. 2024
(3) Caisse d’assurance maladie des travailleurs salariés. Le traitement par PCC. 2021
(4) Heilbrunn ES, Ssentongo P, Chinchilli VM, Oh J, Ssentongo AE. Sudden death in individuals with obstructive sleep apnoea: a systematic review and meta-analysis. BMJ Open Respir Res 2021;8:e000656
(5) Marin JM, Carrizo SJ, Vicente E, Agusti AG. Long-term cardiovascular outcomes in men with obstructive sleep apnoea-hypopnoea with or without treatment with continuous positive airway pressure: an observational study. Lancet 2005;365:1046–53
(6) Balk EM, Adam GP, Cao W, et al. Long-term health outcomes in obstructive sleep apnea: a systematic review of comparative studies evaluating positive airway pressure and the validity of breathing measures as surrogate outcomes. Technology Assessment Program (project ID SLPT0919) for the Agency for Healthcare Resarch and Quality. 2022
(7) Sullivan CE, Issa FG, Berthon-Jones M, Eves L. Reversal of obstructive sleep apnoea by continuous positive airway pressure applied through the nares. Lancet 1981;1:862-5
(8) Patil SP, Billings ME, Bourjeily G, et al. Long-term health outcomes for patients with obstructive sleep apnea: placing the Agency for Healthcare Research and Quality report in context-a multisociety commentary. J Clin Sleep Med 2024;20:135-49
(9) Gay P, Weaver T, Loube D, Iber C, et al. Evaluation of positive airway pressure treatment for sleep related breathing disorders in adults. Sleep 2006;29:381-401
(10) McEvoy RD, Antic NA, Heeley E, et al. CPAP for prevention of cardiovascular events in obstructive sleep apnea. N Engl J Med 2016;375:919-31
(11) Yu J, Zhou Z, McEvoy RD, et al. Association of positive airway pressure with cardiovascular events and death in adults with sleep apnea: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2017;318:156-66 
(12) Sterne JAC, Savović J, Page MJ, et al. RoB 2: a revised tool for assessing risk of bias in randomised trials. BMJ 2019;366:l4898
(13) Wells GA, Shea B, O’Connell D, et al. The Newcastle–Ottawa Scale (NOS) for assessing the quality of non-randomised studies in meta-analyses
(14) Zhang Y, Sommers VK, Tang X. Positive airway pressure and all-cause and cardiovascular mortality in people with obstructive sleep apnoea. Lancet 2025;13:373-4

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt relatif au contenu de cet article

Docteur Santa Félibre, Généraliste Enseignant

Source : Le Quotidien du Médecin