Cardiovasculaire

INSUFFISANCE CARDIAQUE ET RÉGIME PAUVRE EN SEL

Publié le 30/05/2022
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La réduction de la consommation de sel est un des éléments du traitement de l’insuffisance cardiaque qui soulève encore certaines questions, en particulier sur l’apport optimal recommandé. Un essai randomisé comparatif en ouvert prétend qu’un régime inférieur à 1 500 mg/jour est sans effet chez des patients insuffisants cardiaques chroniques symptomatiques traités. Cependant, pour l’auteur de notre article, les conclusions de cette étude sont contestables.

Réduction de la consommation de sel à moins de 1 500 mg/jour dans l’insuffisance cardiaque (SODIUM-HF) : un essai randomisé comparatif international en ouvert
Reduction of dietary sodium to less than 100 mmol in heart failure (SODIUM-HF) : an international, open-label, randomised, controlled trial Ezekowitz JA, Colin-Ramirez E, Ross H, & al. Lancet 2022.

CONTEXTE

Au cours des cinquante dernières années, la prise en charge thérapeutique des patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique (ICC) a considérablement évolué. Elle est passée de l’association : régime sans sel strict + diurétique de l’anse + digitaline (1) à : inhibiteurs du système rénine-angiotensine (IEC ou ARA2 ou sacubitril/valsartan) + bêtabloquant + anti-aldostérone + gliflozines (2) ± dispositifs anti-arythmiques implantables. Aujourd’hui, les diurétiques de l’anse sont réservés aux patients symptomatiques en surcharge hydrique ou pour traiter d’une décompensation aiguë. De son côté, préconisé du bout des lèvres (2), le régime pratiquement sans sel souffre d’une littérature scientifique d’un niveau de preuve limité et hétérogène : il est considéré parfois bénéfique (3), parfois neutre (4) et même délétère (5).

OBJECTIF

Évaluer le bénéfice clinique d’une consommation de sel inférieure à 1 500 mg/j chez des patients atteints d’ICC symptomatique bien traités par ailleurs.

MÉTHODE

Essai randomisé comparatif pragmatique en ouvert ayant inclus des patients insuffisants cardiaques chroniques symptomatiques (classe II-III NYHA) traités selon les données scientifiques et recommandations les plus récentes. Ils ont été randomisés dans un groupe soumis à une diététique quotidienne comprenant moins de 1 500 mg de sel par jour (intervention) ou dans un groupe « prise en charge usuelle » conforme aux recommandations locales (témoin). Dans le groupe intervention, les patients choisissaient quotidiennement parmi six menus normocaloriques pauvres en sel (6) et disposaient de conseils fréquents prodigués par des diététiciens, des infirmiers et des médecins généralistes pendant 12 mois. Les consommations quotidiennes de sel ont été évaluées pendant 3 jours consécutifs tous les 3 mois dans le groupe intervention et tous les 6 mois dans le groupe témoin.

Le critère de jugement principal composite comprenait les hospitalisations pour causes cardiovasculaires, les visites aux urgences pour motifs cardiovasculaires et les décès quelle qu’en soit la cause survenant dans les 12 mois après la première intervention diététique. Pour compenser le caractère obligatoirement en ouvert de cet essai, chaque évènement du critère de jugement principal a été validé par un comité d’experts indépendants en insu du groupe alloué.

Les critères de jugement secondaires (non hiérarchisés) étaient chaque composant du critère principal, la qualité de vie mesurée par le Kansas City Cardiomyopathy Questionnaire (KCCQ), le test de marche de 6 minutes et l’éventuelle récursivité de classe NYHA. Il fallait inclure 992 patients pour démontrer une réduction relative de 30 % des évènements du critère principal dans le groupe intervention, sur la base d’une incidence de 25 % à 12 mois dans le groupe témoin, avec une puissance de 80 % (probabilité de démontrer la différence attendue si elle existe) et un risque alpha bilatéral (valeur de p) < 0,05 %. L’analyse statistique a été faite en intention de traiter à l’aide d’un modèle de Cox aléatoire. Les résultats sont présentés en hazard ratio (HR) avec un intervalle de confiance à 95 % (IC95).

RÉSULTATS

Sur les 841 patients initialement recrutés, 806 ont été randomisés : 397 dans le groupe intervention et 409 dans le groupe témoin. À l’inclusion, les principales caractéristiques des patients étaient similaires entre les groupes : âge médian = 67 ans, hommes = 66 %, hospitalisation pour IC dans les 12 mois précédents = 33 %, fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) médiane = 36,5 %, hypertension = 62 %, maladie coronaire = 46 %, fibrillation auriculaire = 40 %, pression artérielle systolique médiane = 118 mmHg, diastolique = 70 mmHg, diabète de type 2 = 35 %, dispositifs implantables = 40 %, traitement médicamenteux de l’ICC optimisé = 87 %.

Au cours des 12 mois de suivi, la consommation moyenne de sel est passée de 2 286 à 1 658 mg/j (- 628 mg) dans le groupe intervention et de 2 119 à 2 073 mg/j (- 146 mg) dans le groupe témoin (différence absolue entre les groupes = 0,42 g/j). À 12 mois, il y a eu 60/397 évènements du critère principal (15,1 %) dans le groupe intervention versus 70/409 (17,1 %) dans le groupe témoin : HR = 0,89 ; IC95 = 0,63-1,26, p = 0,53. Il n’y a pas eu de différence significative non plus sur chacun des composants du critère principal, même si la mortalité totale a été plus élevée (mais non significative) dans le groupe intervention : 22 (6,0 %) versus 17 (4,3 %), HR = 138 ; IC95 = 0,73-2,60. Compte tenu du caractère en ouvert de l’essai, les résultats sur les questionnaires de qualité de vie (KCCQ) remplis par les patients ne sont pas interprétables. Enfin, il n’y a pas eu d’effet significatif de l’intervention sur le test de marche de 6 minutes (critère objectif) : différence absolue = + 6,6 mètres ; IC95 = - 9 ; +22, p = 0,41.

Au total, les auteurs concluent que réduire drastiquement la consommation de sel (< 1 500 mg/j) des patients insuffisants cardiaques chroniques symptomatiques dont le traitement est optimal n’apporte aucun bénéfice clinique.

COMMENTAIRES

Une lecture et une analyse rapides de cet essai pourraient conduire à la même conclusion que celle des auteurs. Cependant, les choses ne sont pas si simples. En réalité, les résultats de cet essai ne permettent pas de conclure dans un sens ou dans un autre pour au moins quatre raisons :

1. La différence absolue moyenne de consommation de sel entre les deux groupes (un peu moins de la moitié d’un gramme par jour) est potentiellement trop faible pour avoir un impact clinique.

2. Une durée de suivi de 12 mois est probablement insuffisante pour observer la différence attendue entre les deux groupes (7).

3. Le taux d’évènements du critère de jugement principal à 12 mois dans le groupe témoin a été très inférieur à ce qui avait été estimé (effet étude habituel).

4. La dernière (bien plus importante) est qu’en ayant inclus seulement 806 des 922 patients nécessaires à la démonstration valide du bénéfice attendu, la puissance de l’essai (risque ß = probabilité de démontrer la différence attendue si elle existe) est d’environ 65 %, ce qui est très largement inférieur au seuil minimal consensuellement accepté par les méthodologistes et les biostatisticiens (il est de 80 %). Autrement dit, le résultat négatif de SODIUM-HF n’est pas forcément lié à l’échec de l’intervention mais plus probablement à la puissance insuffisante de cet essai pour démontrer le bénéfice attendu.

Au total, SODIUM-HF ne permet pas de conclure à l’efficacité ou à l’absence d’efficacité d’une réduction stricte de la consommation de sel chez les patients ayant une ICC bien traitée. C’est plutôt une bonne nouvelle tant il est anorexigène et pénible pour ces patients (souvent âgés) d’être compliants. D’ailleurs, même dans cet essai randomisé avec des patients volontaires, un suivi régulier et un soutien solide, itératif et encourageant des professionnels de santé, les patients du groupe intervention ne sont pas parvenus à consommer moins de 1 500 mg/j (1 658 mg/j en moyenne).

En pratique et compte tenu de l’incertitude sur l’intérêt clinique d’un régime sans sel strict, il est préférable de s’en tenir aux recommandations (2). À savoir, une consommation modérée de sel (5 à 6 g/j) pour les patients insuffisants cardiaques chroniques. Enfin, il faut réserver la réduction stricte (et provisoire) de consommation de sel + diurétique de l’anse aux patients ayant une surcharge hydrique symptomatique et/ou une décompensation aiguë de l’insuffisance cardiaque.

Dr Santa Félibre, généraliste enseignant (Paris)

BILBLIOGRAPHIE
1. Stock RJ, Mudge GH, Nurnberg MJ. Congestive heart failure : variations in electrolyte metabolism with salt restriction and mercurial diuretics. Circulation 1951;4:54-69. https://doi.org/10.1161/01.CIR.4.1.54
2. 2021 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure. European Heart Journal 2021;42:3599-3726. https://doi.org/10.1093/eurheartj/ehab368
3. Song EK, Moser DK, Dunbar SB, & al. Dietary sodium restriction below 2 g per day predicted shorter event-free survival in patients with mild heart failure. Eur J Cardiovasc Nurs 2014;13:541-8. https://doi.org/10.1177/1474515113517574
4. Taylor RS, Ashton KE, Moxham T, & al. Reduced Dietary Salt for the Prevention of Cardiovascular Disease : A Meta-Analysis of Randomized Controlled Trials (Cochrane Review). Am J Hypertens 2011;24:843-53. https://doi.org/10.1038/ajh.2011.115
5. Doukky R, Avery E, Mangla A, & al. Impact of dietary sodium restriction on heart failure outcomes. JACC Heart Fail 2016;4:24-35. https://doi.org/10.1016/j.jchf.2015.08.007
6. Colin-Ramirez E, McAlister FA, Zheng Y, & al. The long-term effects of dietary sodium restriction on clinical outcomes in patients with heart failure. The SODIUM-HF : a pilot study. Am Heart J 2015;169:274-81. https://doi.org/10.1016/j.ahj.2014.11.013
7. Beck-da-Silva L, Rohde LE. Reduction of dietary sodium for heart failure : a step forward. Lancet 2022;399:1361-3. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(22)00457-3


Source : Le Généraliste