En France, les maladies cardio-vasculaires constituent la première cause de mortalité chez les femmes et la deuxième chez les hommes (après les cancers). Les dyslipidémies constituent un élément majeur du risque cardio-vasculaire (RCV) mais les recommandations de prise en charge françaises devenaient trop anciennes (2005) tandis que les guidelines internationales n'étaient pas extrapolables ou trop discordantes. La HAS propose donc une mise au point sous la forme de fiches mémos, avec quelques nouveautés.
QUI DÉPISTER ?
→ L’exploration d’une anomalie lipidique (EAL) est recommandée :
- chez les hommes > 40 ans,
- chez les femmes > 50 ans ou ménopausées,
- lors d’une prescription d’une contraception œstroprogestative,
- dans le cadre de l’évaluation du RCV global : maladie cardio-vasculaire documentée ; HTA ; diabète ; tabagisme en cours ou sevré depuis moins de 3 ans ; IMC ≥ 30 kg/m² ; tour de taille > 94 cm chez l’homme (> 90 pour les Asiatiques), > 80 cm chez la femme ; insuffisance rénale chronique à partir du stade modéré ; antécédents familiaux cardio-vasculaires précoces, antécédent familial de dyslipidémie ; maladie auto-immune, maladie inflammatoire chronique.
- Attention : après 80 ans, une EAL de dépistage n’est pas justifiée.
→ L’EAL doit comporter : cholestérol total (CT), LDL, HDL, TG. Une EAL coûte 7.02 euros. Le dosage de la lipoprotéine (a) ne doit pas être réalisé de manière systématique. Le prélèvement doit être réalisé après un jeûne de 12 heures.
→ En cas de normalité, la répétition de l’EAL plus d’une fois tous les 5 ans n’est pas justifiée, sauf évènement cardio-vasculaire intercurrent, augmentation du poids, modifications du mode de vie.
CHIFFRER LE RISQUE
C’est un des points sur lesquels la HAS insiste le plus : on ne traite pas un chiffre de LDL isolément. La prise en charge de la dyslipidémie ne peut s’inscrire que dans une approche globale.
Les facteurs de risque (FDR) semblent consensuels : hypercholestérolémie, HTA, diabète, tabagisme, antécédents familiaux…
Mais l’affaire se complique rapidement car chaque société savante a ses propres FDR, y compris au sein d’un même pays. Les experts européens ESC/EAS (European Society of Cardiology/European Atherosclerosis Society) rajoutent par exemple l’insuffisance rénale chronique modérée à sévère, tandis que les Britanniques du NICE (National Institute for health and Care Excellence) rajoutent les patients VIH traités, les malades psychiatriques sévères ou ceux ayant une maladie auto-immune. Les Canadiens de BCGuidelines.ca intègrent quant à eux des facteurs socio-économiques (revenus, emploi, niveau d’éducation) et psychosociaux (stress, dépression, anxiété). Le RCV ne se résume pas à la liste ou la somme des FDR : il doit être précisément quantifié au moyen d’outils validés.
L'outil SCORE est incontournable pour évaluer le risque CV
→ Pour ce faire, la HAS recommande l’outil SCORE (Systematic Coronary Risk Estimation) dont il existe une version interactive (en ligne ou à télécharger pour utilisation hors ligne, une application mobile ou des tables (voir encadré E1). Les tables sont moins précises que la version interactive car elles ne tiennent pas compte du HDL-c. De plus, il faut bien veiller, en France, à choisir la table « low risk » car la France se situe parmi les pays à bas risque de mortalité cardio-vasculaire.
→ L’outil SCORE quantifie la probabilité d’un décès cardio-vasculaire à 10 ans. Il a été conçu pour la prévention primaire, entre 40 et 65 ans. Il permet d’identifier 4 catégories de RCV. SCORE ne peut pas s’appliquer en cas de diabète, d’HTA ≥ 18/11, d’insuffisance rénale chronique à partir du stade modéré, ni en prévention secondaire.
Quatre niveaux de risque sont ainsi définis (voir tableau T1).
E1. Score, un outil pour la pratique
-Logiciel HeartScore® disponible sur le site de l’ESC (European Society of Cardiology) http://www.heartscore.org/fr_FR/access en ligne ou à télécharger (sur PC)
-Application mobile ESC POCKET GUIDELINES APP pour Apple et Android. Disponible sur https://www.escardio.org/Guidelines/Clinical-Practice-Guidelines/Guidel…
-Table SCORE : https://www.escardio.org/static_file/Escardio/Subspecialty/EACPR/Docume… (prendre « low risque » pour la France)
Cas particuliers
→ L’ESC recommande la prise en compte de l’ethnicité via un facteur de correction (seulement chez les immigrés de première génération) : Asie du Sud x1,4, Afrique subsaharienne, Caraïbes x1,3 Asie de l’Ouest x1,2, Afrique du Nord x0,9, Asie de l’Est, Amérique du Sud x0,7.
→ Chez les sujets jeunes avec FDR élevés, le RCV absolu estimé par SCORE est faible alors que le RCV relatif est élevé. Par exemple, un homme de 40 ans, fumeur, avec une TAS à 180 mmHg et un cholestérol total à 3,1 g/l aura un risque SCORE de seulement 2 % à 10 ans.
Deux stratégies peuvent permettre de sensibiliser ce patient à son RCV :
– soit utiliser la table de risque relatif (« relative risk charts », que l’on retrouve en bas de la table SCORE [C] (voir tableau T2) ;
– soit lui indiquer son « âge cardio-vasculaire » âge d’un patient sans facteur de risque, de même sexe, ayant le même risque absolu). Dans notre exemple, ce patient de 40 ans a un âge cardio-vasculaire
de 65 ans, puisqu’un homme de 65 ans sans autre facteur de risque a, de la même manière que lui, un risque absolu de 2 % !
MODIFIER LE MODE DE VIE : TOUJOURS
Les « règles hygiéno-diététiques » ont disparu : on parle maintenant de « modifications du mode de vie ». Cette nuance établit que les changements s’appliquent à tous en première intention, et qu’ils doivent être poursuivis même si les objectifs sont atteints « avec la conviction du prescripteur et celle du patient ».
→ La HAS modernise son discours et l’adapte au premiers recours : il s’agit bien d’éducation thérapeutique, débutant par un « diagnostic éducatif » : « Ce qu’il a ? Ce qu’il fait ? Ce qu’il sait ? Ce qu’il croit ? Ce qu’il est ? Ce qu’il ressent ? Ce dont il a envie ? Ce qu’il peut ? ». Il faut « négocier des objectifs simples et peu nombreux », tenant compte des préférences alimentaires de chaque patient. Les régimes excessivement restrictifs exposent à des déséquilibres voire des troubles de conduite alimentaires. En particulier, après 80 ans, les risques de dénutrition doivent faire renoncer aux restrictions alimentaires.
→ Les modifications visent à améliorer le profil lipidique mais également à participer à la réduction du RCV en tant que tel.
→ Pas de nouveauté concernant la diététique :
- promouvoir une alimentation « méditerranéenne », qui réduit les acides gras saturés d’origine animale (viande, fromage, beurre…) ou végétale (huile de palme, coprah, etc.) et les acides gras trans (viennoiseries, pâtisseries, biscuits). Cette alimentation met l’accent sur les acides gras insaturés d’origine animale (volaille…) et végétale (huile d’olive, de colza, soja, noix…) ;
- poisson 2-3 fois/semaine, dont au moins 1 fois du poisson gras (saumon, truite, hareng, sardine, maquereau) ;
- fruits et légumes : 5/jour soit 400 g ;
- les aliments riches en polyphénols et/ou antioxydants (fruits, légumes, thé, cacao, huile d’olive vierge et huiles non raffinées, soja) sont bénéfiques ;
- un apport en fibres d’au moins 30 g/j : céréales complètes, pain complet, légumes secs, avoine, orge…
- réduire les apports en sel, en évitant le régime désodé strict ;
- concernant l’alcool, les recommandations européennes de 2016 ESC/EAS sont plus contraignantes que les seuils de l’OMS : < 10 g/j pour les femmes et < 20 g/j pour les hommes), et abstinence pour les patients avec hypertriglycéridémie ;
- les produits laitiers ne sont PAS associés à une augmentation du RCV.
Les apports en cholestérol alimentaire (abats, foie, œuf...) ne sont pas associés à une augmentation du RCV mais doivent être modérés (< 300 mg/j) car ils augmentent modérément le cholestérol total et le LDL-c. à l’inverse, les aliments enrichis en phytostérols exercent un effet hypocholestérolémiant mais n’ont pas fait leurs preuves sur le RCV !
→ La HAS et l’ANSM mettent en garde sur les compléments alimentaires à base de levure rouge de riz, – lovastatine –, qui exposent à des effets secondaires similaires à ceux des autres statines. N’étant pas classés comme « médicaments », ces produits échappent aux contrôles.
→ En parallèle, il faut repérer et combattre la sédentarité, mais aussi encourager l’activité physique et sportive à tout âge. Les objectifs d’activité physique rejoignent ceux de l’Organisation mondiale de la santé, à savoir un exercice physique régulier ≥ 30 min la plupart des jours de la semaine, pour cumuler ≥ 150 min/sem d’activité d’intensité modérée, ou 75 min/sem d’activité aérobie d’intensité élevée, ou une combinaison équivalente des deux.
L'HYPERCHOLESTÉROLÉMIE ISOLÉE
La principale nouveauté tient au fait que les objectifs thérapeutiques ont désormais des valeurs équivalentes aux seuils d’intervention (voir tableau T3).
→ En cas de RCV faible à modéré, le traitement de 1re intention est une modification du mode de vie.
- Si l’objectif n’est pas atteint à 3 mois, un traitement peut être prescrit (généralement une statine).
- En cas d’objectif non atteint, il est recommandé d’intensifier le schéma thérapeutique (augmentation jusqu’à la dose maximale tolérée, substitution par une statine plus puissante).
- Si l’objectif cible n’est pas atteint avec la dose maximale tolérée de statine, une association d’une statine avec l’ézétimibe est recommandée, ou en dernier lieu une association avec la cholestyramine.
- En cas d’intolérance aux statines, il est recommandé d’utiliser l’ézétimibe, voire la cholestyramine.
→ Étant donné que les sujets âgés ont souvent des comorbidités et des capacités métaboliques altérées, il est recommandé de débuter un traitement hypolipémiant à faible dose, et d’adapter ensuite la posologie avec précaution pour atteindre des concentrations cibles de LDL-c identiques à celles des sujets jeunes.
→ Lorsque le risque est élevé ou très élevé, le traitement médicamenteux doit être prescrit d’emblée, en plus des modifications du mode de vie.
→ La place des anticorps monoclonaux anti-PCSK9 dans les hypercholestérolémies isolées reste à définir.
DYSLIPIDÉMIE MIXTE, HYPERTRIGLYCÉRIDÉMIE ISOLÉE
→ Si une hypertriglycéridémie majeure (TG > 10 g/l) justifie un avis spécialisé, la baisse des TG n’est pas l’objectif en soi du traitement, sauf s'ils sont ≥ 5 g/l, en raison du risque de pancréatite.
→ Dans la dyslipidémie mixte, l’objectif sur le LDL-c prime car les TG sont généralement < 5 g/l. En plus des modifications diététiques déjà mentionnées, l’accent doit être mis sur la réduction calorique (en cas d’excès de graisse abdominale), la limitation des glucides simples au profit d’aliments à index glycémique bas. La consommation de poissons gras doit être encouragée pour leur effet hypotriglycéridémiant propre. Les recos européennes ESC/EAS préconisent l’abstinence de consommation d’alcool.
→ En cas d’hyper-TG sévère (≥ 5 g/l), un fibrate sera nécessaire. Il est recommandé de tester la sensibilité individuelle par la réalisation d’un test d’abstinence de boissons alcoolisées sur 5 à 7 jours, puis aux glucides simples (glucose, fructose, saccharose, etc.) et complexes (pain, pomme de terre, etc.). En cas de négativité, il peut s’agir d’une sensibilité aux lipides qui peut justifier le recours aux TG à chaîne moyenne après avis spécialisé.
→ Les fibrates sont contre-indiqués en cas d’insuffisance rénale chronique ainsi qu’avec la rosuvastatine ≥ 40 mg. Le gemfibrozil est contre-indiqué en association avec la simvastatine, et déconseillé avec les autres statines.
SUIVI DU TRAITEMENT
→ Une EAL est recommandée après 12-24 semaines de prise en charge d’un risque cardio-vasculaire faible à modéré et 8-12 semaines pour un risque cardio-vasculaire élevé ou très élevé. Par la suite, une EAL est recommandée 8 à 12 semaines après chaque adaptation du traitement, jusqu’à obtention des valeurs cibles.
Une fois la cible atteinte, une consultation annuelle dédiée est recommandée.
→ Les ALAT doivent être dosées avant l’instauration éventuelle du traitement, puis 8 semaines après le début du traitement médicamenteux ou toute augmentation de la posologie, puis chaque année. En cas d’ALAT ≥ 3 N, la statine doit être arrêtée ou réduite, puis réintroduite prudemment après 4 à 6 semaines, lorsque les ALAT sont revenues à une valeur normale.
Il n’y a pas d’intérêt à doser systématiquement les CPK dans le bilan préthérapeutique, sauf en cas de situation à risque : douleurs musculaires préexistantes, insuffisance rénale modérée à sévère, hypothyroïdie, antécédents personnels ou familiaux de maladie musculaire génétique, abus d’alcool, âge > 70 ans. Par la suite, une surveillance régulière des CPK n’est pas nécessaire, sauf myalgie. En cas de CPK > 5 N et après avoir envisagé d’autres étiologies (effort musculaire dans les 48 h précédentes…),
il faudra arrêter le traitement, contrôler la fonction rénale et surveiller les CPK toutes les deux semaines.
→ La consommation de pamplemousse est formellement déconseillée avec un traitement par simvastatine.
→ Il est recommandé de rechercher l’apparition d’un diabète de novo chez les sujets traités par statine. En cas de diabète de novo sous statine, la statine devra être poursuivie pour réduire
le risque cardio-vasculaire global.
L'HYPERCHOLESTÉROLÉMIE FAMILIALE HÉTÉROZYGOTE
La recommandation consacre un chapitre à cette pathologie, aussi fréquente (entre 1 patient sur 500 à 1/200) que méconnue : 1 % des patients seraient diagnostiqués en France ! Or, sans traitement, le risque de maladie coronarienne est multiplié par 13 : 50 % des hommes et 30 % des femmes auront un événement coronarien avant respectivement 50 et 60 ans. Les outils d’évaluation du risuqe cardio-vasculaire type SCORE ne s’appliquent donc pas chez ces patients.
→ Le diagnostic est évoqué en cas de :
- concentration élevée de LDL-c (1,9 g/l à 4,0 g/l) ;
- parents porteurs d’une hypercholestérolémie familiale ;
- dépôts extravasculaires de cholestérol (en particulier, xanthomes tendineux) ;
- accidents vasculaires précoces personnels ou familiaux.
→ ll est recommandé de confirmer le diagnostic par un score établi sur les critères clinico-biologiques du Dutch Lipid Clinic Network (non utilisable chez l’enfant) connectable sur legeneraliste.fr ou si possible par une analyse génétique. Il existe trois mutations principales pourtant sur le récepteur du LDL (70 %), l’apoB (6-8 %), le PCSK9 (2 %). Dans 20 % des cas, la mutation reste inconnue.
→ Le dépistage en cascade est recommandé chez les apparentés du premier degré de patients avec hypercholestérolémie familiale diagnostiquée. Les moyens thérapeutiques sont les mêmes que dans l’hypercholestérolémie isolée. Jusqu’à 20 ans, on visera un LDL-c < 1,3 g/l. Au-delà de vingt ans, les objectifs thérapeutiques chez les patients à risque cardio-vasculaire élevé, très élevé ou en prévention secondaire sont identiques à ceux de l’hypercholestérolémie isolée.
Bibliographie
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