La lombalgie chronique (LC), définie par une durée d’évolution supérieure à 12 semaines, a le triste privilège de figurer au premier rang de toutes les affections incapacitantes dans le monde (1). On considère que sa prévalence pendant la vie entière d’un individu approche 40 %. La LC induit indirectement des coûts de santé élevés par les indemnités journalières qui sont versées et l’absentéisme au travail ainsi occasionné. Malgré sa présentation à première vue stéréotypée, la LC est hétérogène quant aux structures anatomiques lésées (ou supposées l’être), à son retentissement fonctionnel, socioprofessionnel, familial et psychologique. L’approche rééducative, trop souvent uniciste, doit au contraire prendre en compte l’ensemble de ces facteurs (2).
MÉCANISMES EN CAUSE CHEZ LE LOMBALGIQUE CHRONIQUE
Le processus douloureux provient de l’activation de récepteurs nociceptifs en relation avec des lésions disco-vertébrales, musculaires, articulaires postérieures ou ligamentaires. Les informations sont transmises par la voie spino-thalamique au cortex sensitif.
Parallèlement, des projections au sein du cortex limbique, cingulaire ou insulaire sont responsables de la dimension émotionnelle et affective associée à la composante de peur qui accompagne le processus douloureux.
L’impact secondaire de la douleur sur le système musculaire d’ajustement postural du tronc peut se faire ensuite par voie médullaire réflexe, mais aussi par voie centrale, entraînant une réorganisation de l’activité musculaire. Ainsi, peuvent être mises en évidence des anomalies concernant le tonus, l’endurance et la force des extenseurs spinaux, se traduisant par la possibilité de schémas moteurs aberrants au cours de la lombalgie.
S’y associent des troubles de proprioception, en relation avec la diminution de mobilité liée à la peur du mouvement. Ces processus d’inhibition de la proprioception pourraient jouer à leur tour un rôle dans l’amplification des phénomènes de sensibilisation et d’abaissement du seuil de perception de la douleur (2).
La sensibilisation centrale se traduit par la présence de douleurs diffuses lombaires, d’une allodynie, de douleurs neurogènes non systématisées (Figure 1).
→ Cet état d’inhibition globale conduit à une perte des activités de la vie quotidienne, et potentiellement à un état de déconditionnement physique, psychique et social.
CONSÉQUENCES POUR LA RÉÉDUCATION
Antalgie : C’est l’étape initiale de la prise en charge, permettant une mise en confiance du patient. Plusieurs techniques peuvent être utilisées, comme les massages, la thermothérapie, l’électrothérapie ou les ultrasons. Bien que d’une efficacité prouvée, les mesures antalgiques n’ont qu’un effet à court terme, justifiant de passer rapidement aux étapes ultérieures.
Décontraction musculaire : Elle est obtenue par les étirements des groupes musculaires concernés (ischio-jambiers, pelvi-trochantériens, extenseurs du tronc). Ces étirements sont conduits sous contrôle kinésithérapique, puis par apprentissage, et reproduits régulièrement au domicile du patient sous forme d’auto-rééducation.
Renforcement musculaire : De nombreuses techniques existent mais elles s’orientent principalement sur la tonification des extenseurs du tronc. Celle-ci peut être obtenue de manière dynamique, par un travail isométrique sur table ou global en position assise (2).
Proprioception : Le travail peut être effectué sur ballon, sur planche de rééducation ou sur table oscillante. Le but est de récupérer les ajustements posturaux réflexes tout en diminuant l’état d’hypervigilance.
Travail aérobique : Il est d’autant plus important que la période d’inactivité liée à la douleur a été prolongée. La marche peut être conseillée au début comme méthode non invasive et pour son rôle de reprogrammation des muscles du tronc et des hanches. Ultérieurement, un ré-entraînement à l’effort peut être conseillé sous réserve d’un bilan cardiovasculaire initial et d’une étroite supervision médicale et kinésithérapique.
AUTRES MODALITÉS THÉRAPEUTIQUES
Thérapies comportementales : Plus la durée de la lombalgie augmente, plus des mécanismes psychologiques et comportementaux délétères se mettent en place. Les travaux de Vlaeyen (Figure 2) ont bien montré l’importance des peurs, des croyances erronées, du catastrophisme, du pessimisme, du sentiment de préjudice et des mauvaises stratégies comportementales dans la pérennisation du handicap fonctionnel et douloureux chez le lombalgique. De nombreuses techniques ont été développées, allant de l’éducation à la relaxation en passant par les techniques cognitivo-comportementales.
Stage de restauration fonctionnelle du rachis : Il s’agit de séjours se déroulant en secteur hospitalier ou en centre de rééducation dont le but est de permettre au patient de retrouver ses aptitudes afin de réintégrer le milieu social, familial et professionnel. Leur durée se situe entre trois et six semaines et ils doivent comporter plus de 100 heures d’exercice. La prise en charge se fait en petits groupes (inférieur à dix personnes) dont le niveau est homogène, ce qui suppose une évaluation préalable. Au cours de ce bilan initial le thérapeute devra rechercher des « drapeaux jaunes », notamment psycho-comportementaux, comme l’attitude vis-à-vis de la douleur, les conduites d’évitement, le degré de souffrance émotionnelle, les croyances ou la peur du mouvement et d’avoir mal (kinésiophobie et algophobie). Les programmes comprennent des exercices musculaires d’étirement et de renforcement, un travail d’endurance et des exercices aérobiques. L’adjonction de thérapies cognitivo-comportementales au programme de restauration fonctionnelle du rachis donne des résultats supérieurs aux soins usuels et à l’exercice seul (3). Les études françaises d’évaluation de l’efficacité des programmes de restauration fonctionnelle du rachis confirment leur intérêt par rapport à une prise en charge kinésithérapique classique en libéral. Notamment, le nombre de jours d’arrêt de travail est réduit, le retour à l’emploi est amélioré avec un taux de patients travaillant à un an compris entre 55 et 72 %. Les scores d’incapacité fonctionnelle, de douleur, de croyances erronées, de conduite d’évitement, d’anxiété-dépression et de qualité de vie sont améliorés (4).
RECOMMANDATIONS DE PRISE EN CHARGE EN MÉDECINE GÉNÉRALE
L’avis rendu par le Collège de médecine générale, la Société française de rhumatologie, la Société française de médecine physique et de réadaptation ainsi que d'autres sociétés savantes en avril 2017 (5) reprend les différentes précautions à observer chez le patient souffrant de lombalgie commune et insiste sur la nécessité de maintenir le mouvement ainsi que de prévenir les troubles psycho-comportementaux.
→ Les objectifs de la prise en charge de la lombalgie aiguë doivent être : • Éviter la chronicisation.
• Permettre au patient de reprendre son activité le plus rapidement possible.
• Éviter la iatrogénie.
→ Les objectifs des premières consultations seront :
• Rassurer le patient sur le bon pronostic général du mal de dos.
• Rassurer le patient sur la rareté d’atteintes graves du rachis et l’absence de signes signifiant une telle atteinte.
• Rassurer le patient sur la reprise ou la poursuite des activités, y compris le travail, même s’il y a des symptômes.
• Éviter d’étiqueter le patient en insistant exagérément sur une atteinte spécifique de la colonne et sur son impact.
→ L’analyse clinique doit être pluridimensionnelle : biomédicale, psychologique et sociale. La démarche du médecin est centrée sur le patient, permettant de construire avec lui une décision le concernant. Ces principes reposent sur des modèles de la relation médecin-patient, comme les consultations motivationnelles, pour sortir du modèle purement biomédical curatif vers des consultations au cours desquelles le patient est impliqué dans l’analyse de la situation et les décisions qui le touchent.
→ Le traitement repose sur la mobilisation, l’activité physique modérée ayant démontré une reprise de l’activité professionnelle plus rapide que le repos. La kinésithérapie peut faciliter la reprise de l’activité. La clinique est suffisamment performante pour identifier les situations dans lesquelles l’imagerie est utile.
→ Les patients lombalgiques sont souvent persuadés que des dégâts anatomiques survenus dans leur colonne vertébrale sont responsables de leur douleur et de leur incapacité. Il n’est donc pas surprenant qu’ils recherchent par la consommation d’examens d’imagerie une justification visible à leur souffrance. La découverte de la fameuse hernie discale devient alors le prétexte à une quête chirurgicale visant à éradiquer la cause enfin “reconnue” de leur handicap. De fait, il y a peu de relation entre les lésions anatomiques et les conséquences fonctionnelles de la lombalgie. Dans de nombreux cas, scanners et IRM ne retrouvent même pas d’anomalie significative. Il est de notre devoir de leur expliquer que l’épisode douloureux initial a induit une désadaptation fonctionnelle qui, au fil du temps, s’est auto-entretenue. Elle a ainsi créé des comportements d’évitement, de peur du mouvement et de perte de confiance dont la seule thérapie efficace est la réappropriation du mouvement, de la souplesse et de la force musculaires et, à terme de l’endurance physique.
Bibliographie :
1- Vos T et Coll. Global, regional, and national incidence, prevalence, and years lived with disability for 310 diseases and injuries, 1990–2015: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2015. Lancet 2016;388:1545–602
2- Fouquet B et Coll. Rééducation de la lombalgie commune Revue du rhumatisme 2017 ;84 :29–38
3- O’Keefe M et Coll. Comparative effectiveness of conservative interventions for nonspecific chronic spinal pain: physical behavorial/psychologically informed or combined? A systematic review and meta-analysis. J Pain 2016;17:755–74
4- Roure F et Coll. Réentraînement à l’effort chez les lombalgiques chroniques : un tremplin vers le retour au travail. La lettre du rhumatologue 2013 ;389 :8-11
5- CMG. Lombalgie commune en médecine générale. Avril 2017.
Mise au point
La périménopause
Mise au point
La sclérose en plaques
Etude et Pratique
Appendicite aiguë de l’enfant : chirurgie ou antibiotiques ?
Mise au point
Le suivi des patients immunodéprimés en soins primaires