INTRODUCTION
De plus en plus fréquentes sans que l’on comprenne pourquoi, les maladies inflammatoires cryptogénétiques de l’intestin (MICI), maladie de Crohn (MC) et rectocolite hémorragique (RCH) nécessitent souvent des traitements complexes au long cours, de plus en plus de prescriptions d’exception et une coordination des soins. Les attentes exprimées ou implicites des malades mais aussi des spécialistes sont souvent fortes vis-à-vis du généraliste. Ce dernier a un rôle prépondérant dans le diagnostic initial et celui des récidives, nécessitant une adaptation thérapeutique, le suivi du traitement (observance, efficacité, tolérance), la prévention de complications et l’éducation thérapeutique (tabac, vaccins, grossesses, dépistages des cancers, surveillance de la peau et de la santé buccodentaire), les diagnostics et traitements des maladies intercurrentes, liées ou non liées à la MICI ou à ses traitements. Une étude récente basée sur des questionnaires remplis par 61 médecins généralistes de la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur a montré que beaucoup ne se sentent pas « à l’aise » dans ces missions (1). Ceux qui ont suivi un Développement professionnel continu (DPC) se sentent plus en confiance. Mais le DPC ne peut pas tout et des changements d’organisation, et notamment de réseaux interprofessionnels, sont aussi nécessaires (voir le questionnaire pour auto-évaluation, tableau 1).
EN CAS DE TROUBLES DIGESTIFS
Les clés du diagnostic
Le diagnostic positif de MICI est souvent facile grâce à l’endoscopie (2) (photo). Si on le suspecte sur la conjonction de troubles digestifs chroniques et de signes inflammatoires biologiques, le malade doit sans retard être référé à un spécialiste, a fortiori si des antécédents familiaux existent. Les principaux pièges à éviter sont la banalisation des rectorragies (à tort imputées à des hémorroïdes) et les tableaux de « gastro-entérites qui traînent » au-delà de 3 semaines.
Chez un patient au diagnostic établi : si le médecin est confronté à la récidive de troubles digestifs, il faut faire la part entre :
→ la rechute de la maladie (en général avec des signes biologiques d’inflammation),
→ une surinfection (notamment à Clostridium difficile),
→ un syndrome de l’intestin irritable.
Un taux de calprotectine fécale normal plaide en faveur du 3e diagnostic. La vitesse avec laquelle le spécialiste doit être consulté dépend de la sévérité de la « poussée » qui est globalement appréciée par le nombre de selles par jour, l’abondance des saignements, l’intensité des douleurs abdominales et le retentissement général. Adresser le malade aux urgences n’est souvent pas la meilleure solution. En effet, l’urgentiste cherche une défense ou une masse de l’abdomen et des signes de sévérité nécessitant hospitalisation d’urgence, au besoin en s’aidant d’un scanner, mais pour toutes les autres situations (la majorité), envoie le malade consulter son spécialiste. Un bon réseau généraliste–spécialiste doit éviter aux malades ne le nécessitant pas de se rendre aux urgences.
Les clés de la thérapeutique
→ Une diarrhée banale aiguë (depuis moins d’une semaine et non glairo-sanglante) peut être prise en charge comme chez toute autre personne non porteuse de MICI.
→ Les troubles évoquant une poussée de RCH d’intensité minime à modérée (moins de 6 selles sanglantes par jour, pas ou peu de douleurs et un état général conservé) doivent conduire le généraliste à optimiser le traitement par 5-aminosalicylé (c’est-à-dire prescrire 4 g/j per os et 1 g sous forme rectale) et obtenir une consultation de spécialiste dans un délai de 2 semaines.
→ Si une poussée de RCH est grave (plus de 6 selles sanglantes par jour et douleurs abdominales ou altération de l’état général ou anémie ou tachycardie), le malade doit être vu en moins de 5 jours par le spécialiste et souvent hospitalisé. La prescription de NFS, coproculture avec recherche de C. difficile et examen parasitologique des selles doit être faite sans tarder (2).
→ En cas de MC, les indications de consultations spécialisées urgentes sont les signes d’obstruction intestinale (l’occlusion complète impose l’adressage aux urgences), les fièvres avec suspicion d’abcès abdominal ou périnéal, les diarrhées abondantes et douleurs abdominales intenses. Une prescription de corticoïdes ne doit plus être qu’exceptionnellement débutée par le généraliste sans qu’il ait eu l’aval du spécialiste et/ou s’être assuré que le spécialiste sera consulté dans la semaine qui suit. Le spécialiste s’appuie beaucoup sur les examens biologiques simples (NFS, CRP) et radiologiques tels que l’IRM (sans irradiation) ou la scanographie.
→ Quand une récidive survient chez un malade traité, il faut vérifier qu’il s’agit d’une poussée (voir ci-dessus) et que le traitement était bien pris (la mauvaise observance étant fréquente). Pour cela, le généraliste a un rôle majeur, il peut parfois ne faire qu’insister pour que le malade reprenne son traitement tout en lui prescrivant un court traitement « d’attaque » aminosalicylé dans la RCH ou corticoïde dans la MC (2). La même attitude peut aussi être suivie quand le traitement n’a été prescrit que récemment et qu’il est trop tôt pour qu’il ait atteint sa pleine efficacité. Recueillir l’avis du spécialiste est prudent si ce dernier n’a pas anticipé cette éventualité en prévenant le malade. Enfin, une rechute malgré un traitement bien pris et optimisé impose une révision du traitement par le spécialiste. Les conseils nutritionnels sont indiqués plus loin.
La place de la corticothérapie
La corticothérapie est de plus en plus limitée et sa prescription au long cours doit désormais n’être qu’exceptionnelle (2). Le malade doit être référé au spécialiste. Les corticoïdes sont habituellement prescrits à la dose de 1 mg/kg pour 2 à 4 semaines (puis, une fois la rémission obtenue, diminués progressivement par paliers). Ils imposent une supplémentation orale en calcium et vitamine D (et souvent en potassium), une surveillance du poids, de la glycémie et de la pression artérielle. Un régime sans sel strict n’est pas indispensable dans la majorité des cas. Chez les malades « corticodépendants », une alternative thérapeutique doit être proposée, en général par analogue des purines et/ou biothérapie car leurs effets secondaires sont plus faibles (2).
Les examens pré-thérapeutiques
Certains traitements nécessitent, avant d’être prescrits, d’écarter des contre-indications et ceci peut être anticipé par le généraliste (2-4). Les principales actions utiles sont indiquées sur le tableau 2.
PATIENT PEU OU NON SYMPTOMATIQUE
Les questions principales à aborder lors de la consultation sont indiquées sur les tableaux 2 et 3. Les immunomodulateurs exposent à un risque d’effets indésirables moindre que celui de la corticothérapie au long cours. Il inclut des infections (surtout banales mais parfois opportunistes, dont la tuberculose) et (heureusement rarement) des tumeurs cutanées et des lymphomes.
HYGIÈNE DE VIE ET VIE COURANTE
→ Le tabac aggrave la MC. Il double le risque de rechute et augmente les risques de chirurgie et de résistance aux immunosuppresseurs. L'arrêt du tabac doit donc être obtenu et le médecin doit mettre en place tous les moyens pour aider le malade à y parvenir (2).
→ Des conseils alimentaires sont utiles en cas de poussée aiguë ou de persistance de douleurs ou de diarrhée. Un régime sans résidus est indiqué pendant les poussées d’intensité moyenne ou sévère ; un régime sans fibres « longues » doit parfois être par la suite maintenu en cas de sténose serrée persistante. En cas de diarrhée, le classique régime sans lactose est remplacé en général par la seule suppression du lait, les autres sources de lactose comme les yaourts étant autorisées. Le régime sans gluten n’a aucun intérêt. Un intérêt grandissant est porté à la recherche d’effets des probiotiques. Dans la RCH, les probiotiques E. coli Nissle 1917 et VSL#3 ont une efficacité voisine de celle de petites doses de 5-ASA (2). Dans la MC, aucun probiotique n’a fait la preuve de son efficacité (2).
→ La santé sexuelle et les questions autour de la procréation, sources d’anxiété, sont importantes et ne doivent pas être passées sous silence. Il faut les aborder avec les malades (et parfois leur entourage) et chercher avec eux les solutions (5). Des informations sur la sécurité d’emploi des médicaments chez la femme enceinte sont disponibles aisément sur le site national du Centre de référence sur les agents tératogènes (CRAT) (6).
RÉSEAUX ET ORGANISATIONS DE SOINS
Des exemples d’organisation remarquable sont décrits dans la littérature et si certains pays au système de soins centralisé parviennent à en mettre en place, ce n’est pas le cas en France (2, 7). Parmi les outils et relations interprofessionnelles souhaitables figurent les bases de données, les logiciels de déclaration de symptômes, des infirmières spécialisées chargées notamment de téléconsultations de tri, des hépato-gastro-entérologues accessibles rapidement, des psychologues, diététiciens, chirurgiens spécialisés (avec un nombre de cas traités annuel le plus important possible), obstétriciens. L’espoir de l’hyper-spécialiste est que le malade et ses médecins divers se connectent à une plateforme, dans le but de mieux maîtriser les tris et orientations vers un professionnel de santé adapté à chaque situation. Une telle organisation ne doit pas se faire au détriment des indispensables échanges humains directs entre malades et soignants.
Le réseau doit inclure un moyen fiable d’accès rapide au spécialiste pour diminuer les passages inadaptés et inefficaces par les urgences.
Certains couples malade-spécialiste fonctionnent de manière directe (circuit ultra-court), sans solliciter le médecin généraliste. Cette approche apparemment rassurante pour le malade (et des associations de malades) expose le malade à ne voir abordés que les problèmes de la spécialité au lieu d’une approche globale de sa santé, auquel le spécialiste n’est pas assez entraîné (ni souvent motivé). Cette situation devrait rester limitée aux périodes des poussées sévères.
ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE
Une bonne éducation thérapeutique du patient (ETP) doit être assurée pour tout patient souffrant de MICI. Il existe une association, l’Association française pour l’éducation thérapeutique dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (Afemi) co-administrée par l’Association des malades François-Aupetit et le groupe d'étude thérapeutique des affections inflammatoires du tube digestif (GETAID), tous deux acteurs dans ce domaine (5). Son but est de coordonner l’ETP des MICI au niveau national, valoriser et diffuser des outils d’animation et accompagner le développement de la e-santé (recommandée par l’académie de médecine). Le généraliste (mais aussi le spécialiste, y compris hospitalier) doit en informer les malades et les aider à en bénéficier. Ceci n’est pas encore simple, notamment du fait du financement de cette activité, mais des progrès nets sont constatés.
CONCLUSION
Pour une prise en charge adéquate, le généraliste, les spécialistes et les soignants doivent travailler de concert au diagnostic, dépistage des complications, traitement et éducation thérapeutique des malades souffrant de MICI. Un DPC de qualité, un certain degré de e-santé et les réseaux sont des outils indispensables.
Bibliographie
1. Becamel S. Le rôle du médecin généraliste dans la prise en charge diagnostique et thérapeutique des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. Sciences du Vivant [q-bio]. 2018. dumas- 02045572.
2. Site des recommandations européennes (actualisées) de prise en charge des MICI https://www.ecco-ibd.eu/index.php/publications/ecco-guidelines-science/….
3. Fiches de conseils aux médecins et aux malades sur les traitements des MICI https://www.getaid.org/outils/fiches-medicaments.html.
4. Conseil de pratique SNFGE. MICI et vaccinations https://www.snfge.org/download/file/fid/1108.
5. Leenhardt R, Rivière P, Papazian P, Nion-Larmurier I, Girard G, Laharie D, Marteau P. Sexual health and fertility for individuals with inflammatory bowel disease. World J Gastroenterol 2019;25:5423-33.
6. Centre de Référence sur les Agents Tératogènes (CRAT) http://lecrat.fr.
7. Site d'information sur l'éducation thérapeutique des MICI https://www.afa.asso.fr/categorie/afemi.html.
Liens d'intérêts
Le Pr P. Marteau déclare pour cet article avoir été invité au congrès international de gastro-entérologie (Ferring), en 2019.
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