Faible consommation de cigarettes et risque de maladie coronaire et cérébrovasculaire : méta-analyse de 141 cohortes
Hackshaw A, Morris JK, Boniface S et al. Low cigarette consumption and risk of coronary heart disease and stroke: meta-analysis of 141 cohort studies in 55 study reports BMJ 2018;360:j5855. http://dx.doi.org/10.1136/bmj.j5855
CONTEXTE
Entre 2009 et 2014, le pourcentage de fumeurs consommant 1 à 5 cigarettes par jour a augmenté au Royaume-Uni (18 % à 23 %) (1) et celui des consommateurs < 10/j est passé de 16 % à 27 % aux USA (2). Consommer peu de tabac peut être chimériquement conçu comme un moyen de réduire proportionnellement le risque cardiovasculaire (ou de cancer) du tabagisme. Par exemple, fumer 1 cigarette/j exposerait à 5 % (1/20) du risque lié à 20 cigarettes/j, ce qui serait finalement acceptable. Cette croyance logique mais illusoire est similaire à celle indûment et savamment distillée par les cigarettiers lorsqu’ils ont lancé leurs “clopes légères” sur le marché (3).
OBJECTIFS
Évaluer le risque d’évènement coronaire et cérébrovasculaire (ECV) selon la consommation quotidienne de tabac, comparativement aux non-fumeurs.
MÉTHODE
Revue systématique et méta-analyse des études de cohortes conduites entre 1946 et 2005. Les auteurs ont répertorié toutes celles ayant observé plus de 50 évènements CV et reporté un risque relatif (RR) d’ECV ajusté sur l’âge, comparativement aux non-fumeurs. Ces études devaient classer les sujets en 4 catégories : jamais fumé, 1 cigarette/j, 5/j et 20/j. Le critère principal de jugement était le risque CV (coronaire ou cérébral) de fumer une cigarette par jour, exprimé en proportion de celui d’en fumer 20. L’hypothèse était celle d'une relation proportionnellement linéaire où le risque de fumer une cigarette par jour était égal à 5 % de celui d’en fumer 20 (comme pour le cancer bronchique). Pour la méta-analyse, le risque pour 1, 5 et 20 cigarettes/j observé dans les cohortes a été poolé à l’aide d’un modèle de régression logarithmique complexe. Les résultats sont présentés par pathologie, par sexe, dans toutes les cohortes, puis celles qui ont fait des analyses ajustées sur des facteurs de confusion pertinents.
RÉSULTATS
La méta-analyse a inclus 141 études de cohortes correspondant à 55 rapports d’études regroupant un peu plus de 5 millions de sujets.
Pour les évènements coronaires, et comparativement aux non-fumeurs, le RR des hommes était de 1,48 pour une cigarette par jour et de 2,04 pour 20/j (1,74 et 2,27 pour les cohortes ajustées). Pour les femmes, il était de 1,57 pour 1/j et de 2,84 pour 20/j (2,19 et 3,95 en cas d’analyses ajustées).
Pour les évènements cérébrovasculaires, le RR des hommes était de 1,25 pour 1/j et de 1,64 pour 20/j (1,30 et 1,56 pour les cohortes ajustées). Pour les femmes, le RR était de 1,31 pour 1/j et de 2,16 pour 20/j (1,46 et 2,42 en cas d’analyse ajustée). Dans aucune des analyses, le RR d’une cigarette par jour n’a été inférieur ou égal à 5 % du risque de consommation à 20/j. Le risque des femmes était toujours supérieur à celui des hommes.
COMMENTAIRES
Ce travail essentiellement biostatistique conduit par des épidémiologistes londoniens était légitime, car la majorité des cohortes publiées n’avait pas montré de différence en termes d’évènements coronaires entre consommation d’1 et de 20 cigarettes par jour. Son résultat tord le cou à l’idée qu’un tout petit fumeur a un risque d’ECV proche de celui d’un non-fumeur. Globalement, il semble que le risque relatif d’un petit fumeur soit de 1,50, et qu’il représente environ la moitié (et non 5 %) de celui d’un gros fumeur.
Cependant, ce travail n’est pas exempt de faiblesses : les auteurs n’ont pas eu accès aux données individuelles, toutes les cohortes incluses n’avaient pas les mêmes risques de biais, aucune d’elles n’avait fait d’analyse sur tous les facteurs potentiellement confondants (c’est impossible), et de ce fait un risque relatif de 1,50 peut être lié à des facteurs qui créent un biais exponentiel et non additionnel. Enfin, et c’est plus embêtant, cette méta-analyse ne s’est intéressée qu’à la consommation quotidienne de cigarettes et non à la durée totale d’exposition au tabac au cours d’une vie, facteur prédictif substantiel d’événement cardiovasculaire (4).
En pratique, ce travail peut aider à détromper les petits fumeurs qui croient éviter un sur-risque avec une petite consommation. L’arrêt complet du tabac est donc impératif à terme (il peut être progressif et anticipé à l’aide de traitements pharmacologiques et/ou comportementaux), car comme démontré, lui seul réduit de 18 % la mortalité totale à 15 ans (5).
Bibliographie
1- NHS Digital. Health Survey for England. https://data.gov.uk/dataset/health_survey_for_england
2- Jamal A, Homa DM, O’Connor E, et al. Current cigarette smoking among adults - United States, 2005-2014. MMWR Morb Mortal Wkly Rep 2015;64:1233-40.
3- Denlinger-Apte RL, Joel DL, Strasser AA, et al. Low nicotine content descriptors reduce perceived health risks and positive cigarette ratings in participants using very low nicotine content cigarettes. Nicotine Tob Res 2017;19:1149-54.
4- Pope CA, Brook RD, Burnett RT, et al. How is cardiovascular disease mortality risk affected by duration and intensity of fine particulate matter exposure? Air Qual Atmos Health 2011;4:5-14.
5- Anthonisen NR, Skeans MA, Wise RA, et al. The Effects of a Smoking Cessation Intervention on 14.5-Year Mortality. Ann Intern Med 2005;142:233-9.
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