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Généralistes et salariat,  la fin d’un tabou...

Publié le 08/04/2016
Généralistes et salariat,  la fin d’un tabou...

DossPro
GARO/PHANIE

Le centre de santé comme solution à la démographie médicale ? De plus en plus d'élus locaux ont sauté le pas. Du coup, le nombre de ces structures a augmenté ces dernières années et plus de 150 dossiers sont en montage actuellement. Face aux déserts médicaux, la piste du salariat est maintenant étudiée comme une option comme une autre. Sans tabou…

Ce n’était pas une proposition de François Hollande dans son programme de 2012, pourtant depuis quatre ans le gouvernement semble plutôt voir d’un bon œil l’expansion des centres de santé. En 2013 déjà, Marisol Touraine disait vouloir « conforter » leur place dans le système de santé. Et, en juin dernier, une circulaire du ministère envoyée à onze ARS visait à soutenir l’installation de centres de santé dans 25 quartiers identifiés « comme étant particulièrement déficitaires en matière d’offre de soins de premier recours ».

Pourtant le politique ne semble pas tant que ça le moteur de ce nouveau souffle qui pousse les centres de santé vers l’avant. Car l’élan est réel. Éric May, président de l’Union Syndicale des Médecins de Centres de Santé (USMCS) estime que depuis 2011 « une dizaine de centres de santé » voient le jour chaque année. Avec une nette accélération du mouvement depuis fin 2014.

La Fédération Nationale des Centres de Santé (FNCS) accompagne les différents projets partout en France : « Depuis un an et demi, une cinquantaine ont abouti et, actuellement, nous travaillons sur 150 dossiers », explique le Dr Richard Lopez, président de la FNCS. On reste loin des 162 MSP supplémentaires qui ont vu le jour en un an, mais, malgré tout, cette poussée reste importante pour les centres de santé.

 

Les élus locaux à la manœuvre


Il semble malgré tout qu’on puisse dégager des caractéristiques communes à ces structures et construire une typologie de ces nouveaux centres de santé. Leur premier point commun est l’implication forte directe ou indirecte des élus locaux dans les dossiers : « On est dans des territoires qui font face à une désertification médicale parfois très avancée », note Éric May, souvent dans des zones rurales ou semi-rurales où « les maires ont décidé de s’emparer des sujets de santé face à l’urgence de la situation alors qu’à l’origine ça ne fait pas partie de leur compétence », explique-t-il.

En 2011, La Ferté-Bernard, dans la Sarthe, et son maire Jean-Carles Grelier (Les Républicains) ont fait figure de pionnier dans ce mouvement de création de centres de santé municipaux. « Il y a un désengagement total et gravissime de la part de l’État qui nous oblige à prendre les choses en main », s’insurge-t-il toujours aujourd'hui. Après le départ à la retraite en même temps des trois généralistes de la maison de santé de La Ferté-Bernard et des recherches infructueuses pour trouver des successeurs en libéral, l’élu étudia la possibilité de créer un centre de santé : « En moins de six mois le centre était créé et en moins d’une semaine j’ai eu une dizaine de candidatures », explique-t-il. « Ce n’est pas dans nos compétences, mais c’est aussi une logique d’attractivité du territoire », estime Jean-Jacques Videlo, maire de Le Sourn (Morbihan), commune nouvellement dotée d’un centre de santé. « Nous avions un gros risque si nous perdions l’activité médicale. Notre pharmacie et d’autres commerces étaient menacés », a-t-il déclaré lors du discours d’inauguration.

 





 
      Le désengagement total et gravissime de l'Etat nous oblige à prendre les choses en main



Jean-Carles Grelier, maire de la Ferté-Bernard (Sarthe)

 


Les petites villes surtout, mais plus seulement


« Les centres de santé se créent là où les besoins en soins primaires sont les plus aigus », note Éric May, en zones suburbaines, rurales et dans les petites agglomérations donc. En effet, en février 2016 l’Association des petites villes de France (APVF) publiait une enquête sur la santé dans les petites villes de France dans laquelle 30 % des collectivités sondées disaient posséder un centre de santé. « L’exercice commun et le recours à l’exercice salarié sont les deux grands critères qui ressortent pour faire venir les médecins. Beaucoup de maires nous disent qu’ils vont salarier leurs médecins », explique Erwann Calvez, chargé de la mission santé auprès de l’APVF.

La commune de Le Sourn en a fait le choix depuis septembre 2015. Après l’annonce du départ en retraite imminent du seul généraliste de la commune, le nouveau maire Jean-Jacques Videlo s’est demandé comment attirer des successeurs. « Les médecins n’ont pas de raisons objectives de venir chez nous plutôt qu’ailleurs, explique l'édile breton. On s’est aperçu que ce qui rebutait les jeunes dans l’exercice libéral, c’était notamment le temps administratif et ça en mairie, la pratique administrative, on en a l’habitude ». En septembre dernier, le centre de santé a donc ouvert ses portes avec deux médecins mais aussi deux secrétaires médicales à temps partiel.

Depuis septembre 2011 et la création de son centre, Jean-Carles Grelier a reçu la visite de 372 maires intéressés par sa structure : « pour la plupart ils sont allés au bout de la démarche, souligne-t-il, et ne viennent pas seulement des petites villes ». En effet, des villes de plus grande ampleur commencent aussi aujourd’hui à se tourner vers cette solution. Le Mans devrait voir, par exemple, un centre de santé ouvrir ses portes en 2017 ; un peu plus au sud, en Vendée, La Roche-sur-Yon a également enclenché le processus.

Autre caractéristique de ces centres de santé du XXIe siècle : ils sont la plupart du temps très généralocentrés : « Ce sont des projets où l’on retrouve en premier des généralistes », confirme le Dr Lopez. Car, la plupart du temps,  c’est pour éviter la pénurie de généralistes sur leur territoire que les communes font ce choix. Pour autant, « on retrouve de plus en plus fréquemment aussi des chirurgiens-dentistes et, parfois, des infirmières ou sages-femmes. Généralement il va y avoir quatre ou cinq professionnels de santé », détaille le Dr May, qui reconnaît qu'« on n’est plus dans la dimension des centres municipaux de santé d’Ile-de-France ». Ni dans le même esprit...

 





 
      C'est vraiment l'efficacité qui pousse aujourd'hui les élus à choisir les centres de santé



  Dr Eric May, président de l'Union syndicale des médecins de centres de santé (USMCS)

 

Le pragmatisme des gestionnaires


En effet, si les centres de santé municipaux d’Ile-de-France, notamment, étaient à l’époque souvent mis en place par des mairies de gauche, souvent communistes, aujourd’hui leur création répond plus à une logique pragmatique que politique. « Les choix politiques alternatifs, c’est assez rare dans les nouveaux centres de santé aujourd’hui. C’est vraiment l’efficacité qui pousse aujourd’hui les élus à choisir les centres de santé », admet Éric May. « On est passé du militantisme et de la démonstration à la preuve. On n’est plus non plus sur le centre de santé objet politique de combats hostiles. Il y a quelques syndicats libéraux qui veulent nous ramener à ça et quelques collègues qui dénoncent les centres de santé comme étant une hérésie, la fonctionnarisation de la médecine, la soviétisation de la médecine… Une logique totalement dépassée », poursuit le généraliste de Malakoff.

Le mouvement n'est sans doute pas terminé, puisque d'aucuns en font un modèle d'avenir. En novembre 2014, le géographe Emmanuel Vigneron a publié un ouvrage dans lequel il a recensé 1 842 centres de santé, préconisant d’en créer 400 de plus dès maintenant. « Les centres de santé bénéficient d'une réflexion ancienne et profonde sur leur projet, qui est d'abord un projet médical, et ce simple constat en fait un modèle intéressant et surtout moderne que l'on a eu tort d'écarter pour des raisons purement politiques. Il mérite vraiment d'être examiné sans a priori idéologique », note-t-il.





 
      Les jeunes générations de médecins ne font plus un cassus belli de la question de leur statut



Pr Emmanuel Vigneron, professeur d'aménagement sanitaire à l'université de Montpellier

 


Un modèle économique qui fonctionne


Et ces a priori, face à l’urgence de la situation en termes de démographie médicale, les élus locaux, semblent s’en être rapidement débarrassés. « Je suis libéral à plus d’un titre, de par ma profession (avocat) et de par mes convictions politiques, explique le maire de La Ferté-Bernard ; ça ne fait pas forcément plaisir de salarier les médecins, mais je n’avais pas vraiment le choix ».

Ce qui prévaut aujourd’hui pour les collectivités locales, c’est le désir d’une structure groupée. Et aujourd’hui, fait nouveau, les élus vont étudier indifféremment les MSP ou les centres de santé et faire leur choix en fonction de ce qui convient le mieux à leur territoire et leur projet de santé. « Les communes qui nous entourent ont davantage fait le choix de l’immobilier, mais ça ne fonctionne pas, les murs sont vides, explique Jean-Jacques Videlo, nous, on a décidé de prendre le problème à l’envers : attirer d’abord les médecins. »

Des structures plus modestes, lestées d’idéologie politique : ces nouveaux centres de santé semblent aussi avoir trouvé la bonne formule financièrement. « Aujourd’hui, ce n’est plus une aventure, on sait que ça marche », assure le Dr May. Tous ces centres sont encore un peu jeunes pour pouvoir l’affirmer avec certitude, mais le maire de La Ferté-Bernard semble abonder dans ce sens : « On a fixé une durée de travail de 42 heures et, pour les salaires, on prend pour référence la grille indiciaire des praticiens hospitaliers ; on a aussi assorti un volume de rémunération à leur volume d’activité. En fonctionnant comme ça dès la première année on n’a pas perdu beaucoup de sous. Et, aujourd’hui, c’est un des rares services publics où l’on gagne de l’argent », détaille Jean-Charles Grelier.

Jean-Jacques Videlo est tout aussi optimiste : « Le but n’est pas de plomber les finances publiques, l’objectif c’est l’équilibre de la structure. Pour les quatre mois de 2015, on a un déficit de 26 000 euros, sachant qu’il a fallu se mettre en route qu’on a dû payer les charges d’installation dès décembre et que l’on n’a pas encore reçu la subvention de la CPAM. Donc, on est confiant pour la suite. »

En septembre, le maire de Le Sourn, (à droite) a ouvert son centre de santé dans le cabinet d’un généraliste libéral (3e en partant de la gauche). Avec deux généralistes (au centre) et deux secrétaires  médicales (à gauche  et à droite).

 

Des freins politiques et réglementaires


À en croire leurs gestionnaires, les indicateurs paraissent donc être aux verts pour l’expansion de ces structures. Mais malgré tout, force est de constater que quelques freins importants persistent encore aujourd’hui pour permettre un vrai décollage. Au premier rang desquels le facteur politique et syndical. « Ces freins tiennent en un mot : une opposition politique très forte et même atavique. Il est dommage de constater qu'un débat serein et sanitaire sur le sujet ne peut réellement s'engager. Assez paradoxalement, alors qu'au sommet les oppositions demeurent vives, les jeunes générations de médecins ne font plus un casus belli de la question de leur statut », estime en tout cas le Pr Vigneron.

Et d'ailleurs, même lorsque comme avec le gouvernement actuel le soutien est plus affiché, il n’est pas forcément bien placé. L'été dernier la circulaire qui recommandait l’installation de 25 centres de santé dans des zones précises n’a ainsi pas été d’une grande aide à en croire les principaux intéressés. « Ces 25 points désignés ne correspondaient pas à la réalité. Les territoires désignés n’étaient pas forcément ceux où il y avait des demandes », explique Richard  Lopez. « C’était un peu un aveu d’impuissance de la part du ministère : on a tout tenté pour remettre des libéraux, mais, comme on n’y arrive pas, on va mettre des centres de santé », ajoute Éric May.

D’autres obstacles, davantage réglementaires, empêchent également une augmentation plus rapide des centres de santé, regrette le Dr Lopez. « Souvent, derrière les projets, on a des pluri-porteurs, plusieurs co-gestionnaires possibles, mais, aujourd’hui, un seul est autorisé. Si on levait ces obstacles, beaucoup de projets aboutiraient plus vite », souligne le président de la FNCS. Sans attendre des prises de décisions nationales, les élus locaux ont en tout cas déjà pris les choses en main en matière de démographie médicale, et pour un nombre croissant, la réponse prend la forme des centres de santé. Reste à savoir désormais si ce virage pourra s’inscrire sur le long terme et à plus grande échelle.