Voilà 43 ans que j’exerce la médecine générale et que je vois notre exercice, inéluctablement, se dégrader. Merci aux politiques de tous bords – et à la bureaucratie qui va de pair — de n’avoir pas anticipé la pénurie de médecins. Une population qui augmente, qui vieillit, les médecins du baby-boom qui partent à la retraite etc.
Gouverner, c’est prévoir, non ? Au lieu de cela, numerus clausus inadapté (Combien de jeunes français, qui avait le désir et la capacité d’être médecin, rejeté par le système ? Mais d’autres, par de multiples détours à l’étranger, Belgique, Espagne, Roumanie, ont trouvé une parade !). Et en même temps, 10 000 médecins étrangers exercent en France, dont certains ne maîtrisent pas notre langue et dont les compétences parfois prêtent à discussion.
Dans le même registre, bravo aux politiques d’avoir proposé en 1995 le « MICA » ou dispositif d’incitation au départ anticipé à la retraite des médecins, dès 62 ans, et la pénurie prévue de praticiens.
Une logique absurde
Avec la même logique absurde, tous les médecins qui « osent » percevoir la retraite à 65 ans, mais qui continuent d’exercer pour soulager leurs confrères, ont l’obligation de cotiser plein tarif à leur caisse de retraite, sans avoir le moindre droit à une pension. D’autres professions sont aussi concernées, paraît-il : sûrement pas dans l’univers politique ou administratif. C’est cela, la justice sociale dans notre pays : un poids deux mesures ! Monsieur Toubon, « Défenseur des droits » et autres politiques à la retraite, dites-nous un peu ce que vous percevez pour éclairer les Français ?
D’autre part, la pénurie de vocation pour la médecine générale va s’aggraver, car cette spécialité est méprisée, déshonorée, par les pouvoirs publics : 25 € la consultation ne permet à personne de s’installer et vivre de son travail, à comparer aux 50 à 80 € en moyenne, dans les autres pays européens proches, avec prise en charge par la sécurité sociale.
Les honoraires décents permettent d’embaucher du personnel, indispensable pour pouvoir travailler : et en même temps, il n’y a aucune utilité d’avoir des rémunérations annexes (ROSP, etc.). Sans parler des assistants médicaux qui feront quoi ? Et finiront par coûter très cher.
Absence totale de bon sens
Cela s’accompagne d’une bureaucratie omniprésente, chronophage, dénaturant le travail de réflexion du médecin ; sans oublier l’immixtion de la Sécurité sociale dans nos pratiques et prescriptions.
Bravo aussi, au passage, pour les génériques où les pouvoirs publics ont organisé une guerre entre les patients, les pharmaciens et les médecins, alors qu’il suffisait d’obliger les génériqueurs à fabriquer le même médicament, excipient inclus. Avec une fabrication en Europe. Et surtout, la sécurité sociale remboursant sur la base du moins cher ; et le patient choisit.
Tout cela témoigne d’une méconnaissance totale des problèmes de terrain. L’actualité montre l’exaspération et l’épuisement du personnel des urgences, avec des délais de prise en charge des patients qui s'allongent dangereusement. Mais là aussi, ça n’arrive pas par hasard. Pénurie de généralistes en ville, patientèle incitée par certains hôpitaux – il n’y a pas si longtemps — à aller aux urgences, assistanat généralisé et in fine, violences trop fréquentes vis-à-vis des soignants ! À quand de vraies condamnations de ces comportements intolérables ?
L'imagination au pouvoir
Et la solution dans tout ça ? En fait, c’est à la société civile, aux citoyens qu’il incombe de s'organiser. Il faut définir les besoins réels, localement notamment, structurer la coopération entre médecine de ville, hôpitaux et cliniques, en mutualisant au mieux les moyens, responsabiliser enfin les patients en faisant comprendre que tout à un coût, que la médecine gratuite est l’enfant illégitime du clientélisme électoral.
L’imagination est du côté des citoyens. Seule une prévention de masse assurée, financée, permettra de relever le défi du vieillissement de la population, des pathologies lourdes avec en particulier le refus de la collectivité de continuer à assurer des conduites à risques (tabac, addictions, sport extrême…) qui devront être prises en charge, individuellement par des assurances.
Pour les médecins, ce n’est pas l’ouverture bien trop tardive du numerus clausus qui va régler les problèmes de pénurie vu les 8 à 10 ans nécessaires pour former les médecins, sans parler de la pénurie de vocations pour la médecine générale.
Il faut d'urgence revoir le niveau des honoraires des généralistes et l’aligner le plus rapidement possible sur les autres pays européens (et supprimer toutes les formes de rémunérations annexes) et, au moins dans un premier temps, rouvrir le secteur 2 aux généralistes ; et permettre à tous les médecins qui le souhaitent, de continuer à travailler après la retraite à temps complet ou partiel sans cotisation retraite obligatoire, ou alors proportionnelle au revenu et avec ouverture de droit à pension. Cela aurait le mérite d’être juste et d'apporter immédiatement une solution à la pénurie.
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