Leçon inaugurale de l'Université des Patients

De la nécessité de l'expertise patient pour soigner la démocratie

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Publié le 19/01/2017
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univ patients

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Crédit photo : PHANIE

Dès ses premiers mots, Catherine Tourette-Turgis a transporté ses auditeurs - étudiants, patients, médecins, philosophes, en nombre - de l'hiver parisien à San Francisco, un après-midi d'août 1984 : « J'ai compris que je devais être là où je pouvais être utile, dans la lutte contre le sida », a-t-elle déclaré. Avant de rendre hommage aux malades du Sida qui « ont su se mêler de ce qui les regarde ».

Ce détour par l'expérience n'a rien d'étonnant pour celle qui a fondé en 2009, à titre expérimental, grâce à des dons, l'Université des Patients. Il permet aussi de mesurer le trajet accompli depuis les années 1980. Alors, pas un mot sur l'expertise des patients en France. « Le patient était un homme couché qui écoutait les doctes paroles d'un homme debout », se souvient le Pr Bruno Riou, doyen de la faculté Pierre et Marie Curie. La chercheuse en sciences de l'éducation doit attendre 10 ans et émigrer aux États-Unis pour délivrer un premier enseignement en counselling sur le VIH/Sida à l'Université de Californie, en 1996.

Cette année avec l'inscription de l'Université des patients dans « Une université », son combat semble avoir gagné ses lettres de noblesse et toute sa légitimité institutionnelle. Septembre 2016 a vu l'ouverture de deux diplômes universitaires, subventionnés par le Fonds MSD Avenir : l'un portant sur la mission d'accompagnant de parcours du patient en cancérologie (conçu avec l'Institut universitaire de cancérologie) ; l'autre sur la formation à la démocratie en santé, pour les représentants des usagers (en écho à la loi Santé de 2016). Le succès est au rendez-vous : 60 patients ont ainsi repris le chemin de l'université en septembre 2016. Soit presque qu'autant que les 80 malades qui ont obtenu entre 2009 et 2016 le premier DU, sur la formation à l'Éducation thérapeutique.

Qui sont-ils ? 30 % des étudiants - surdiplômés - touchent moins de 600 euros par an, une précarité causée par leur maladie ; 56 % sont dans une phase de stabilisation ou de rémission ; 31 % disent que leur entourage est fier de leur démarche ; 60 % veulent continuer leurs études.

L'Université des patients, « c'est un espace où les malades qui le désirent peuvent venir étudier, c’est-à-dire inscrire leur trajectoire individuelle dans une histoire collective, se fabriquer à leur rythme un nouveau portefeuille de compétences, valider et légitimer par un diplôme ce qu'ils font déjà », explicite Catherine Tourette-Turgis.

Vers une révision du statut du malade

À travers la reconnaissance de l'expertise des patients, c'est un changement de paradigme qui se joue. Bien sûr, c'est l'affirmation qu'il y a une légitimité de l'expérience, à côté de la doxa académique. Que la transmission entre pairs, « ceux qui ont défriché par leur expérience singulière, des espaces de connaissance inconnus des experts en poste », selon les mots de la chercheuse, est aussi valide que l'enseignement vertical. Cela implique aussi que médecine et sciences humaines travaillent main dans la main - ce qui devrait être effectif le 1er janvier 2018 avec le regroupement de l'UPMC et de la Sorbonne dans le pôle Sorbonne Universités.

Mais au-delà, cette reconnaissance de l'expertise patient devrait conduire à réviser le statut du malade, exhorte le professeur Tourette-Turgis, pour mieux valoriser les compétences développées dans l'adversité. « Savoir prendre des décisions en situation d'incertitude, face à un risque répété, peut être une ressource pour trouver des solutions à d'autres problèmes dans la société », souligne-t-elle.

Les choses bougent, indéniablement. « Aucune décision sur le cancer ne peut être acceptée par les patients si elle n'est pas portée par eux », souligne, convaincu, le Pr Serge Uzan, directeur de l'IUC. La participation des patients dans la recherche « nous invite à repenser nos politiques publiques et à en faire la chose de tous ; à repenser la République », a salué Thierry Mandon, secrétaire d'État à la Recherche.

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9548