« Le Quotidien du Médecin » : Robotisation, télémédecine, objets connectés…, 2017 a apporté de nouveaux exemples de l’émergence des nouvelles technologies en médecine. Cette intrusion de la technique va-t-elle bouleverser le rôle du médecin ?
Maël Lemoine : Cette peur que la machine remplace le médecin existe depuis des dizaines d’années. Le médecin me semble pourtant moins menacé que d’autres professions. Certaines facettes de son métier vont changer avec l’arrivée des nouvelles technologies. Mais si l’on regarde sur le temps long, depuis toujours, ça a été du rôle des médecins que d’être des médiateurs entre les avancées scientifiques et technologiques et le grand public. Et ça ne change pas aujourd’hui. Même si cela demande de leur part une adaptation et que ça ne va sans difficultés. Je vois le médecin comme quelqu’un qui exige de la science qu’elle tire d’elle-même le meilleur pour les patients et leur santé.
En quoi, les grands défis sanitaires du moment (réchauffement climatique, résistance aux antibiotiques, défi du vieillissement…) peuvent-ils transformer la médecine ?
Ces mutations modifient la perception de la santé et la notion de maladie. Le cadre nosologique dans lequel les connaissances médicales sont rangées depuis le XIXè siècle amène à ranger les connaissances par maladie : le travail des médecins est de partir d’un diagnostic pour déterminer la meilleure hypothèse d’option thérapeutique qui s’offre et ensuite adapter. Cela est en train de changer avec ces nouveaux défis sanitaires et avec des découvertes comme le microbiome, ou avec les avancées de la médecine personnalisée en cancérologie… Toutes ces modifications conduisent à remettre en cause ce cadre nosologique et à passer parfois directement d’un traitement à une situation individuelle d’un patient. Cela est extrêmement déroutant. Tous ces changements impactent la façon qu’on a de concevoir la santé comme une sorte retour à la normale.
Depuis des années, on évoque une désacralisation du médecin… Qu’est-ce qui fait encore sa singularité ?
Il faut que le médecin apprenne à se décentrer de sa propre profession. Car on pourrait tenir le même discours pour le prêtre, l’avocat, l’enseignant, l’homme politique et beaucoup d’autres. On assiste à une mutation de la structure de l’autorité professionnelle quelque qu’elle soit. Ce qui se produit aujourd’hui plus spécifiquement en médecine, c’est que le médecin se trouve déstabilisé d’un rôle qu’on lui avait assigné, et qui supposait de savoir tout sur la santé. Et il est obligé d’admettre publiquement qu’il ne sait pas tout sur la santé. Ce n’est pas simple. Faire comprendre qu’il est toujours l’expert. Et que ce rôle va avec des incertitudes. Cela va de pair avec le fait que le public accède à un savoir de plus en plus démocratisé. Pour le médecin, le patient, en posant des questions, ne remet pas en cause l’autorité du praticien, mais veut comprendre. Je pense que c’est très positif. Mais déstabilisant.
Qu’il s’agisse des débats sur la fin de vie ou sur l’assistance médicale à la procréation, la médecine est au cœur de réformes de société. Que traduisent ces revendications sur la façon dont elle est perçue ?
Sur ces questions, les médecins ont désormais des réponses pertinentes à proposer qui ne passaient par la médecine avant. Le périmètre d’intervention de la médecine s’est considérablement agrandi, car la science a progressé. Et la tendance à la médicalisation, voire à la surmédicalisation explique également ces nouvelles demandes. Avec le réflexe de se tourner vers la médecine. Et puis, il y a aussi un phénomène de vieillissement et d’enrichissement de la population, qui fait que l’on se préoccupe de plus en plus de sa santé individuelle. Au final, on pose des questions qu’on ne posait pas avant et qu’on trouve primordiales aujourd’hui ; et les pouvoirs publics se voient contraints d’y répondre.
Le droit des patients qui a émergé depuis les années 2000 vous semble-t-il une donnée de base incontournable pour toute réforme en matière de santé ? Le retour de l’obligation vaccinale n’en illustre-t-elle pas les limites ?
Oui, c’est un mouvement de fond qui est inéluctable avec l’augmentation du niveau d’éducation en matière de santé des populations. Il est normal que les gens en sachant plus soient plus exigeants ou demandent a minima à comprendre et plus encore à discuter. Des changements, des glissements de responsabilité se sont produits dans le sens du patient. Mais on n’est pas passé subitement d’un système dans lequel les médecins avaient autorité et commandaient à un système dans lequel les patients avaient le droit de décider pour eux-mêmes. À certains égards, la loi Kouchner est le rappel d’exigences de base, par exemple le droit de choisir si on veut être hospitalisé.
Dans ce contexte, je ne pense pas que l’obligation vaccinale, soit un retour en arrière. Au contraire, il faut souligner la façon dont les pouvoirs publics s’y prennent aujourd’hui, assez différente de celle d’autrefois. On a d’un côté la liberté de choix, de l’autre les exigences de santé publique. Il y a une tension entre les deux. Quand on décide de l’obligation vaccinale, mais sans sanction, il y a comme un flou, même s’il y aura des points de tensions comme lors de la scolarisation des enfants. Mais si ce problème survient, c’est justement parce qu’on pose comme donnée de base cette autonomie individuelle. L’accès de la population au savoir est irréversible. Même si cela ne se fait pas sans chaos. Les gens qui deviennent capables de comprendre comment fonctionne une maladie, les vaccins etc. sont aussi des gens qui deviennent vulnérables à des discours alternatifs plus ou moins fondés. Cela fait partie de l’apprentissage.
Le gouvernement actuel entend mettre l’accent sur la prévention, souvent présentée comme le talon d’Achille du système de santé français. Pourquoi cette particularité française ?
Est-ce vraiment une particularité française ? Il existe des politiques de santé publique chez nous comme ailleurs avec des efficacités variables d’une campagne à l’autre. Ensuite, ce n’est pas le premier gouvernement qui annonce cette intention. Cela demande beaucoup plus qu’une déclaration. Car un grand nombre de forces vont dans le sens contraire. Et, comme nos ressources sont limitées, il va falloir admettre à un moment donné qu’on en mette moins sur le curatif, si on veut vraiment mettre le paquet sur le préventif. Cela dépend aussi de la conception que les gens se font de la santé, de la maladie et des relations entre les deux. Ainsi, si on prend en exemple, le diabète de type 2, il est évident pour les médecins et les scientifiques, mais pas encore pour la population, que la plupart des cas seraient évitables par un simple changement de régime et même peut-être, selon certaines études, réversibles. C’est une information majeure, mais on en parle peu, peut-être parce que chacun a admis que c’est une maladie chronique. Je pense que les médecins aimeraient bien accorder plus d’attention à la prévention. Mais ça résiste, d’autant plus que certains ont intérêt à ce que cela ne change pas.
On insiste aussi sur l’exception française concernant la santé, que caractériserait un système mixte, à la fois public et libéral, plutôt généreux et dans lequel l’assuré jouirait de plus de liberté de choix. Cette présentation vous paraît-elle exacte ? Et si oui, est-elle menacée par le coût croissant de l’innovation ?
Nos voisins ont le même genre de discours sur la singularité de leur système de santé. Je pense que l’on choisit les critères sur lesquels on va se juger par rapport aux autres de façon à ce que ce soit avantageux. L’étude que l’OMS avait faite au début des années 2000 sur l’ensemble des systèmes de santé des pays développés plaçait la France en numéro un. D’autres études sur d’autres critères l’ont classé différemment… En réalité, les systèmes de santé changent très vite. Les comparer à un moment donné revient à faire un instantané sur quelque chose en évolution constante.
Le coût croissant de l’innovation est un vrai problème. Quand notre ministre de la Santé parle de « traitements pertinents », cela signifie que parallèlement à des coûts croissants pour des traitements innovants, un certain nombre de choses peuvent être démédicalisées sans impact majeur sur la santé des gens. Et de fait, les gens commencent à comprendre quels sont les signes de gravité qui les inciteraient à consulter et lesquels ne le nécessitent pas. Il doit y avoir ce glissement pour un certain nombre d’états. C’est une partie de la réponse. Il y a aussi un problème d’évaluation des thérapies innovantes avec un tri à faire entre une avancée réelle ou non. Le coût n’est qu’une partie du problème. Et la question est plutôt de savoir s’il faut payer le prix fort pour un médicament encore en phase 3. Je serais pour un coût croissant sur la durée du brevet.
De plus en plus de facultés de médecine intègrent des modules d’éthique ou de philosophie dans leur cursus. À votre avis, pourquoi ?
Les questions médicales concernent trois domaines de la philosophie : politique, morale et des sciences. Sur ces terrains, les philosophes sont descendus de leur tour d’ivoire pour engager des échanges avec le monde réel et en médecine tout particulièrement. Désormais, les questions d’éthiques font l’objet d’un enseignement obligatoire en médecine, ainsi que la philosophie des sciences sur laquelle les problématiques ne peuvent plus se poser comme à l’époque de Canguilhem dont le livre date de 1943. Parallèlement, les médecins éprouvent aussi le besoin d’apprendre en s’appuyant sur d’autres disciplines que la leur. D’une certaine façon, ils l’ont toujours fait d’ailleurs, se décentrant, pour aller chercher dans les autres disciplines ce qui pouvait les remettre en question. Pasteur n’était pas médecin. Et c’est grâce aux statistiques qu’a été créée l’épidémiologie… Aujourd’hui, on va chercher chez les philosophes une manière de trouver une vision d’ensemble, pour aider l’expert qu’est le médecin à se repérer dans l’ensemble des connaissances qui lui sont proposées aujourd’hui. Quand on parle d’immunothérapie ou qu’on est confronté à l’irruption des big data, on a besoin de manières de réfléchir différentes.
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