Des centaines de touristes font la queue sur le parvis de Notre-Dame pour visiter la cathédrale, chef-d’œuvre du style gothique. Il est 13 heures et à 100 mètres à vol d’oiseau, des internes entrent au compte-gouttes dans un petit bâtiment préfabriqué au milieu de l’hôpital de l’Hôtel-Dieu. Un lieu au style beaucoup moins catholique qui a remplacé il y a près de dix ans l’ancienne salle de garde transformée en centre de télémédecine.
Une vingtaine de couverts sont disposés sur trois rangées de tables installées en U. Aux fenêtres, pendent de vieilles tentures défraîchies. Un baby-foot trône dans un coin. Un cuisinier attend, à côté d’un chauffe-plats l’arrivée des convives. Les premières blouses blanches sur les lieux saluent, d’une tape sur l’épaule, l’économe, le maître des lieux. Elles lui demandent l’autorisation de s’installer à ses côtés et de se faire servir. Les murs ont parfois des oreilles. Ici, ils ont des phallus protubérants et des poitrines généreuses. Les seniors et les chefs de service représentés dans des saynètes hautes en couleurs, affichent un large sourire. C’est dans ce décor exotique que les internes vont déguster leur repas, qui l’est beaucoup moins – salade de tomates, cuisse de poulet, yaourt. Pendant cette courte coupure, interdiction de parler politique ou médecine jusqu’au café. Tout contrevenant recevra une taxe, choisie par l’économe ou par le tirage d’une roue. Le gage peut être une chanson paillarde, le mime d’une position sexuelle ou l’exhibition d’une partie du corps. Signe que tout ne tourne plus rond, la roue de l’Hôtel-Dieu est cassée.
Sas de décompression
La salle de garde, c’est un peu carnaval. « Ici, il n’y a plus de hiérarchie tout le monde se tutoie même si on s’adresse à un chef », explique Clément Delage, interne en 6e semestre de pharmacie et économe pour la seconde fois. Si les patrons viennent de moins en moins, certains seniors sont des fidèles du lieu. À 37 ans, le Dr Karim Farid, PH en médecine nucléaire y déjeune tous les jours. « Un bon hôpital est un hôpital où il y a une salle de garde, assène-t-il. Après le café, nous discutons des dossiers de patients. Ca va beaucoup plus vite de demander une radio ici. » La salle de garde, accessible de jour comme de nuit, est aussi un rocher sur lequel se replient les médecins dans la tempête ou pour faire la fête – un tonus y est traditionnellement organisé chaque semestre. « C’est un endroit corporatiste où nous nous retrouvons entre nous. On a une demi-heure pour rigoler, ça nous permet de décompresser. Une chose est sûre, on ne vient pas ici pour la gastronomie », glisse le Dr Farid dans un large sourire.
Une dizaine d’internes est maintenant attablée dont une majorité de jeunes femmes. Beaucoup n’ont pas entendu parler de « l’affaire de la fresque » (voir ci-contre). Souvent accusées d’être sexistes, les salles de gardes ne semblent pas effrayer la gent féminine présente. « Je savais que la déco était obscène mais ce qui m’a choquée au début, c’est qu’il n’y avait pas un mur blanc », explique une interne de pharmacie. Ce qui importe aux yeux des jeunes, c’est la convivialité du lieu plus que sa beauté. « C’est sympa de rencontrer les collègues dans une ambiance différente du self, souligne une autre. À l’Hôtel-Dieu, la salle de garde est gentille et on a un économe bisounours. À la Pitié-Salpêtrière, je préférais me taire pour ne pas être taxée et avoir à montrer mes seins ou mimer une position sexuelle. »« Quand on dit "non", on n’est pas obligée de le faire mais on se fait huer », précise sa voisine.
Un sujet clivant
Tombées en désuétude ou devenues trop vétustes, de nombreuses salles de garde ont fermé ces dernières années à Paris, à Necker, Trousseau ou Mondor. « C’est la guerre permanente avec l’administration qui trouve les salles de gardes archaïques et essaie, partout, de les fermer », affirme Jules Grégory, président du Syndicat des internes des hôpitaux de Paris (SIHP). À cela, une raison comptable : une personne est affectée pour amener les repas et nettoyer les lieux. « Les salles de garde sont un sujet clivant, poursuit Jules Grégory. Plein de gens n’y viennent plus à Paris car c’est souvent dégueulasse. Dans certaines, il y a des rats, et quand on arrive, les plateaux sont ouverts, froids et ne sont pas bons. Alors, la solution de facilité est de commander à manger et chacun reste dans son service. »
L’affaire de la fresque de Clermont-Ferrand est-elle annonciatrice de jours difficiles pour les salles de garde ? Le président des internes parisiens est pragmatique. « On n’est plus à l’âge d’or des salles de garde. Nous avons un modèle à réinventer mais il faut garder cet héritage, se l’approprier et en faire quelque chose de décent », conclut-il.
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