LE QUOTIDIEN : En quatre ans, les études de médecine ont été totalement refondues : les maquettes de 3e cycle en 2017, le 1er cycle l’an dernier et le 2e cycle et l'accès à l'internat cette année. Les promesses ont-elles été tenues ?
Pr PATRICE DIOT : Je pense profondément que ces trois réformes sont très cohérentes entre elles, mais que cela n’a malheureusement pas été perçu ! L’idée est toujours la même : il faut diversifier les profils des futurs médecins pour qu’ils répondent mieux aux besoins de la société.
Jusqu’alors, ceux qui entraient en médecine étaient systématiquement de très bons bacheliers, scientifiques, issus des métropoles et souvent de milieux favorisés. Ce qui n’a pas forcément produit des praticiens très attentifs aux besoins des territoires. Avec la réforme de l’accès aux études de santé, nous allons intégrer des étudiants, peut-être moins scientifiques, mais avec d'autres compétences personnelles, issus de milieux géographiques ou socio-économiques plus diversifiés. Ils auront ainsi peut-être plus envie d'exercer dans la région où ils ont grandi. De plus, la réforme du 2e cycle leur permettra de se sentir bien dans leur cursus. Nous allons passer d’un empilement de connaissances – très vite périmé d’ailleurs – à une vraie pédagogie de la compétence.
Auparavant, 80 % des étudiants admis en deuxième année de médecine étaient issus d’un bac S, mention très bien. Avec la réforme, avez-vous vu des étudiants littéraires intégrer les études de médecine ?
Oui j’en ai vu ! Mais ça n’a pas été mesuré précisément pour l’instant. Dans ma faculté, j’ai justement demandé au service pédagogique de faire une analyse comparative entre nos anciens étudiants PACES et ceux des nouvelles filières, en termes de bac obtenu, de mention, d’origine géographique… Je souhaite aussi analyser ces résultats en fonction notamment des résultats obtenus l’oral. Cet oral a été très mal perçu, alors que nous avons estimé que c’était justement une façon de diversifier les profils.
Justement, cette épreuve orale, qui compte pour 30 % en moyenne de la note finale pour accéder aux études de médecine, est très critiquée par les étudiants ...
Je vais prendre l’exemple de ma faculté pour ne mettre personne en difficulté. L’une des épreuves orales portait sur l’altération de la grande barrière de corail. Des parents nous ont dit que ce sujet était lamentable, estimant qu'il n'a aucun rapport avec les études de médecine. Or justement, nous demandions à l’étudiant d’être capable d’exprimer le fait que la santé environnementale puisse être considérée globalement.
C’est le concept de One Health dont nous avions parlé au cours de l’année aux étudiants. Certains l’ont très bien compris et ont eu 20/20. Et ce qu’on a observé, c’est que les étudiants qui ont échoué à l’oral étaient probablement ceux qui étaient passés par des prépas privées, où l’entraînement les a empêchés d’exprimer une certaine authenticité.
Avec cette promo « crash test », la première année a-t-elle réellement mis fin au gâchis de la PACES ?
Jusqu’à maintenant, 15 % des étudiants PACES accédaient en deuxième année de médecine et 30 % après redoublement. C’était dramatique et c’est d'ailleurs pour cela que l’on parlait de "boucherie". Avec la réforme, il y a réellement une deuxième chance, un ou deux ans plus tard, tout en ayant intégré une licence. Et nous avons prévu un pourcentage de places significatif pour eux, de l’ordre de 30 % pour les L.AS 2, la deuxième année de licence.
Avez-vous les moyens pour absorber le nombre supplémentaire d’étudiants ?
Au début, les moyens alloués ont effectivement été sous-évalués et nous avions alerté. Cette semaine, le ministère de l’Enseignement supérieur nous a annoncé qu’il débloquerait 10 millions d’euros pour accompagner la mise en place de la réforme du 2e cycle. Ça nous a beaucoup réconfortés, d’autant que 80 % de ces crédits sont pérennes et vont nous permettre de recruter. Nous avons besoin de renforts en enseignants, car les taux d’encadrement sont très variables en fonction des facultés. Nous sommes, là aussi, très en attente des 250 postes sur 5 ans qui nous ont été promis l’année dernière.
D’ici à 2022, les épreuves nationales classantes (ECN) laisseront place à trois modes d’évaluation pour accéder à l'internat, avec en particulier la prise en compte des compétences cliniques et relationnelles. Qu'est-ce que cela changera ?
C'est une révolution pédagogique ! Les enseignants devront mettre en place des examens cliniques objectifs et structurés (ECOS), à la fois pendant les stages mais aussi à travers un examen en 6e année, basé sur l’attitude de l’étudiant devant une situation clinique. C’est une grosse machinerie, mais je trouve cela extrêmement positif de prendre en compte les compétences relationnelles de l’étudiant dans son choix de spécialité. C’est le principe du matching, un algorithme qui mêle expérience personnelle, résultats aux épreuves cliniques et aux épreuves de connaissances. Par exemple, un étudiant qui veut devenir chirurgien et qui, pendant ses études, se sera engagé dans le monitorat d’anatomie, en montrant aux plus jeunes comme pratiquer une incision, sera favorisé.
On s'achemine vers un allongement des durées d’internat, comme en médecine générale où une 4e année est envisagée. Qu’en pensez-vous ?
Une 4e année d’internat ne sera pas de trop pour acquérir les compétences nécessaires à la médecine générale. Tout le monde n’a pas encore compris que l’apprentissage de la médecine générale, c’est l’apprentissage d’une spécialité, qui n’est pas simple.
Comment ces réformes vont-elles résoudre les graves difficultés de la démographie médicale ?
Le problème n’est pas tant le nombre de médecins que l'on forme, que leur devenir. Nous devons assumer nos responsabilités sociales et sociétales : il faut aller servir là où il n’y a pas de médecins. Il ne s'agit pas de stigmatiser les jeunes, car ils ne sont pas responsables des déserts médicaux ! Il faut simplement transformer le rapport du médecin avec les territoires et cela passe par la formation. Ainsi, la réforme du 2e cycle doit conduire à multiplier les stages hors CHU et en dehors des villes universitaires. Il faut aussi que l’accueil réservé par les collectivités soit de qualité, ce qui n’est pas toujours parfaitement le cas. Les zones sous-denses doivent considérer ces jeunes comme précieux et les accueillir à bras ouverts.
Pour réduire les risques psychosociaux des étudiants, il est prévu de retirer l’agrément de certains terrains de stage considérés comme « maltraitants ». Est-ce une décision qu'il vous est déjà arrivé de prendre ?
Oui, j’ai moi-même procédé à une suspension d’agrément de stage dans ma subdivision. C’est un étudiant qui m’a écrit pour me signaler une situation décrite comme inacceptable. J’ai suspendu l’agrément et averti le maître de stage de cette suspension à titre conservatoire. L’instruction est en cours, et si les résultats de l’enquête ne permettent pas d’établir les faits, le terrain de stage pourra rouvrir.
Une fois qu’il y a un signalement, le premier réflexe est de protéger tout de suite l’étudiant, en attendant de voir si les faits sont avérés. Sur ce sujet, je souhaiterais que les étudiants nous fassent davantage confiance au niveau local. Peut-être n’avons-nous pas été assez réactifs par le passé… En novembre prochain, nous allons faire un premier bilan du plan d’action contre les risques psychosociaux, signé en mars avec les étudiants, et je leur proposerai de mettre en place des dispositifs locaux de signalement.
La maltraitance passe aussi par un temps de travail excessif des internes. Comment changer vraiment cela ?
Il faut appliquer la loi, le temps de travail ne doit pas dépasser 48 heures par semaine. Et pour cela il faut que nous – encadrants, étudiants – puissions nous doter d’outils permettant d’objectiver ces dépassements de durée de travail, lorsqu’ils sont imposés contre l’avis des étudiants. Il faut que l'on donne aux internes les moyens de faire valoir leur droit.
Mais je crois qu’il y a également une réelle interrogation à mener sur le statut de l’interne. Dans le code de la santé publique, on parle de « professionnel de santé en formation ». Là où le bât blesse, c’est que l’on est dans un entre-deux. On ne peut pas, d’un côté, dire que l’interne est un étudiant qui apprend, et de l’autre lui imposer de travailler plus car on a besoin de lui pour maintenir une offre de soin !
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