PARC DE LA CITADELLE, à Lille, le 19 septembre. Lors d’une journée d’intégration des étudiants de 2e année, organisée par les 3e année, un étudiant subit des actes humiliants d’ordre sexuel. Pour protéger la dignité du jeune homme, ni le doyen de l’université, le Pr Didier Gosset, ni Pierre Catoire, président (lillois) de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), n’entreront dans les détails. « Dès que j’ai été avisé de ces faits qui se sont déroulés hors de l’enceinte de l’université, j’ai informé le procureur et le parquet de Lille. Les événements qu’on m’a décrits sont d’une gravité extrême, ils sont indignes, intolérables, et doivent être dénoncés », explique le Pr Gosset au « Quotidien ». Le parquet a immédiatement ouvert une enquête préliminaire pour viol. Mais cette qualification pénale pourrait être revue, car l’étudiant n’a pas engagé de poursuite et s’est déclaré « consentant ». Reste le délit de bizutage, que la victime soit consentante ou non, passible de 6 mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.
Bizutage ? Depuis 1998, les mentalités ont intégré la loi pénalisant ces pratiques. « On ne parle pas de bizutage, ce sont des dérapages très rares », s’agace Pierre Catoire, qui préfère insister sur le rôle social des associations et la vente de polycopiés à l’année. La ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Geneviève Fioraso, a encore rappelé cet été via une circulaire envoyée aux recteurs, présidents et directeurs d’établissements, l’interdiction des bizutages et les risques de l’alcoolisation. « On est dans un contexte de rentrée scolaire, c’est pour cela qu’on parle de bizutage », reconnaît le Pr Gosset. « Le problème de fonds qui demeure toute l’année, c’est en revanche le binge drinking, l’alcoolisation à outrance », analyse-t-il. À Brest, le week-end d’intégration du 28 au 30 septembre a été annulé, une jeune femme ayant porté plainte après la première soirée pour viol. Une enquête est en cours pour savoir s’il y a eu viol ou rapport consentant. Personne ne parle de bizutage.
Dans les universités, les étudiants des plus sages aux plus déjantés récusent ce terme. Anne* a participé à 2 week-ends d’intégration (WEI) en 2e et 3e année à la faculté de médecine d’Angers, après avoir brillamment réussi sa première année « sans boire une goutte d’alcool ». « Si on ne voulait pas faire certains jeux, personne ne nous y obligeait. Je n’ai pas participé à des jeux d’obstacle où tu devais boire si tu perdais, ni aux chaînes de vêtement où tu pouvais finir dénudé. Cela me faisait rire, c’était très bon enfant. » Parmi ses bons souvenirs, elle retient surtout la rencontre avec ses amis d’aujourd’hui.
« Si tu veux faire n’importe quoi, pourquoi pas. Mais je n’ai jamais vu quelqu’un poussé à faire quelque chose qu’il ne souhaitait pas, ni être humilié devant tout le monde », témoigne aussi Antoine*, qui a vécu ses premières années fêtardes à la faculté de médecine de Brest, il y a 5 ans.
Suspicions et non-dits.
« C’est vrai, il y a des non-dits autour de ces WEI, et les suspicions de viol ne sont pas rares », concède-t-il pourtant. Son actuelle colocataire Sarah*, qui a fait pharmacie à la faculté de Nantes, a vécu un WEI tourmenté il y a 5 ans. « Nous avons été réveillés par les gendarmes le lendemain car il y avait une suspicion de viol. La soirée s’était bien passée, nous n’avons pas été forcés à boire, il n’y avait pas de jeu à connotation sexuelle », s’étonne-t-elle encore.
Certains agissements, s’ils n’ont pas la gravité du viol, peuvent être vécus comme des humiliations par des étudiants, qui, parfois, ressortent de ce premier WEI** avec une réputation qui leur collera longtemps à la peau. « Ceux qui ont mal vécu leur WEI sont souvent ceux qui, sans être forcés, se retrouvent à faire des choses qu’ils n’auraient jamais faites sans l’alcool ni l’esprit de groupe. Une étudiante plutôt sage a ainsi baissé sa culotte, imitant une autre fille qui enlevait son haut. On lui en parle encore », raconte Antoine. « Parfois, plus tu fais n’importe quoi, plus tu seras bien vu ».
Esprit de groupe, alcoolisation extrême après une première année éprouvante de labeur, week-end en camping, loin de tout ... Ces dérapages ne sont pas propres aux carabins et certaines grandes écoles sont aussi coutumières du fait.
Les éviter reste un casse-tête pour tous les acteurs. Les hautes sphères des universités sont peu armées face à des manifestations organisées par les étudiants. À Lille, le doyen a fait lire la circulaire de Geneviève Fioraso en conseil de la faculté devant les représentants des étudiants et un cours de première année est consacré à la prévention contre « les grands fléaux » comme l’alcool et le cannabis. Toutes les manifestations festives sont interdites dans l’enceinte de l’université.
Le Pr Dominique Perrotin, président de la conférence des doyens, ne cache pas son embarras. « Il ne faut pas condamner les séminaires d’intégration : cela permet à une promotion d’avoir un sentiment d’appartenance. Mais je suis très anxieux face aux excès d’alcool », confie-t-il au « Quotidien ». Il ne prétend pas avoir de solution miracle. « Les étudiants sont des adultes : on ne peut pas aborder le problème de façon paternaliste ou exclusivement répressive. Nous ne sommes pas des policiers ».
Préservatifs et éthylotests.
La balle est donc du côté des associations d’étudiants, qui jouent la carte de la responsabilité. À Montpellier, la corporation est outrée des accusations de l’Union Nationale des Étudiants de France (UNEF), qui vient de dénoncer dans un communiqué « l’omerta qui entoure le bizutage des étudiants de médecine ». « L’intégration est avant tout destinée à souder une promotion. On ne force personne », réagit l’association des étudiants de médecine. « Nous engageons un agent de sécurité formé au secourisme pour une centaine de personnes. Nous donnons des préservatifs et des éthylotests. On s’assure que les étudiants ne repartent pas ivres. Et la consommation d’alcool est régulée par un système de tickets. Il n’y a pas eu de problème cette année ».
À l’université Pierre et Marie Curie (Paris VI), tous les dispositifs de prévention pour le week-end d’intégration, qui a lieu dans 2 jours dans l’Ouest de la France, sont fin prêts. « Nous avons envoyé par mail à tous les participants le rappel du doyen sur l’interdiction du bizutage. Nous faisons appel à la société nationale des sauveteurs nationale pour assurer la sûreté des étudiants. Un local est réservé pour les premiers soins. Et les barmen ont ordre de ne pas servir des étudiants trop ivres : ils engagent même un chèque de caution. Enfin, nous avons des vigils pour s’assurer que personne ne reprend la voiture ivre et des kits de secours sont disponibles pour ceux qui repartent en car », décrit Gary Borrel, le président de l’association CEMP6. Cette prévention a un coût : 95 euros par étudiant pour le WEI.
Cela suffira-t-il à supprimer tout excès ? « Tout le monde sait que les tickets de ceux qui ne boivent pas, peuvent être cédés ou vendus » sourit Anne.
*Tous les prénoms ont été changés
**Certains les qualifient de Week-ends de désintégration
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