Cela fait un moment que la cocotte-minute fait pschitt… Il y a un mois déjà l’Intersyndicat national des internes (Isni) tirait la sonnette d’alarme auprès du nouveau président de la République sur les conditions de travail des futurs médecins, alors que pas moins de cinq internes se sont donné la mort depuis janvier 2017. Une situation dramatique qui – malheureusement – confirme que les différentes structures d’étudiants et jeunes médecins avaient vu juste en lançant, en janvier dernier, une grande enquête nationale sur la santé mentale des jeunes en médecine.
Une étude de grande ampleur
Les syndicats des étudiants (Anemf), des internes (Isni et Isnar-IMG) et des chefs de clinique (ISNCCA) ont donc mené une grande étude dans le prolongement du travail engagé l’année dernière avec l’Ordre. En 2016, 8 000 étudiants et jeunes médecins avaient répondu au questionnaire du Cnom. Cette année, l’enquête nationale, dont les structures jeunes présentaient les résultats cette semaine, est d’une envergure inédite pour la France. 21 768 carabins et jeunes médecins ont ainsi répondu au questionnaire : 4 255 étudiants en 1er cycle, 8 725 en 2e cycle, 7 631 en 3e cycle et 1 157 chefs de clinique et assistants hospitaliers universitaires. Parmi eux, plus de deux tiers de femmes (68,7 %) contre un tiers d’hommes (31,3 %). L’ampleur de l’étude est un argument important pour permettre de faire avancer le sujet de la santé mentale des jeunes médecins, mais c’est surtout les chiffres récoltés qui poussent à agir tant le constat est alarmant.
D’après les résultats de cette enquête, deux tiers (66,2%) des étudiants en médecine et jeunes médecins souffriraient ainsi d’anxiété, 27,7 % de dépression* et 23,7 % auraient déjà eu des idées suicidaires, dont 5,8 % dans le mois précédant l’enquête. 3,4% ont également déjà fait une tentative de suicide. « Nous savions que la situation était grave, mais nous ne nous attendions pas à avoir des chiffres aussi élevés, surtout pour l’anxiété et les risques suicidaires », analyse Leslie Grichy, vice-présidente de l’Isni chargée des questions sociales.
Certes, une revue de la littérature scientifique parue en 2016 dans le Jama évoquait 27,2 % des étudiants en médecine touchés par la dépression, ce qui valide les constats de l’étude révélée cette semaine. Mais, pour l’anxiété et les idées suicidaires, les points de comparaison étaient plus rares. « Les chiffres sur les idées suicidaires dans le mois précédant l’enquête, c’est quand même une vraie claque », estime Stéphane Bouxom, porte-parole de l’Isnar-IMG, syndicat des internes en médecine générale. À titre de comparaison, d’après le Baromètre Santé 2010 de l’INPES, seuls 3,7 à 4 % de femmes et 2,6 à 3,7 % des hommes âgés de 20 à 34 ans ont des idées suicidaires dans la population générale…
Cette étude nationale ne permet pas de faire des déclinaisons très précises au plan régional. Pour autant, elle suggère que la Bretagne est moins touchée par la dépression (20,5 %). Différence qui s’explique peut-être par le fait qu’il s’agit aussi du territoire le plus avancé en matière de santé au travail. Dans une moindre mesure, Occitanie (24,1 %) et Auvergne-Rhône-Alpes (25,7 %) sont également des régions plutôt moins touchées par le phénomène. À l’inverse, Grand-Est (32,2 %) et Centre-Val-de-Loire (32,7 %) seraient plus à risque. « Nous aurions pu penser que la mobilité était un facteur de risque, mais, en fait, ça n’a pas vraiment d’impact », constate en revanche Stéphane Bouxom.
Les concours plus stressants que les stages hospitaliers
[[asset:image:11860 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["BURGER\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]La situation est donc grave à tous les étages, même s’il existe quelques disparités entre étudiants. Si les chiffres sur les idées suicidaires restent globalement identiques quelle que soit l’avancée dans les études de médecine, en revanche, les étudiants en 1er et 2e cycles apparaissent davantage sujets à la dépression et à l’anxiété que les internes. En effet, 68 % des étudiants de 1er cycle et 71,3 % de ceux de 2e cycle souffrent d’anxiété, contre 59,8 % des internes. Les femmes semblent aussi beaucoup plus touchées, avec 70,9 % d’anxiété contre « seulement » 55,8 % chez les hommes.
Pour la dépression, on relève la même distinction entre les internes et les autres. Trois étudiants des 1er (30,9 %) et 2e cycles (31,1 %) sur dix sont affectés par cet état alors qu’un peu moins du quart (22,8 %) des internes est concerné.
Une différence qui s’explique sans doute par le stade où l’on se situe dans les études de médecine. « Ce qui ressort de l’étude, c’est que la pression universitaire trop grande joue une part importante dans la santé mentale des étudiants, constituant un facteur de risque élevé », explique Clément Le Roux, vice-président de l'Isni, en charge de la Santé globale. Charge de travail universitaire, compétition ou ECN pèsent donc lourd sur les épaules des étudiants des deux premiers cycles. En comparaison, les internes paraissent donc moins en souffrance que leurs cadets. Même s’il faut garder à l'esprit que leur santé mentale est loin d’être au beau fixe en comparaison avec les jeunes adultes en population générale...
L’autre surprise de cette étude est qu’il n’y a quasiment pas de différence sur la dépression entre les sexes (27,6 % chez les femmes, 27,8 % chez les hommes). Cela peut étonner, les femmes semblant plus affectées par le phénomène en population générale : selon les chiffres de 2010 de l’INPES, de 15 à 75 ans, 10 % en étaient affectées contre 5,6 % des hommes.
La médecine générale aussi...
Peu de différences aussi, semble-t-il, entre la médecine générale et les autres spécialités. En effet, sur les 2 466 IMG ayant répondu à l’enquête, 60,5 % souffrent d’anxiété, 23 % de dépression et 24 % ont déjà eu des idées suicidaires. Des chiffres très proches de ceux des internes dans leur globalité. L’insuffisance d’attractivité de la discipline souvent mise en relief n’est donc pas, sous cet angle, un élément péjoratif. À moins que celle-ci ne soit contrebalancée par un moindre stress sur la suite : « L’aspect carrière est beaucoup moins présent en médecine générale, nous n’avons pas, par exemple, la pression de devoir obtenir un poste », explique Stéphane Bouxom.
Développer la prévention primaire
[[asset:image:11861 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["VOISIN\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]L'étude éclaire aussi sur les facteurs de risque chez les étudiants. Au-delà des facteurs personnels – comme les antécédents psychiatriques ou le fait ou non d’avoir des enfants – le constat dresse l’inventaire de la dure vie de carabin. Violences psychologiques, fatigue, soutien plus ou moins déficient des pairs, absence de soutien des supérieurs hiérarchiques, insuffisance d’encadrement paraissent impacter lourdement la santé mentale des jeunes professionnels de santé. Ils sont ainsi 51,5% à avoir déjà subi des violences psychologiques dont près de 10% souvent ou très souvent et 33,5% jugent également l'encadrement insuffisant.
Un constat dont les structures jeunes s’emparent pour proposer des solutions. Les syndicats demandent ainsi des cadres mieux formés au management lors de leur formation initiale et continue. L’objectif est aussi d’avoir des étudiants moins livrés à eux-mêmes lors de leur cursus. Ils recommandent donc de mettre en place des temps d’échanges réguliers au cours du cursus entre l’étudiant et un professionnel qualifié dans la relation médecin-patient. L’instauration d’un portfolio pendant toute la durée des études permettrait aussi au futur médecin de faire le point régulièrement sur son parcours avec son encadrant. La formation des référents pédagogiques à la détection et au dépistage de la souffrance au travail des étudiants ou la sensibilisation des intéressés à la question des risques psychosociaux pendant leurs études sont d’autres pistes avancées.
Certains départements de médecine et associations d’étudiants ont déjà créé des dispositifs sur les risques psycho-sociaux. C’est le cas notamment de structures d’écoute et d’assistance. Les répertorier et les développer est donc un enjeu important aux yeux des syndicats qui préconisent aussi la généralisation des Bureaux d’Interface entre étudiants et professeurs (BIPE) dans toutes les UFR. « Dans ce qui existe déjà, il y a surtout des dispositifs de prévention secondaire, mais peu de prévention primaire, il faut donc avancer dans ce sens-là », suggère Stéphane Bouxom pour lequel « il faut aussi correctement appliquer les réglementations existantes censées protéger les étudiants ». « Il y a certains facteurs de risque qui sont prévus dans la réglementation, et nous voyons à travers l’enquête que, quand elle n’est pas appliquée, c’est pire », insiste le porte-parole de l’Isnar-IMG. Le respect de la réglementation sur le temps de travail, du repos de sécurité ou des congés parentaux est, en effet, un cheval de bataille récurrent des organisations de jeunes.
Inciter à la pratique d’activités extra-universitaires
Les facteurs protecteurs doivent aussi être alimentés. L’enquête montre que les étudiants qui ont des activités syndicales, associatives, etc., sont moins susceptibles d’être déprimés ou anxieux. Pour les syndicats, la pratique d’activités extra-universitaires doit donc être valorisée dans le parcours de l’étudiant. L’étude révèle également que les jeunes qui ont eu une visite chez les médecins du travail depuis moins d’un an sont moins sujets à la dépression et l’anxiété. Or seuls 45,3 % des sondés en ont déjà vu un et seulement 15,5% dans l'année. Les associations demandent donc que la visite soit « obligatoire et systématique à chaque changement de statut (externe, interne, assistant) ». « À l’Isnar-IMG, nous pensons même que les IMG doivent avoir un médecin traitant. Il faut avoir une campagne d’incitation à aller voir son généraliste et, éventuellement, la prise en charge d’une consultation dédiée à la détection des risques psychosociaux, comme cela se fait pour les campagnes de dépistage », estime Stéphane Bouxom.
Reste qu’avec cette étude, le mythe de l’interne infatigable a vécu. « On commence à oser briser les tabous, il y a une prise de conscience que la population des soignants peut aussi être vulnérable et sujette à des moments de souffrance », analyse Stéphane Bouxom. Les épisodes dramatiques de ces derniers mois ont certainement encore davantage accentué cet éveil des consciences. Les résultats de cette enquête servent à confirmer un état des lieux qu’on pressentait très alarmant, mais surtout la nécessité d’un passage à l’action urgent et rapide. La balle est dans le camp des pouvoirs publics.
*la dépression et l'anxiété ont été recherchées et évaluées par le questionnaire HADS (Hospital Anxiety and Depression Scale)
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