Le Dr Christian Sadek a décidé de s’installer il y a bien des années dans un village du Lot (46), à Cazals, 630 habitants. Mais plus le temps a passé, plus son logement s’est éloigné de son cabinet. « Au début, j’habitais à 300 mètres, puis à 600 mètres... Aujourd’hui, j’habite à 6 km de Cazals, à la bordure d’un autre village ! J’y suis un citoyen plus anonyme même s’il m’arrive de répondre à des urgences dans mon voisinage, comme cette voisine venue me tirer de la piscine car son mari était en train de faire un infarctus ! »
Mettre de la distance géographique pour mettre un peu de distance avec ses patients ? Nombreux sont les médecins, jeunes ou moins jeunes, à faire ce choix !
Atouts pour drainer une patientèle
Au début, le fait d’habiter près de son cabinet est une solution économique et pratique. Il est facile de se rendre rapidement sur son lieu de travail et de rentrer chez soi en cas de trou dans son emploi du temps. Par ailleurs, on est presque sûrs de ne pas louper les patients, la proximité aidant : « Les habitants de Cazals ont vite compris où j’habitais et venaient même frapper directement chez nous », déclare Christian Sadek.
Ces dernières années, ce sont les municipalités qui, pour attirer des médecins généralistes, ont développé des accueils clé en main cabinet + logement au cœur de leur cité ! On trouve pléthore d’annonces dans ce sens comme celle-ci : « espace municipal réhabilité en cabinet médical avec salle d’attente et grand logement refait à neuf à l'étage ».
Le risque d'être corvéable 24h/24
Habiter près de son lieu de travail crée aussi une relation particulière avec ses patients : le plus souvent marquée par de délicates marques d'attention. Mais cette proximité peut aussi parfois être vécue comme une intrusion en l'absence de limites, rapporte le Dr Sadek : « J’ai eu droit régulièrement à des cuissots de gibier, mais en contrepartie ma disponibilité m’était imposée, j'étais comme corvéable 24 heures sur 24. Il s’agit de répondre dans la rue à cette mère inquiète des régurgitations de son bébé, ou de rester calme sur le marché le dimanche matin, face à l’injonction de cet homme d’aller visiter son père grippé ! »
Ainsi quand on débute, habiter à côté de son cabinet peut être un levier pour développer sa patientèle. Être vu en ville permet de se faire connaître et reconnaître.
S'éloigner pour ne pas être harcelé
A contrario, nombreux sont les médecins qui préfèrent couper entre leur vie personnelle et professionnelle. Le Dr Agathe Chevalier s’est installée en janvier 2019 à 45 minutes de son domicile toulousain. « Mes parents médecins étaient installés dans le village où nous habitions, j’ai pris la décision de ne surtout pas reproduire le même schéma et d’avoir une vie en dehors de la médecine. C’était une évidence ! » La jeune généraliste n'a pas voulu reproduire le modèle parental. « Mes parents étaient très disponibles pour les villageois, parfois même harcelés et moi, en ayant fait des remplacements ponctuels dans leur cabinet, j’ai subi pendant les fêtes de village des demandes médicales déplacées. J’étais incapable de répondre ne connaissant pas bien le dossier médical ; et surtout, j’ai trouvé ça mal poli ! » La jeune médecin a donc pris sa décision de ne jamais habiter où elle exercerait. « Ce n’était pas négociable, je ne voulais pas développer une forme d’anxiété à l’idée d’être soumise à ma patientèle. » Aujourd’hui, le Dr Chevalier ne dit pas à ses patients où elle vit, travaille trois jours et demi par semaine et utilise son temps de transport comme un sas entre ses deux vies. Et elle est très satisfaite de ce choix !
Le Dr Simon Chabas, lui non plus, ne souhaite pas être « identifié » par ses patients ; il a choisi en toute connaissance de cause un domicile à 20 km de Lançon-Provence (Bouches-du-Rhône) où il exerce, après des expériences et des échanges avec des médecins remplacés. « Le sujet intéresse et la question du rapport entre posture et distance géographique interroge les internes », explique-t-il. Comme sa consœur, ses trajets en voiture permettent aussi de fermer la porte après des journées lourdes. « On se sent plus libres », commente-t-il.
Garder ses distances
Cependant, ceux qui décident d’une certaine proximité géographique pour gagner du temps et de l’argent, doivent éviter le mélange des genres et s'employer à garder leurs distances avec les patients (adopter le vouvoiement par exemple) pour éviter une trop grande intrusion. Il impose aussi de savoir résister à certaines sollicitations à la porte de chez soi, dire non avec fermeté, bienveillance et diplomatie. Séparer ses vies personnelles et professionnelles est primordial. La jeune génération semble l'avoir bien compris.
A. C.
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