« Le système de formation français est performant mais maltraitant » : épuisée par son internat, une jeune généraliste part s'installer en Suisse

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Publié le 27/10/2023

Pour la Dr Sarah Daudé, généraliste de 30 ans, l'idée de partir s'implanter à l'étranger a germé dès la fin de l'externat. « Après les ECN, je n'ai pas eu les spécialités que je voulais (chirurgie viscérale ou maxillo-faciale), je me suis donc déjà interrogée sur la possibilité d'aller tenter ma chance en Suisse car le système de choix est beaucoup plus libre ». Après réflexion, l'idée est balayée par l'étudiante. « À l’époque, mon mari ne pouvait pas vraiment déménager pour des raisons professionnelles », se remémore-t-elle.

Broyée par le système

Classée en première moitié de liste, la jeune femme opte finalement pour la médecine générale à Paris. Les années passent et l'envie de voir de nouveaux horizons demeure. Canada ? Suisse ? L'interne ne sait pas encore. Une chose est sûre, elle ne pourra pas supporter ad vitam aeternam un système de santé français « de plus en plus en déclin » et incompatible avec ses aspirations.

Durant ses stages d'interne, elle est confrontée – comme pendant son externat – à des « éléments frustrants voire bloquants dans ses prises en charge ». « J'avais l'impression de ne pas avoir suffisamment de temps pour les patients », se souvient la généraliste qui dénonce les « situations de maltraitance médicale » dont elle a été témoin.

Une maltraitance structurelle dont elle a elle-même été victime en tant qu'interne stagiaire. « Le rythme de travail était très intense, les encadrants nous en demandaient toujours plus, nous étions en sous-effectif constant avec des horaires intenables et du matériel non adapté. Les professionnels de santé qui nous encadraient étaient tellement à bout, parfois en burn-out, qu'ils en devenaient maltraitants. Le système de formation en France est certes exigeant et performant mais l'accompagnement n'est pas toujours bienveillant car les médecins sont surmenés », livre aujourd'hui la praticienne, sans fard.

Annonce de rempla à Fribourg

Malgré tout, l'interne tient le coup et achève son internat à Paris, en novembre 2022. Elle trouve aussitôt des remplacements dans un cabinet de médecine générale situé dans le 17e arrondissement de Paris où « l'ambiance est plutôt agréable » mais le rythme très intense. « Je travaillais essentiellement les week-ends et les soirs, je rentrais chez moi à minuit. J'étais en décalage avec mon mari que je ne voyais plus du tout », raconte-t-elle.

Alors que l'envie de partir exercer à l'étranger lui trotte toujours dans la tête, elle tombe en janvier 2023 sur une annonce de remplacement basé en Suisse, à Fribourg. « Une généraliste cherchait un contrat de remplacement pour son congé maternité. Je l'ai contactée aussitôt par téléphone et j'ai été convaincue par les conditions de travail proposées. J'ai saisi l'occasion et je suis allée les rencontrer une première fois en avril, ça s'est très bien passé. J'ai signé le contrat de remplacement avec eux dans la foulée. Le projet étant qu'ensuite je m'installe définitivement avec eux », rapporte-t-elle.

« Tout le temps supplémentaire est facturé »

Une fois les équivalences de diplôme et de permis de séjour obtenues, la généraliste déménage, avec son mari, à Fribourg, en juin 2023, pour un début de contrat de remplacement en juillet. « À ce jour, je suis encore sous supervision avec le statut de médecin assistant. C'est un peu l'équivalent du SASPAS en France. Ça me permet d'être complètement autonome mais, officiellement, je travaille sous le nom d'un autre médecin du cabinet. En tant qu'étrangère, je n'ai pas le droit de m'installer d'emblée comme indépendante », explique-t-elle.

Avec ce statut de médecin assistant, elle perçoit un salaire moyen de base* d'un peu moins de 5 000 euros brut mensuels. « C'est moins que lorsque j'étais remplaçante à Paris mais c'est bien plus élevé que lorsque j'étais interne en SASPAS (environ 2 100 euros bruts par mois) », note la généraliste. Une fois définitivement installée, la praticienne peut espérer un salaire encore plus attractif.

Car en Suisse, « le tarif de la consultation de base de 15 minutes varie de 69 francs suisses (72 euros, NDLR) à 140 francs suisses (147 euros), selon ce qui a été fait et si c'est une urgence ou pas. Pour une heure de consultation, cela peut monter à 200 francs suisses (210 euros), voire plus. C'est bien plus élevé qu'en France ! Ici, tout le temps supplémentaire passé avec le patient est facturé. L'interprétation des résultats biologiques, la lecture des comptes rendus d'examens (IRM, scanner, échographie) et de consultations spécialisées sont également cotables. En France, tout ça est du travail gratuit », fait remarquer la praticienne.

Médecine de luxe

Outre le volet financier attractif, les conditions de travail « beaucoup plus respectueuses » ont séduit la jeune généraliste. « Ici, on se sent considérée et respectée. Le respect des patients vis-à-vis des soignants est très différent par rapport à la France », souligne-t-elle. La praticienne décrit un rythme « plus cool ». « Nous commençons à 8 h le matin et nous finissons en principe à 18 h, avec deux heures de pause le midi, mais la plupart du temps il n'y a plus personne dès 17 h. Je suis pour ma part à 80 % et je bénéficie de deux demi-journées off par semaine. Cela me permet d'avoir du temps pour moi et c'est beaucoup plus compatible avec une vie de famille. »

Quant à la prise en charge des patients, il n'y a « pas photo non plus », estime la Dr Sarah Daudé. « Les généralistes voient en moyenne 10 à 15 patients par jour, cela peut monter à 20 pour les médecins installés depuis plus longtemps, mais c'est très rare ! Cela permet de prendre vraiment le temps », fait-elle valoir. Plus nombreux, les spécialistes sont aussi plus accessibles. « Lorsque j'ai besoin d'un avis de spécialiste pour un patient, que ce soit en dermatologie ou en ophtalmologie, j'obtiens un rendez-vous dans la semaine. Même chose pour les examens comme les IRM. Tout va plus vite, les prises en charge sont plus efficaces et nous avons les moyens de bien prendre en charge les patients, c'est beaucoup plus satisfaisant au quotidien. »

Autre avantage, la densité élevée d'infirmiers sur le territoire suisse. « Ici, il y a un infirmier pour deux ou trois patients, en France c'est un pour 20 patients », observe-t-elle. Les salaires élevés des médecins leur permettent d'embaucher des secrétaires et des assistants médicaux. « Nous avons un assistant par médecin dans notre cabinet soit trois au total. Ils sont aptes à réaliser les bilans biologiques, les soins et les traitements. Comme nous disposons d'un laboratoire au sein du cabinet nous avons les résultats très vite. C'est vraiment une médecine de luxe », confie-t-elle.

Eldorado… inégalitaire

Aucune ombre au tableau donc, si ce n'est un système de santé à la fois plus inégalitaire et plus onéreux, basé sur le principe d'une assurance-maladie privée et individuelle. « En Suisse, les résidents (sauf cas exceptionnel – accident, invalidité, chômage, NDLR) payent leur assurance-maladie et leurs consultations. Si un patient a des problèmes de santé importants, il a tout intérêt à prendre une franchise basse et payer plus cher sa prime chaque mois afin de bénéficier d'une exonération de 90 % du montant de consultation. Car les tarifs pour certaines spécialités montent parfois jusqu'à 500 francs suisses ! »

Ce système peut dissuader certains patients de suivre des soins ou de réaliser des examens. « Là, ça devient plus compliqué et frustrant pour les prises en charge », concède-t-elle. Un sondage de TA media a montré à cet égard que la hausse incessante des primes d’assurance-maladie était la première préoccupation des Suisses. Par ailleurs, un tiers des foyers helvètes ne parviennent pas à payer leur assurance sans soutien financier de l'État.

En tout état de cause, la généraliste ne regrette nullement sa décision. Elle espère poser définitivement ses bagages et faire carrière dans la confédération helvétique.

*Le salaire de base d'un médecin assistant travaillant à 100 % s'élève à 6 000 euros bruts


Source : lequotidiendumedecin.fr