Échanges aigres-doux voire tendus entre les syndicats étudiants et de jeunes médecins et les députés : lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 20 mai 2025, sur les difficultés d’accès aux soins, le débat s’est électrisé entre les élus et les représentants des juniors, parfois accusés de ne pas prendre toute leur part dans le combat contre la désertification médicale.
“Je ne jette pas la pierre aux jeunes médecins mais…
Christophe Naegelen, député des Vosges (Liot)
Des députés ont insinué à plusieurs reprises que la jeune génération, moins portée sur le travail que leurs aînés, était en partie responsable des difficultés d’accès aux soins. « Je ne jette pas la pierre aux jeunes médecins, mais ne pensez-vous pas qu’il y a eu un changement de mentalité sur la durée de temps de travail ?, a taclé le rapporteur de la commission Christophe Naegelen (Liot). J’entends que chacun doit vivre sa vie, et encore une fois il n’y a aucun jugement de valeur, car les médecins n’ont plus vocation à travailler 80 heures par semaine mais j’ai presque envie de dire que le décrochage a été brusque (…) et je pense que cela a accentué les difficultés d’accès aux soins », a-t-il affirmé, sans renier les dégâts causés par le numerus clausus dès le début des années 80.
L’argument du député des Vosges a aussitôt été contrecarré par les organisations syndicales. « C’est vrai, les jeunes travaillent un peu moins, il y a une volonté d’équilibre entre la vie professionnelle et privée mais c’est tout à fait souhaitable, a recadré Raphaël Dachicourt, président du syndicat de médecins remplaçants Reagjir. Nous avons des données de 2021 qui montrent que 45 % des généralistes libéraux présentent des symptômes de burnout ce qui est assez affolant. L’enjeu est de permettre aux jeunes de soigner mieux et plus longtemps en bonne santé. »
S’appuyant ensuite sur des données chiffrées d’une enquête menée conjointement par le Collège de médecine générale (CMG) et l’Ordre sur le temps de travail des généralistes, le président de Reagjir a tordu le cou l’idée qu’il faudrait deux jeunes pour remplacer un confrère qui part à la retraite. « Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, le delta entre les médecins de moins de 40 ans et ceux de 60 ans n’est pas si grand. On estime que les moins de 40 ans travaillent en moyenne 8,1 demi-journées et les plus de 60 ans sont à 8,9. » En 2019, la Drees estimait le temps de travail hebdomadaire des médecins de moins de 50 ans à 41,5 heures par semaine et à 46, 5 heures pour les plus de 50 ans, sans compter les sept heures et demie de tâches annexes pour ces deux catégories.
La nature de la consultation a changé
Pour Bastien Bailleul, président de l’Isnar-IMG, opposer la façon d’exercer de la jeune jeune génération à l’ancienne n’a que peu d’intérêt. « La nature même de la consultation a changé. Avant, on enseignait un modèle très descendant : avec le médecin qui décidait et qui imposait le traitement au patient. Aujourd'hui, on parle de décision médicale partagée », analyse-t-il. Ce qui prend plus de temps : « Il faut expliquer au patient la nature de son affection, la nature de ce qu’il se passe et pourquoi on pense que ce serait cette option de médicament ou cette option qui pourrait lui aller le mieux. Cette relation permet aussi de mettre en place de la prévention qui permettra moins de consultations plus tard », a tenté d’expliquer l’interne de médecine générale.
“Il ne faut pas nous reprocher de faire notre boulot, nous attendons vos solutions
Anne Le Hénanff, députée (Horizons) du Morbihan
Mais comment faire, alors que plusieurs millions de patients sont sur le carreau ? « Quand je me lève le matin, ce qui m’intéresse, c’est que les habitants de ma circonscription soient satisfaits de l’accès aux soins, a assumé Anne Le Hénanff, députée (Horizons) du Morbihan. Cela va être un peu direct, mais si vous ne prenez pas en main la profession, il n’est pas surprenant que les législateurs prennent ce sujet à bras-le-corps et essaient de trouver des solutions. Il ne faut pas nous reprocher de faire notre boulot, nous attendons vos solutions. »
Du tac au tac, Lucas Poittevin, président de l’Anemf a répliqué. « On a l’impression que toutes les difficultés d’accès aux soins qu’on rencontre depuis 40 ans ont pour seuls responsables les étudiants ! Pourquoi faire peser sur le dos des étudiants les erreurs du passé ? », a-t-il interrogé. Las de devoir se répéter, les jeunes ont rappelé les multiples contributions présentées ces derniers mois pour améliorer la situation. « Je suis un peu abasourdi de nous entendre dire qu’il faut proposer des solutions alors que ça fait cinq à six ans qu’on propose document sur document, sur document en boucle… Rien que cette année, nous en avons fait quatre sur l’accès aux soins ! Nous avons même rédigé une proposition de loi “prête à l’emploi” envoyée aux députés avec toutes les mesures nécessaires pour agir. » Proposition restée lettre morte.
Se prenant au jeu, le jeune médecin de famille a pointé les contradictions de certains élus. « Vous parlez du Golfe du Morbihan, je me suis donc permis de regarder le zonage de ce territoire, eh bien figurez-vous que tout ce qui n’est pas coloré est considéré par la PPL Garot comme “surdoté”, je pense que vous pouvez témoigner qu’il n’y a pourtant pas de paradis médical sur ce territoire », a-t-il taclé.
Pas de recette miracle
Admettant l’absence de « recette magique », les jeunes médecins ont donc réexpliqué leurs solutions : suppression d’actes administratifs absurdes pour libérer du temps médical, logements ruraux, généralisation des guichets uniques pour faciliter les installations ou encore territorialisation de la formation… Les idées ne manquent pas.
Sur ce dernier point, Killian L'helgouarc’h, président de l’Insi a partagé son expérience personnelle pour illustrer les difficultés rencontrées par de nombreux internes. « Depuis que je suis interne de médecine générale, je dis souvent que je suis un peu SDF… Je suis passé pendant six mois à Lausanne, Perpignan, Nîmes, Béziers, Mayotte et maintenant je suis à Paris. Comment voulez-vous qu’en six mois je parvienne à construire un cercle amical et familial ? C’est impossible » a-t-il déploré.
Pour lui, le cursus médical devrait être davantage ancré dans les territoires afin de permettre à ceux qui le souhaitent de rester dans un même bassin de vie et de favoriser les installations durables. « Quelqu’un qui connaît le territoire, c’est trois à quatre fois plus de chances d’installation », a-t-il insisté. Et de conclure : « La santé est la préoccupation numéro 1 des Français mais c’est aussi celles des médecins et des internes », rappelant que les internes de médecine générale assurent à eux seuls plus de 200 000 consultations chaque jour.
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