16 000 étudiants en médecine d’ici à 2027 ? Un objectif « irréaliste », recadrent les doyens

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Publié le 13/09/2024

L’objectif gouvernemental de former 16 000 médecins à horizon 2027 (contre 10 800 en 2023) est « irréaliste », ont jugé les doyens à l’occasion de leur conférence de presse annuelle. Ils proposent une montée en charge progressive, sur cinq à dix ans, en fonction des moyens accordés. Une façon de placer l’État face à ses responsabilités.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

« La proposition gouvernementale de doubler les effectifs d’étudiants en deuxième année et porter leur nombre à 16 000 d’ici à 2027, avec un top départ en 2024, n’est juste pas réaliste », a averti le Pr Benoît Veber, président de la conférence nationale des doyens de médecine, à l’occasion d’un point presse de rentrée.

Annoncée début avril par Gabriel Attal, cette mesure choc d’augmentation massive avait été présentée comme un moyen de lutter contre la pénurie médicale et de fluidifier l’accès aux soins. « Il est évidemment nécessaire de former plus de médecins car on sait qu’il faut désormais former deux médecins pour un départ à la retraite, a admis le doyen des doyens. Mais laissons-nous le temps de piloter convenablement les choses ». Le message est clair : à vouloir aller trop vite et trop fort, le risque est grand de désorganiser les facultés ou de faire de la communication.

IA et corps intermédiaires

Sur le fond, « aura-t-on besoin d’autant de médecins formés d’ici cinq à dix ans ? », a interrogé l’anesthésiste réanimateur. Pas forcément, à ses yeux. Selon le Pr Veber, de nombreux facteurs doivent être mieux pris en compte avant de s’engager dans une telle entreprise d’ouverture des vannes. L’arrivée de « l’intelligence artificielle dans l’exercice de la médecine » ou encore le recours à certains « corps intermédiaires, autres professionnels capables de répondre aux besoins de soins » – en coordination avec les médecins – sont des éléments à considérer car ils pourraient « modifier considérablement les besoins » de santé.

Dans ce contexte, les doyens appellent le futur exécutif à ne pas confondre vitesse et précipitation. « Nous proposons une montée en charge beaucoup plus lente, non pas en trois ans, mais en cinq à dix ans. C’est une question de bon sens ! Cette augmentation dépendra des moyens qui nous seront attribués par l’État », a cadré le Pr Veber, soutenu par son vice-doyen, le Pr Bruno Riou.

On ne forme pas des enseignants universitaires d’un coup de cuillère à pot. Il faut du temps pour recruter des professeurs

Pr Benoît Veber

Une façon claire de placer le gouvernement face à ses responsabilités. « Si nous restons sans moyens, la montée en charge sera douloureuse : on ne forme pas des enseignants universitaires d’un coup de cuillère à pot. Il faut du temps pour recruter des professeurs et des maîtres de conférences qui soient capables d’encadrer correctement nos étudiants », a-t-il insisté. Une enquête est en cours auprès des doyens des facultés pour connaître le potentiel de nomination des futurs enseignants de médecine. « Cela nous donnera une meilleure vision de l’accélération que l’on pourra proposer au prochain gouvernement », souligne le doyen de la faculté de Rouen.

Universités déjà saturées

À cette problématique de formation s'ajoute celle du manque de places dans la plupart des facs : bibliothèques universitaires saturées, amphithéâtres et salles de travaux dirigés trop exigus, services de restauration débordés… « Je ne connais pas un seul doyen disposant d’espaces suffisants pour accueillir et former convenablement ses étudiants », déplore le Pr Veber.

Pour l'instant, explique-t-il encore, « les doyens jonglent et s'en sortent comme ils peuvent ». Mais une augmentation rapide et brutale des effectifs pourrait mettre à rude épreuve le fonctionnement des universités et affecter la qualité même de la formation. « Cela compromettrait clairement les enseignements en petits groupes. Les Ecos (examens cliniques objectifs et structurés, ndlr) exigent un grand nombre de petites salles, et les surfaces actuelles ne permettront pas de supporter cette augmentation », analyse le doyen.

Objectif « universitarisation » des territoires

Enfin, la question des capacités d’accueil en stage pourrait être un dernier point bloquant. « Si l'on augmente massivement le nombre d'étudiants, il faut nous laisser le temps de mettre en place la stratégie d'universitarisation des territoires. L’idée, poursuit le Pr Veber, est que les doyens puissent s'appuyer non seulement sur les CHU, qui restent le vaisseau amiral de la formation, mais aussi sur divers lieux de stages publics, et éventuellement privés, pour accueillir nos étudiants dans de bonnes conditions. »

Cette stratégie devra s’accompagner de la formation d’enseignants et de professeurs associés qui auront un rôle d’antennes relais universitaires pour faire le lien entre les territoires et les UFR.


Source : lequotidiendumedecin.fr