Après six années d’études, Iris*, tout juste admise en internat de pneumologie, est aux anges. Les premiers jours à l’hôpital sont « excitants », « stimulants », bref, la nouvelle interne est « trop contente ». Pourtant, il n’aura pas fallu attendre plus de quelques semaines pour que tout bascule. « Je voyais bien que ça n’allait pas mais le burn-out, je ne l’ai pas vu venir », assure-t-elle, deux ans plus tard.
Peu importe l’hôpital ou le service, c’est un fait récurrent : peu d’internes évoquent clairement leur burn-out alors même que les symptômes décrits ne font aucun doute. Entre anxiété, épisodes dépressifs et idées suicidaires, deux tiers des jeunes seraient en burn-out, à en croire l’enquête conjointe de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni), l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG) et l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) sur la santé mentale en 2021 (les résultats de la prochaine enquête sont attendus d’ici l’automne prochain).
Avec trois patients graves à gérer dès sa première semaine d’internat, Iris craque. Lorsqu’elle se confie, son chef de service l’encourage à se réorienter. « Il m’a dit que j’étais incapable et me l’a répété toutes les semaines. J’ai toléré cette situation deux mois en ayant peur pour mes patients parce que je n’avais plus confiance en moi. Parfois, je m’effondrais pendant les visites et j’ai commencé à avoir des idées suicidaires. »
Loin de sa Picardie natale, Marion, interne en médecine d’urgence à Poitiers, a quant à elle jeté l’éponge lors de son deuxième stage. « On était rarement écouté en tant qu’interne mais dès qu’on oubliait un petit truc insignifiant, c’était tout à coup inadmissible. » Au même moment, la jeune femme commence à ressentir le manque de ses proches. « Un matin, dans ma voiture, j’ai appelé ma mère et j’ai pleuré en lui disant que je ne voulais plus y aller », se remémore-t-elle.
Un environnement propice aux risques psycho-sociaux
Selon Aude Caria, psychologue et directrice de PsyCom, un organisme national d’information sur la santé mentale, travailler à l’hôpital expose à de nombreux facteurs de risque. Le manque de médecins, les urgences engorgées, les actes d’incivilité du public, mais aussi les violences sexistes et sexuelles… « C’est une cascade de violences » à laquelle font face les futurs médecins qui, en même temps, estiment ne pas avoir le droit à l’erreur dans un contexte sociétal où « le fait d’être “sous l’eau” est devenu une valeur positive ». « À force d’être dans le contrôle, de ne pas avoir d’espace pour le partager, cela a des conséquences. »
Antoine*, interne en anesthésie-réanimation, parle, lui, de « pression quotidienne » : « On nous apprend à faire toujours plus de sacrifices dans l’espoir d’être récompensé ensuite. Sauf que quand tu fais 80 heures par semaine, tu ne peux pas arriver à l’hôpital avec le sourire. » Là encore, les chiffres l’attestent : un sondage OpinionWay réalisé en 2021 auprès de 2 300 jeunes indique que 70 % des internes travaillent plus de 48 heures par semaine, avec un repos de sécurité post-garde pour moitié respecté dans les spécialités chirurgicales.
Don de soi
D’après Guillaume Bailly, président de l’Isni, si le décompte du temps de travail des internes reste un combat, le burn-out est multifactoriel : « Cette profession, c’est le don de soi en permanence. Nous sommes des bosseurs nés donc ce n’est pas seulement la quantité de travail qui pose question mais plutôt la qualité. »
Depuis qu’elle est interne en anesthésie-réanimation, Amélie* se dit « frustrée des conditions » dans lesquelles elle exerce. « L’état de l’hôpital est effrayant, estime-t-elle. Mon job, c’est de soigner et je ne peux pas le faire pour des raisons de moyens. Je ne pensais pas que ce serait à ce point. » Une désillusion complète davantage visible au moment de l’internat quand les responsabilités s’accumulent.
Mais celle qui « tire sur la corde » n’arrive pas à se mettre en arrêt de travail. « On nous parle constamment de continuité des soins, on se dit qu’on a une responsabilité donc c’est compliqué de faire le pas », confie Amélie. La culture médicale entre alors en jeu. « Quand on est médecin, on répond à différents stéréotypes : pouvoir affronter la mort sans difficulté, travailler beaucoup… Et ne pas y répondre, c’est se demander si on fait partie du corps médical », estime le Dr François-Xavier Lesage, médecin du travail au CHU de Montpellier. Sans compter le statut ambivalent des internes, à la fois salarié et étudiant, « qui regroupe une somme de contraintes, avec peu de droits et beaucoup de devoirs ».
D’où le refus de certains internes d’être pris en charge, par culpabilité d’abandonner le navire et par peur d’invalider leur stage. Les étudiants ont d’ailleurs assez peu recours à la médecine du travail, souvent par crainte, là encore, du jugement et des répercussions que cela pourrait avoir sur la suite de leur internat, voire sur leur carrière.
La médecine n’est pas un milieu sain
Anaïs Ravel, vice-présidente Santé mentale de l’Association des internes et chefs de cliniques de Besançon
Trouver les bonnes ressources pour en parler
Le principal recours reste donc les syndicats. À Paris, le syndicat représentatif des internes en médecine générale (SRP-IMG) est une oreille attentive pour ceux qui ne savent plus vers qui se tourner. « Certains demandent un accompagnement pour faire respecter leurs droits face au CHU ou à l’université », explique Margot Martinez, présidente du syndicat. L’Association des internes et chefs de cliniques de Besançon (AICB) propose, de son côté, un remboursement de trois séances chez un psychologue. « En plus des violences, il y a de la discrimination, des incitations au suicide, confirme Anaïs Ravel, vice-présidente Santé mentale de l’association. La médecine n’est pas un milieu sain. »
D’autres mesures sont parfois mises en place dans les universités pour accompagner spécifiquement les internes : le dispositif d’appui universitaire de l’université Grenoble-Alpes, la Cellule de soutien en lien avec l’association Imhotep à Rouen, la Cellule Bien-être étudiant à Rennes, la Commission bienveillance à Aix-Marseille, etc.
Pour Iris et Marion, ce sont leurs co-internes qui ont été la meilleure ressource. Mises en arrêt de travail pendant deux semaines pour l’une et un mois et demi pour la seconde – pas plus pour ne pas invalider leur stage -, la décision, bien que difficile à prendre car très culpabilisante, s’est avérée nécessaire. « Je me disais que pleurer, c’était normal parce que l’internat devait être dur et que c’était certainement moi qui étais fragile. Cet arrêt m’a fait prendre conscience de mon burn-out. Je ne sais pas comment j’aurais fini autrement. » Aujourd’hui, Iris n’est plus sous antidépresseurs et assure être sur une bonne dynamique. Son expérience l’a rendue lucide : « Je pensais que ça n’arrivait qu’aux autres mais j’ai remarqué qu’on est bien plus nombreux que l’on ne le croit », conclut la jeune femme.
*Les prénoms ont été modifiés pour protéger l’anonymat.
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