L’emploi du temps d’un étudiant en médecine est déjà un challenge en soi. Pourtant, Myriam Dergham ne semble pas effrayée par les défis supplémentaires qu’elle a choisi d'ajouter à son programme. En parallèle de ses études de médecine à Saint-Étienne, l’externe de cinquième année a également suivi un Master 2 en sciences sociales option sciences politiques. Et c’est dans ce cadre qu’elle prépare aujourd’hui une thèse en sciences sociales sur les risques psychosociaux des étudiants en médecine de la deuxième à la sixième année. « Le but est d’en faire une monographie du carabin », explique-t-elle. Le travail sera divisé en plusieurs parties : les discriminations dans les recours aux soins, l’esprit carabin, le syndrome méditerranéen et les différents dispositifs mis en place sur les risques psychosociaux.
Pour ce travail elle a fait le tour des facultés de France. « Je me suis rendue à Dijon, Lyon, Amiens, Saint-Étienne en présentiel où j’ai interrogé les étudiants à la sortie des BU et j’ai aussi envoyé des questionnaires anonymes en ligne. Je me suis retrouvée avec un nombre impressionnant de données, c’est pour cela que j’ai décidé de les trier en plusieurs articles », souligne l’étudiante de 25 ans. Avec ce travail, la jeune femme de 25 ans s’intéresse aux risques psychosociaux qui touchent les futurs soignants mais aussi comment ils se répercutent sur les patients. C’est le sujet de son premier article paru dans la revue Médecine : De l’esprit carabin aux discriminations en santé.́ Des entretiens semi-directifs ont été menés avec des étudiants de Dijon, Limoges, Amiens et Saint-Étienne. Ils ont été interrogés sur l’humour carabin, les soirées et les week-ends d’intégration.
Harcèlement sous couvert d'humour
« Le monde des carabins est très hiérarchisé et cela s’alimente d’année en année par les promotions plus âgées qui ont le devoir d’impressionner les nouveaux en repoussant toujours les limites et obtenir ainsi une certaine reconnaissance. Petit à petit, tout le monde décale ses limites et beaucoup de choses deviennent normales. C’est un monde parallèle avec ses propres codes dans lequel certaines personnes ne se rendent plus compte des débordements ils sont même convaincus que tout cela est cool », témoigne Matthias, étudiant en 5e année à Limoges. Un « humour » qui peut conduire à des « comportements déviants » ou des « délits » décrit par les témoignages de certains étudiants interrogés. « J’étais en 2e année, il était en 3e année. Il m’a collée contre un mur, et a commencé à me toucher. Je disais non. Il a mis un doigt dans ma culotte. Ses amis étaient à côté, et ils me disaient de profiter, parce que leur pote était beau et que c’était un honneur. J’ai réussi à me libérer et je ne suis plus sortie en soirée médecine » témoigne Iris, étudiante en 3e année à Dijon.
Un humour graveleux qui peut aussi dériver jusqu’à des situations de harcèlement subies par les étudiants :
- « Un médecin m’a dit : “avec un décolleté, tu auras peut-être une meilleure note” » Camille, 5e année Dijon.
– « “Pourquoi tu ne l’as pas fourrée ?” à l’interne, quand l’externe est tombée dans les pommes » Carla, 5e année, Reims.
- « Un médecin a imprimé et montré des photos de moi à toute l’équipe avant mon arrivée » Maeva, 4e année, Reims.
– « Un chirurgien lors d’un retrait de graisse du genou pour greffe visage : “tu devrais faire don de la tienne” » Lucie, Limoges.
- « Un chirurgien : « iI me faudrait quelqu’un au bloc. Si possible la jolie et pas la moche » » Juliette, 4e année, Saint Étienne.
- « Du saucisson était posé sur le clavier, pour m’empêcher d’y toucher du fait de ma religion » Imane, 4e année, Saint Étienne.
Lors de son intervention au dernier congrès de l’Isnar-IMG, Myriam avait cité l’exemple récent du groupe Facebook « Le divan des médecins », pour montrer que les patients aussi subissent les conséquences de cet humour. « Une fois la patiente est endormie, claque sur les fesses et " vas y grosse truie, tu vas nous casser les couilles pour ta hanche grosse vache" » Gaëlle, 6e année ; « En chirurgie, un CCA a pris mes mains et les a posées sur les parties génitales d’un patient endormi au bloc " pour me détendre "» Julie, 6e année.
Un double cursus indispensable pour être un meilleur médecin
« Les étudiants n’ont pas forcément conscience de la gravité, certains me répondaient qu’il s’agissait davantage de mauvaises blagues que de harcèlement », souligne Myriam. Selon elle, les choses changent très lentement dans les études de médecine. « J’aimerais que la pédagogie en médecine soit différente, que l’on traite davantage les sciences sociales, l’abord du patient. » Dans son propre cursus, il lui est en tout cas impossible d’envisager aujourd’hui de se passer de cet apport. L’année prochaine, elle va suivre le DU de lutte contre les discriminations. « Je ne peux pas faire que médecine. Cet aspect sciences sociales serait un vrai manque. En médecine, on ne nous parle pas de racisme, sexisme etc. Nous n’avons jamais été formés à faire de l’éducation à la sexualité, à ne pas être transphobe, à ne pas mégenrer les patients. On fait comme si cela allait de soi de ne pas être raciste car nous soignons tout le monde, mais lorsque l’on prend le syndrome méditerranéen, on voit bien des stéréotypes de race qui sont ancrés ». L’étudiante aimerait par la suite devenir généraliste en particulier auprès des populations précaires, et pour elle se former sur ces sujets est une manière d’être une meilleure médecin demain. « Le bon malade, celui qui ne fait pas de bruit est celui à qui l’on apporte le plus de soins et le mauvais malade est celui qu’on délaisse, pour lequel on a " la flemme " de creuser les antécédents. Je n’ai pas l’objectif de révolutionner la médecine, juste d’être un médecin où chaque patient se sente à l’aise ».
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