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Journées de neurologie de langue française : migraine, la nouvelle donne

Par Hélène Joubert - Publié le 21/06/2021
Journées de neurologie de langue française : migraine, la nouvelle donne


GARO/PHANIE

Les Journées de neurologie de langue française (JNLF, 26 au 28 mai 2 021) ont accordé cette année une large place à la migraine. Avec, notamment, la présentation en avant-première des nouvelles recommandations françaises. Stratégies thérapeutiques plus interventionnistes, nouveaux traitements spécifiques… : dans cette pathologie où les nouveautés se faisaient rares depuis les triptans, les lignes bougent.

Tombée un peu dans l’oubli depuis l’avènement des triptans, la migraine suscite un regain d’intérêt. En témoignent les futures recommandations de la Société française d’études des migraines et céphalées (SFEMC) dont les grandes lignes ont été dévoilées lors d’une plénière du congrès. Cette nouvelle feuille de route était très attendue, la précédente mouture datant de 2012 et n’incluant ni les nouvelles thérapeutiques, ni la dernière classification de l’IHS (International Headache Society). De plus, « les mécanismes neurobiologiques ont, depuis, été approfondis avec de nouveaux concepts cliniques », justifie le Dr Caroline Roos, du Centre d’urgences des céphalées (hôpital Lariboisière, Paris).

Autant d’éléments pris en compte dans les recos 2021, qui marquent l’entrée de la migraine dans une nouvelle ère.

Les triptans d’emblée pour les crises modérées à sévères

Concernant le traitement de crise, pour les migraines légères, l’acide acétyl­salicylique et l’association aspirine-métoclopramide restent préconisés en première intention.
Pour les migraines modérées à sévères, un AINS et un triptan doivent être prescrits sur la même ordonnance, avec la consigne de débuter par l’AINS si la céphalée est faible puis d’ajouter le triptan en cas de réponse insuffisante après une heure. En revanche, si la douleur est modérée à sévère, « la nouveauté est la prise du triptan d’emblée, et non plus en cas d’échec de l’AINS à trois reprises », insiste Caroline Roos. L’AINS peut être pris dans un second temps si le triptan s’avère inefficace. Là encore, « le délai entre les deux médicaments est réduit à une heure. »

Dans le cas particulier de la migraine avec aura, l’AINS doit être pris au moment de l’aura et le triptan lorsqu’apparaît la céphalée. La trithérapie triptan/AINS/métoclopramide est justifiée dans les crises très sévères.

Parmi les sept triptans (almotriptan, élétriptan, frovatriptan, naratriptan, rizatriptan et zolmitriptan par voie orale, sumatriptan en sous-cutané), l’élétriptan aurait l’efficacité la plus importante. Pour autant, aucun n’est mis en avant pour le traitement spécifique de crise. Les experts insistent d’ailleurs sur l’absence d’un effet classe pour les AINS et les triptans, d’où la possibilité de tous les tester.

Efficace en cas de crises faibles à modérées, le paracétamol (seul ou en association à la caféine) est réservé aux patients ne pouvant prendre ni AINS ni triptan, à la fois en raison du risque d’abus non négligeable et parce qu’il a le plus souvent déjà été testé en automédication sans succès par le patient avant de consulter. Enfin, les opiacés sont totalement bannis du traitement de la migraine afin d’éviter tout mésusage, abus ou céphalées par abus médicamenteux.

Lorsque les triptans ne sont pas efficaces ou qu’ils ne sont pas bien tolérés, deux nouvelles classes de médicaments – les ditans et les gépants – pourraient prochainement prendre le relais (voir ci-dessous). Cependant, si les nouvelles recommandations mentionnent ces molécules, elles ne sont pas encore intégrées dans la stratégie thérapeutique car encore indisponibles en France.

Après les triptans, les ditans et les gépants

Plus de 20 ans après l’arrivée des triptans, de nouveaux médicaments de la crise migraineuse sont dans les starting-blocks.

Dérivés des triptans, les ditans sont des agonistes des récepteurs à la sérotonine avec une forte affinité pour le récepteur 5HT1-F, d’où une spécificité accrue. Premier représentant de la classe, le lasmiditan a été approuvé fin 2019 par les autorités sanitaires américaines. Si son efficacité est comparable à celle des triptans, il induit une certaine somnolence, d’où un niveau de recommandation seulement « modéré ».

Comme les nouveaux traitements de fond récemment développés, les gépants bloquent le récepteur de la protéine CGRP (impliquée dans le développement de la crise) mais avec un mécanisme différent. L’ubrogépant et le rimégépant ont été autorisés par la FDA en 2019 et 2020 en traitement de crise. Les experts leur accordent un fort niveau de recommandation du fait d’une efficacité élevée. D’autres sont en développement. Ces médicaments sont efficaces et sans toxicité hépatique, contrairement aux premières molécules de cette nouvelle classe.

Un nouveau questionnaire d’évaluation

Pour évaluer l’efficacité du traitement de crise, le questionnaire M-TOQ (Migraine Treatment Optimization Questionnaire) en cinq questions fait son entrée. Il explore la capacité du patient à reprendre ses activités, la possibilité d’être soulagé dans les deux heures pour la majorité des crises, le fait qu’une seule dose suffise sur 24 heures et que la personne soit à l’aise avec son traitement pour planifier ses activités quotidiennes, sans oublier la tolérance. « Le traitement doit être testé sur trois crises et une seule réponse négative impose de le modifier », précise Caroline Roos.

Traitement de fond, des indications plus larges

Concernant le traitement de fond, la décision d’une prophylaxie ne se fonde plus seulement sur la fréquence des crises reportée dans l’agenda (> 8 traitements de crises/par mois depuis au moins 3 mois), mais également sur la présence de critères soit de migraine sévère, soit de migraine chronique (15 jours au moins de céphalées par mois et au moins 8 jours de migraines), ainsi que sur l’impact de la migraine sur la vie quotidienne, évalué avec l’auto-questionnaire HIT-6 (avec score > 60 ou plus). « Nous encourageons aussi l’évaluation de l’impact émotionnel et/ou de la comorbidité psychiatrique, de manière réitérée à chaque consultation et surtout en cas d’échec thérapeutique, à l’aide de l’auto-questionnaire HAD d’anxiété-dépression », précise le Pr Anne Ducros (CHU de Montpellier).

L’objectif du traitement prophylactique est de réduire la fréquence mensuelle des crises d’au moins 50 % pour les migraines épisodiques et de 30 % pour les migraines sévères ; une efficacité qui sera désormais jugée 8 à 12 semaines après l’initiation (6 mois pour la toxine botulique). La prophylaxie orale doit débuter en monothérapie à faible dose, précise le Pr Anne Donnet (La Timone, Marseille), puis atteindre progressivement la dose quotidienne optimale.

Pour le choix de la molécule, « dans la migraine épisodique, la première ligne repose toujours sur un bétabloquant (propranolol, métoprolol), et pour les patients non éligibles (sujets asthmatiques, etc.), nous recommandons l’amitriptyline, le candésartan ou le topiramate, selon les préférences du patient et l’existence de comorbidités », résume Anne Ducros. Dans la migraine chronique, « le topiramate s’impose en première ligne. En cas de maigreur ou état dépressif, contre-indiquant cette option, le choix se porte plutôt sur le propranolol, l’aténolol, le candésartan, la flunarizine ou le lévétiracétam, voire le valproate (après la ménopause). » Après échec de deux traitements oraux, la toxine botulique (dont l’AMM a été obtenue fin mai 2021) ou un médicament ciblant la voie des CGRP (parmi l’érénumab, le frémanézumab et le galcanézumab) sont préconisés.
Avec cette recommandation, la SFEMC entérine donc l’utilisation des traitements injectables et notamment des anticorps anti-CGRP, alors même que la diffusion de ces traitements peine encore à s’imposer en France.

Les anti-CGRP, premiers traitements de fond spécifiques

Près de 20 % des migraineux chroniques ne sont pas soulagés par les traitements de fond actuels. Pour ces malades sévères, les anti-CGRP représentent un vrai espoir. Premiers médicaments de fond spécifiquement conçus pour la maladie migraineuse, ces anticorps monoclonaux bloquent l’action de la protéine CGRP, un neuromédiateur de la douleur libéré par le système trigéminovasculaire. En moyenne, entre 55 et 70 % des migraineux sévères (en échec d’au moins deux classes de traitements de fond classiques avec au moins 8 jours de migraine par mois) obtiennent une réduction de la moitié de la fréquence des crises. 30 % de ces patients soulagés sont même des « super-répondeurs », avec une fréquence des crises réduite de 75 %, voire de 100 %.

Remboursement Ces traitements ont décroché leur AMM européenne en 2018 et 2019, mais n’étaient jusqu’à peu ni remboursés ni disponibles en France. Début 2021, les neurologues de la SFEMC ont interpellé le président de la République, le ministre de la Santé et la Haute Autorité de santé (HAS) sur cette situation. Résultat, depuis fin mars 2021, le galcanézumab est disponible dans les pharmacies françaises sur prescription d’un neurologue, mais non remboursé (tarif conseillé de 245 euros). En Allemagne, Autriche, Espagne, Italie, Luxembourg, Suisse et dans les pays scandinaves, où ces anticorps sont pris en charge par les systèmes d’assurance maladie dans la migraine sévère et réfractaire, ils permettent à 7 patients sur 10 traités de retrouver une vie normale.

Les lignes vont probablement bouger car la HAS réévalue en ce moment le dossier de l’un des anti-CGRP : l’erenumab. En parallèle, l’eptinézumab a obtenu en décembre 2020 le feu vert de l’Agence européenne du médicament. L’avantage de ce dernier venu dans la famille des anti-CGRP est de s’administrer trimestriellement en perfusion IV, avec le bémol d’une logistique plus complexe qu’une injection sous-cutanée mensuelle à l’aide d’un stylo injecteur prérempli.