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Dossier

Fin de vie

La sédation profonde et continue en ville, pas simple mais possible !

Par Nicolas Evrard - Publié le 24/05/2019
La sédation profonde et continue en ville, pas simple mais possible !

FdV
GARO/PHANIE

En marge de situations extrêmes et controversées comme celle de Vincent Lambert, de nombreux praticiens accompagnent la fin de vie d’un patient. En médecine de ville, sa pratique n’est pas toujours évidente ! Rappel de la marche à suivre.

L’arrêt des soins prodigués à Vincent Lambert a été engagé lundi 20 mai puis annulé le soir même par la Cour d’appel de Paris, en attendant la décision du comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU. Cette affaire interpelle forcément chaque soignant sur la question de la fin de vie. Même si le contexte reste ici exceptionnel, l’accompagnement du patient peut donner lieu à des pratiques délicates comme la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMD), surtout quand elle est conduite au domicile du patient. Le médecin doit suivre une procédure spécifique. Pour l’aider, la Haute autorité de santé (HAS) a publié en 2018 un guide de parcours de soins sur cette sédation, où figurent les textes de loi. Car avant d’engager une telle démarche, le prérequis est de s’assurer qu’elle correspond bien au cadre légal (loi Léonetti-Claeys de février 2016), en particulier au niveau de ses conditions de mise en œuvre (lire encadré).

Ce rapport détaille diverses situations – patient conscient, ou au contraire inapte à exprimer sa volonté, etc. Il informe sur le rôle des professionnels impliqués, en Ehpad comme au domicile du patient. Ce document ne serait toutefois peut-être pas l’outil idéal pour le généraliste. « Il est normal de faire évoluer l’encadrement de la SPCMD qui est une pratique très spécifique, mais par rapport à la loi, la HAS a alourdi et complexifié les choses », regrette le Dr Marie-Laure Alby, qui a participé à un rapport publié fin 2018 par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) pour évaluer la prise en charge des patients. La généraliste parisienne a dans ce cadre travaillé sur les obstacles auxquels sont confrontés les médecins de ville dans leur quotidien.

Avant de débuter la sédation, la HAS préconise le respect d’exigences organisationnelles. Un médecin et une infirmière doivent notamment être joignables à tout moment. Dans le cas contraire, une hospitalisation est envisagée. « Je suis disponible H 24 pour les personnes en fin de vie et leur famille », précise l’omnipraticienne. En cas de demande de SPCMD, une évaluation du patient par un psychiatre ou un psychologue clinicien est fortement recommandée. Mais est-ce réaliste dans les territoires avec peu de spécialistes ? « L’avantage majeur du médecin traitant est qu’il connaît bien son patient et souvent la famille. Il l’a suivi tout au long de sa pathologie », argumente le Dr Alby.
 

Une décision collégiale

L’article L.1110-5-2 de la loi précise que toute décision d’engager une sédation profonde et continue relève d’une procédure collégiale. Cette dernière « concerne tous les professionnels impliqués dans la prise en charge du patient, ainsi qu’un médecin extérieur appelé en qualité de consultant », détaille la HAS.

En ville, comment cela se passe-t-il ? « Si l’équipe de soins est évidemment plus réduite qu’à l’hôpital, le généraliste n’est pas seul. Le patient est suivi par un ou plusieurs spécialistes hospitaliers que l’on peut contacter. Je privilégie l’échange avec des professionnels qui ne sont pas en prise directe avec la situation, mais qui connaissent bien le sujet. J’évite par exemple de partager cette décision très lourde avec l’aide-soignante qui suit le malade. Je mentionne dans le dossier du patient avec qui j’ai échangé. »

Quel médicament pour l’endormissement ?

Pour la SPCMD, même si aucun produit n’a d’AMM dans l’indication de “sédation, le médicament de choix est le midazolam, précise la HAS. Mais dans les faits, il est peu utilisé en ville ou en Ehpad, et pour cause : il ne peut être obtenu que par rétrocession hospitalière. Si bien qu’« en ville, on utilise des alternatives, surtout des benzodiazépines », explique le Dr Alby. Mieux vaut préférer le diazépam, le clorazépate dipotassique ou le clonazépam qui sont à demi-vie longue, indique la HAS. Les neuroleptiques sédatifs peuvent être ajoutés si la sédation est insuffisante. Les opioïdes ne doivent pas être utilisés seuls. Une fois le médicament administré, le médecin et l’infirmière doivent suivre le patient et en particulier évaluer la profondeur de l’endormissement. En cas de difficultés ou de questions, le médecin peut bien sûr contacter un spécialiste en soins palliatifs.

Hydratation : la HAS vs la loi

à côté de la sédation, « seuls les traitements participant au maintien du confort du patient sont poursuivis », indique la HAS, comme les antalgiques. L’hydratation et la nutrition artificielles devraient être arrêtées, ou fortement diminuées. Des soins de bouche pour diminuer la sensation de soif sont systématiques. Il importe d’expliquer à l’entourage que les besoins d’hydratation sont moindres en fin de vie. « Arrêter l’hydratation peut être compliqué pour le médecin, cela risque d’être mal vécu par les proches ou les soignants. En réalité, la poursuite de l’hydratation peut avoir des conséquences néfastes d’inconfort, à l’origine de poussées œdémateuses, de difficultés respiratoires. Les recommandations de la HAS indiquant qu’une hydratation de 250 ml/24 heures peut être envisagée ne sont pas conformes à la loi, qui stipule d’arrêter les soins et toute hydratation », précise le Dr Alby.

Les médecins peuvent en complément consulter les fiches repères sur les bonnes pratiques en matière de sédation, consultables sur le site de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP).

Deux situations prévues par la législation

Un patient peut demander une SPCMD en cas de :

> Souffrance réfractaire aux traitements et si le pronostic vital est engagé à court terme.

> Affection incurable, et si le patient décide d’arrêter son traitement, engageant son pronostic vital à court terme et que cette décision est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable.
Chez un patient ne pouvant exprimer sa volonté, si le médecin arrête les traitements au titre du refus de l’obstination déraisonnable, une SPCMD est mise œuvre sauf si le patient s’y est opposé dans les directives anticipées.


Dr Nicolas Evrard

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