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Dossier

Dépistage, revascularisations…

L’AOMI du diabétique, une artériopathie « à part »

Par Hélène Joubert - Publié le 11/03/2016
L’AOMI du diabétique, une artériopathie « à part »

artériopathie
ZEPHYR/SPL/PHANIE

Contrairement au cholestérol ou au tabagisme, l’hyperglycémie affecte les artères d’une manière particulière et la présence concomitante d’une neuropathie diabétique complique l’affaire. L’artériopathie oblitérante des membres inférieurs du patient diabétique peut ainsi revêtir des formes trompeuses, comme cela a été souligné lors de Codia, le forum Cardio-Diabéto, qui s’est tenu récemment à Paris.

De par sa localisation, sa symptomatologie, son repérage par Doppler, ses  indications de revascularisation, etc., l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) du patient diabétique peut se révéler très atypique. Le sujet a été abondamment évoqué lors du forum cardio-diabéto Codia (Paris, 16-17 février 2016). Avec la mention, en premier lieu, d’une localisation de l’artérite spécifique due à l’hyperglycémie : dans 70 % des cas, les artères sous-poplitées sont atteintes. C’est pourquoi, la plupart du temps, les patients diabétiques ne claudiquent pas.

À ce sujet, une étude conduite dans le service de diabétologie du Pr Agnès Hartemann à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris) a montré que les atteintes iliaques ne concernaient que 7 % des patients diabétiques et les atteintes fémoro-poplitée, 24 %.  Et 75 % des porteurs d’une AOMI avaient une localisation uniquement sous-poplitée (tibiale postérieure, péronière, tibiale antérieure).à cette spécificité s’en ajoute une autre, la neuropathie diabétique, dans 90 % des cas, d’où l’absence le plus souvent de claudication ou de plainte douloureuse de décubitus alors même que les personnes touchées sont en état d’ischémie critique.

Élément de complexité supplémentaire, les artères des patients diabétiques sont extrêmement calcifiées. Cette médiacalcose complique l’interprétation du Doppler et celle de la prise des pressions, en particulier à la cheville. Le Pole test se révèle alors utile (relever la jambe de 45°, soit 70 cm, si le pouls de l’artère pédieuse persiste au Doppler de poche, la pression est alors supérieure à 50 mmHg). Dernière spécificité, les troubles trophiques du pied diabétique, la plupart du temps liés à une neuropathie. C’est pourquoi, lorsqu’une artérite est associée, une question particulière au diabète se pose : faut-il revasculariser pour aider à cicatriser les troubles trophiques ?

 

Artérite du diabétique : pourquoi la dépister ?


[[asset:image:9386 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["ZEPHYR\/SPL\/PHANIE "],"field_asset_image_description":[]}]]L’International Working Group of Diabetic Foot en 2015 a confirmé l’intérêt du dépistage annuel d’une AOMI chez le diabétique ; les plus à risque étant les patients âgés et ceux avec une insuffisance rénale, facteur majeur d’artérite. « Le premier réflexe est de palper les pouls, à l’occasion de l’examen podologique annuel par exemple, suggère le Pr Agnès Hartemann. L’abolition du pouls tibial postérieur, constatée par  un examinateur expérimenté, doit alerter plus que l’abolition du pouls pédieux. Si les pouls sont palpables, un Doppler tous les 5 ans suffit. Prendre les pressions de cheville est  également utile même si le temps manque en cabinet de ville. Si on a pris soin  de mesurer l’index de pression systolique (IPS, index cheville-bras), un chiffre inférieur à 0,9 signe une artérite et indique la réalisation d’un Doppler. Un index de pression du gros orteil à plus de 0,75 permet, quant à lui, d’éliminer directement une AOMI. »

 

Chez un  patient porteur d’une artérite dont il ne se plaint absolument pas, et en l’absence de troubles trophiques des pieds, le dépistage sert uniquement à intensifier la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire. Néanmoins, comme il existe aussi, la plupart du temps, une neuropathie diabétique associée, le patient entre alors dans la catégorie du risque podologique de grade 2, ce qui implique la prescription de quatre visites podologiques annuelles. En revanche, chez un  patient présentant une artérite et une plaie, il est recommandé de l’adresser en urgence (dans un délai maximum de 48 à 72 heures) à un centre expert.

 

Revasculariser quels patients ?


En cas d’AOMI  sans aucun symptôme ni trouble trophique, la revascularisation est inutile du fait d’un rapport bénéfice/risque défavorable. Ce geste expose, en effet, en dilatant une artère, à « assécher » une circulation collatérale développée par compensation. D’où un risque ischémique majeur si le stent ou le pontage font l’objet d’une thrombose dans les jours suivants.

 

En l’absence de troubles trophiques, il n’y a que deux indications à revasculariser (soit par angioplastie, soit par pontage), avertit Agnès Hartemann : « une claudication intermittente entravant fortement la qualité de vie en dépit d’une prise en charge optimale de l’artérite (rééducation à la marche pour développer une circulation collatérale) et une ischémie critique. Attention, celle-ci n’est pas une ischémie aiguë, mais une ischémie chronique devenue critique dont le diabétique se plaint peu malheureusement (douleur de décubitus depuis 15 jours, avec soit une pression de cheville < 50 mmHg, soit d’orteil < 30 mmHg). Dans ce cas, il faut faire l’impasse sur le Doppler et aller directement à l’artériographie ou une angioIRM pour revasculariser le membre ».   

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La revascularisation, sous la dépendance des troubles trophiques


Le plus souvent chez le diabétique, on constate la présence d’un trouble trophique. Le problème de la revascularisation ne se pose pas en cas d’ischémie critique. Excepté ce cas de figure, il faut affirmer la présence d’une AOMI, à l’échographie Doppler. « La plupart des angiologues ne le font pas, mais il faut veiller à demander une description précise des trois axes artériels sous le genou, explique le Pr Hartemann, car l’artérite du diabétique touche à peine les artères iliaque et fémorale mais surtout l’artère tibiale antérieure et postérieure et l’artère péronière. L’angiologue doit les décrire y compris jusqu’au pied avec les artères pédieuse et rétro-malléolaire ».

 

Tout l’enjeu est de savoir s’il y a un retentissement sur les tissus du pied. C’est effectivement le cas lorsqu’il y a des lésions significatives sur l’axe fémoro-poplité ou sur les trois axes sous-poplités. Dans ce cas de retentissement tissulaire, la revascularisation s’impose si la pression tissulaire transcutanée d’oxygène (TCPO2) est inférieure à 25 mm Hg (ou P orteil < 30 mmHg ou P cheville < 50mmHg).

En revanche, si la TCPO2 dépasse la valeur de 25 mmHg (qui, en théorie, devrait permettre aux tissus de cicatriser sans revascularisation) et hors ischémie critique, il ne s’agit plus de sauver la jambe mais de revasculariser pour accélérer la cicatrisation en pesant le rapport bénéfice/risque (comorbidités rénales, cardiaques, neuropathie
autonome).

 

Hélène Joubert