Dossier

Grève : la mobilisation gagne du terrain

Le tour de France de la grogne

Publié le 05/12/2014
Le tour de France de la grogne


GARO/PHANIE

Le mot d’ordre a été lancé. Et le mouvement d’appel à la grève semble « bien prendre » sur le terrain. Les organisations syndicales dans les départements se rassemblent et unissent leur force. Plusieurs réunions regroupant une centaine de médecins ont déjà eu lieu pour organiser la fermeture des cabinets. D’autres types d’actions pour ceux qui ne pourraient pas fermer sont aussi possibles. Tour d’horizon de la mobilisation dans l’Hexagone.

Le jour approche. Appelés par les syndicats à se mobiliser contre la réforme Touraine, les médecins généralistes vont-ils massivement fermer leurs cabinets du 23 au 31 décembre ? Difficile encore de quantifier avec exactitude le mouvement. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que, sur le terrain, les choses se mettent en place. Pour preuve, les différentes réunions organisées par les quatre principaux syndicats de médecins libéraux (CSMF, FMF, SML et MG France) qui se multiplient un peu partout en France depuis plusieurs semaines. Leur but : informer sur les « dangers » de la loi santé de Marisol Touraine – dont les discussions parlementaires sont repoussées en mars prochain – pour mobiliser la profession contre ce texte.

Le mécontentement est tel que même les pétitions lancées il y a plusieurs semaines par le SML et la CSMF ne paraissent pas suffisantes aux yeux de nombreux médecins qui sont sur le terrain. Ces derniers préférant « carrément » fermer leurs cabinets. Poussés par leurs bases, les syndicats ont donc décidé tour à tour d’appeler à la mobilisation.

La dynamique a poussé, fin novembre, les quatre syndicats à se réunir et ils sont parvenus à définir des revendications communes, élargissant la semaine dernière le mouvement à la grève des gardes. Reste désormais à s’organiser dans les régions. De fait, un peu partout sur le terrain, la mobilisation commence à prendre tournure.

› À l’OUEST, on prend les mêmes qu’en 2002 et on recommence !

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« On remarque une réactivation du réseau datant de la coordination nationale de 2002 », constate non sans déplaisir le Dr Jacques Rouiller (FMF) (photo), installé à Saint-Coulomb (Ille-et-Vilaine). Il y a deux semaines, une centaine de généralistes s’est réunie à Rennes avec les représentants des quatre syndicats pour s’informer sur la loi Touraine et sur les moyens d’actions. « C’était une approche assez pédagogique », mais selon le généraliste « un mouvement unanime se dessine ». Beaucoup de jeunes médecins, sans être adhérents à un syndicat, étaient également présents à cette réunion. Pour ceux qui ne pourraient pas fermer complètement leur cabinet, les organisateurs suggèrent une fermeture partielle voire une grève de la télétransmission. « L’idée c’est de montrer à quoi ressemblerait une France sans médecine libérale », précise-t-il. Une réunion devait également se tenir à Saint-Malo jeudi 5 décembre. Si les médecins paraissent motivés, le généraliste redoute « l’autisme du gouvernement » mais aussi « la médiatisation » du mouvement. Un rassemblement « symbolique » sera d’ailleurs organisé le 29 décembre à Rennes pour « montrer que l’on n’est pas partis en vacances… ».

À quelques centaines de kilomètres au sud-est, mais toujours dans le grand Ouest, en Mayenne, la mobilisation est massive. Il faut dire que la région est une terre qui a l’habitude de répondre présente. En 2002, la participation au mouvement de grève avait été importante, et cette année le département a pris de l’avance pour organiser les grèves de décembre. Dès le 24 octobre, le syndicat des médecins de Mayenne s’est réuni pour parler de la grève. Parmi eux, Jean-Yves Savidan (photo), généraliste à Evron, membre de l’UNOF. « La participation est très forte et tous les syndicats sont regroupés pour mettre en place les actions. Nous avons déjà des affiches dans chaque cabinet, on fait signer des pétitions à nos patients. C’est important qu’ils comprennent qu’on n’est pas des nantis qui vont passer les vacances à Courchevel, mais qu’on a de vraies revendications ». Le département se dirige également vers une grève totale des gardes. « Nous avions fait le choix de devancer le risque d’avoir des médecins absents et d’organiser la permanence des soins et de chiffrer son coût. Nous avons essuyé un refus de l’ARS, donc nous allons sûrement décider d’une grève totale », explique le Dr Savidan également président de l’Association Départementale pour l’Organisation de la Permanence des Soins des Médecins Libéraux de la Mayenne. Le 18 décembre, une nouvelle réunion se tiendra à Laval où la question des réquisitions devrait être discutée et les dernières modalités du mouvement mises en place.

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À 150 km de là, à Bouaye, en banlieue sud de Nantes, le Dr Jean-Gérald Bertet (UNOF) fait lui aussi monter la pression avec affiches et pétitions. Dans la Loire-Atlantique, c’est la base qui initie les actions. « Ils sont en avance et veulent mener une action dure, constate-t-il. La grève des gardes ou des régulateurs sont une de leurs demandes et le syndicat les a suivis. J’ai le sentiment qu’on est au premier étage du conflit de 2002 et que ça va être encore plus fort. »

En Haute-Normandie, à Rouen, les représentants des organisations syndicales se sont déjà réunis « pour faire le point et se mettre d’accord ». Trois réunions sont prévues : le 9 décembre à Evreux, le 11 à Rouen et le 16 au Havre. L’occasion pour les médecins de réfléchir aux modalités d’actions possibles qui sont « à finaliser avec les bases ». « On va s’adapter à ce que les confrères sur le terrain vont décider », déclare le Dr Bruno Burel (SML). « Il y a un ras-le-bol profond de la profession car elle doit faire face au quotidien à de nouvelles tâches administratives qu’elle n’a pas le temps de faire. Ce n’est pas comme ça que l’on va rendre la médecine libérale attractive », poursuit ce médecin rouennais. Les confrères bas-normands ne sont pas non plus en reste. Dans cette région, tous les syndicats représentatifs des médecins libéraux (CSMF, FMF, LeBloc, MG France, SML), ainsi que l'UFML, fédérés autour de l'URPS, soutiennent le mot d'ordre d'arrêt d'activité fin décembre et organisent une réunion d'information jeudi 11 décembre au Centre des Congrès de Caen.

› DANS LE NORD, Les réunions se multiplient et on parie sur une forte mobilisation

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À Lys-lez-Lannoy près de Roubaix, le Dr Jean-Luc Montreuil (photo) revit des situations vieilles de 12 ans. En 2002, lors de la mobilisation il s’occupait de la coordination et, aujourd’hui encore, il est impliqué dans le mouvement aux côtés de l’UNOF : « Ce qui se passe me fait beaucoup penser à 2002. Dans notre profession on a l’impression que ça fonctionne de manière cyclique. Cette année-là, le gouvernement avait poussé le bouchon trop loin, suite à la mobilisation. Entre 2002 et 2007 la période a été à la revalorisation et, depuis lors, la situation se dégrade ».

Jusqu’au 24 décembre, l’objectif est donc d’essayer de créer une dynamique collective, alors que « les médecins ont pour habitude de faire leur truc chacun dans leur coin ». Les réunions foisonnent, occasion de mettre en débat les différents thèmes de la mobilisation. Ainsi, le 3 décembre à Villeneuve-d’Ascq, s’est tenue une grosse réunion où il a été question notamment de la grève totale des gardes. « Le Nord-Pas-de-Calais est une des régions les plus réactives, la mobilisation va être forte, les médecins ont beaucoup de choses à dire », souligne Jean-Luc Montreuil. Pour ce généraliste, qui a refusé d’adhérer à la ROSP, la question n’est pas vraiment la revalorisation mais plus un ras-le-bol général du système, une « disjonction entre les technocrates et les médecins sur le terrain », la perte de « reconnaissance de l’expertise et l’expérience du médecin ». Une raison suffisante à ses yeux pour sacrifier ses fêtes de fin d’année. « Ce n’est pas un plaisir de faire grève. ça nous prend du temps. Personnellement j’avais prévu de partir en vacances à cette période, mais il faut ce qu’il faut ».

Vous aussi, témoignez de la mobilisation dans votre département ou votre secteur, informez vos confrères et échangez avec eux sur le mouvement de fin d'année

› DANS LE SUD, on commence à s’organiser…

À Mazamet, dans le Tarn, le Dr Jean-Luc Régis, membre de MG France, sait déjà qu’il fera grève pour les fêtes de fin d’année, mais dans le département, la coordination se met en place doucement. « C’est tout récent que les syndicats se soient réunis au niveau national, donc on va suivre mais pour l’instant il n’y a pas encore eu de réunions communes. » Certains médecins du coin prévoient de faire grève en décembre, d’autres le 6 janvier, mais du côté de l’organisation, c’est la base qui presse pour connaître le programme : « ça commence à bouger pas mal, justement parce que les gens nous demandent ce qu’on compte faire ». Sur une éventuelle grève des gardes par exemple, aucune décision n’a encore été prise : « Cela me semble difficile à assumer car il va y avoir des réquisitions, peut-être que nous fixerons un jour sans garde », commente le Dr Régis. Pour l’instant, la seule certitude est que les manifestations débuteront le 23 décembre, en attendant d’autres décisions lors des réunions à venir ce mois.

En PACA, les médecins ont semble-t-il perdu toute confiance en Marisol Touraine, à en croire le Dr Serge Cini, médecin généraliste (MG France) à Marseille. « Nous savions que les engagements qu’elle avait pris en septembre 2013 concernant le virage ambulatoire ne seraient pas tenus. » D’après lui, les médecins ont le sentiment d’être maltraités et répondront favorablement à l’appel de la grève. Et peut-être davantage… Dans le Vaucluse et dans les Alpes, certains généralistes menaceraient même d’appliquer pendant la période du 23 au 31 décembre le C à 25 euros. Une réunion début décembre avec tous les syndicats du Front Généraliste est prévue. « On sent l’aboutissement d’années d’attente. L’âge moyen aujourd’hui de la profession est de 51 ans et ils ne voient toujours rien venir. On entend chaque jour un peu plus le ras-le-bol des médecins dans toutes les réunions, y compris celles de FMC », relève Serge Cini.

Une colère également ressentie par les médecins bordelais. En Gironde, le Dr Hermann Neuffer, inscrit à la FMF depuis deux ans, a vu, lors d’une réunion de FMC, l’agacement des médecins face à la situation actuelle. « La moitié des généralistes présents dans la salle disait vouloir fermer leurs cabinets. » Pour l’instant, aucune grande action n’est encore programmée dans la région mais une réunion organisée par l’UFML doit se tenir le 9 décembre.

› À L’EST, Les médecins mobilisés tous azimuts

« Honnêtement, nous avons été presque surpris par l’engouement venu du terrain tant il était fort. » Médecin généraliste à Lyon, le Dr Florence Lapica (MG France) assure qu’à la dernière assemblée générale du

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syndicat mais aussi pendant les réunions de FMC, tous les médecins étaient partants pour la grève. « Ils se sentent incompris, méprisés par les institutions et par la ministre de la Santé. Je crois que la suppression de notre FMC a été la cerise sur le gâteau. » La journée du 23 est actuellement en préparation et « pour le reste des vacances beaucoup de gens seront encore sur place et nous allons bien montrer que nous ne serons pas en vacances ou en train de faire des courses de Noël ».

La dynamique unitaire est à l’œuvre aussi dans le Territoire de Belfort, où une assemblée générale était organisée lundi dernier avec le soutien de tous les syndicats. En Alsace aussi, la « coupe est pleine » pour l’intersyndicale de la région composée des cinq syndicats (CSMF, FMF, Le Bloc, MG France, SML). Unis contre un projet de loi qui « met en danger l’ensemble de la médecine libérale et qui aggrave le démantèlement de la médecine générale », ces derniers appellent à venir participer à des soirées-débats, le 9 décembre à Strasbourg et le 12 à Mulhouse. Et d’après Claude Bronner, le président d’Union Généraliste (FMF), installé à Strasbourg, « ça discute, on les sent chauds, on a vraiment envie que ça bouge » !

Les médecins pigeons de l’UFML travaillent, eux aussi, le terrain. Et son leader, le généraliste Jérôme Marty qui sillonne la France du Nord au Sud fera une halte dans huit jours en Lorraine pour une réunion le 19 décembre à Metz-Marly. Multiforme, la mobilisation tant annoncée commence vraiment à prendre forme !