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Dossier

Médecine libérale

Négociations conventionnelles : le pari de la Cnam

Par Loan Tranthimy et Cyrille Dupuis - Publié le 22/03/2024
Négociations conventionnelles : le pari de la Cnam

Le DG de la Cnam, Thomas Fatôme, en discussion avec la délégation de la CSMF
Mael Garnier/SIPA

L’Assurance-maladie veut croire que les conditions d’un compromis final avec les médecins libéraux se rapprochent. Mais malgré les nouvelles avancées tarifaires formulées par le directeur général de la Cnam, Thomas Fatôme, la profession réclame des gages sur le calendrier des revalorisations, les contreparties et l’investissement global final.

Quitte ou double ? Fin mars ou début avril, le patron de la Cnam réunira à nouveau les syndicats de médecins libéraux, dans le cadre d’une cinquième multilatérale, pour leur présenter une première ébauche rédigée de convention – du moins sur les parties non tarifaires. Un texte « qui aura une tête de version finale », s’est avancé le DG de la Cnam, à l’issue de la quatrième réunion.

Un an après le fiasco de février 2023, qui avait abouti à un règlement arbitral a minima, l’Assurance-maladie parie de plus en plus sur un accord gagnant-gagnant avec la profession, grâce à une copie qu’elle juge solide et substantielle, dans un contexte financier contraint. Mais le chemin vers ce compromis final « sur tout ou sur rien », qui doit à la fois valoriser l’exercice libéral et garantir une amélioration de l’accès aux soins, reste semé d’embûches.

Signaux à MG France

Le patron de la Cnam a en partie tiré les leçons du vif mécontentement exprimé par les syndicats après ses premières propositions du 8 février, autour de la hausse du tarif de la consultation de référence à 30 euros, de la fusion des rémunérations forfaitaires du médecin traitant et de la valorisation ciblée des spécialités. Une copie alors jugée « très insuffisante » par l’ensemble des leaders. Un mois plus tard, le DG a enrichi son « paquet global », d’abord en adressant des signaux directs à MG France, incontournable chez les généralistes, et en se montrant plus généreux pour certaines spécialités au bas de l’échelle des revenus. Il a aussi mis sur la table d’autres sujets comme l’intéressement sur les économies réalisées (lire le détail des mesures page 17).

Pour les généralistes traitants, l’Assurance-maladie a notamment proposé de créer deux consultations longues de 60 euros pour la personne âgée (CLA) et la personne en situation de handicap (CLH) – en plus du G à 30 euros qui représente un coût de 700 millions d’euros. Au programme également, un forfait médecin traitant unifié plus attractif, la valorisation des maîtres de stage, des médecins installés en zones fragiles ou encore des confrères volontaires pour participer à la PDS et au service d’accès aux soins (SAS).

Quant aux autres spécialistes, très remontés, la Cnam a musclé ses propositions au bénéfice des psychiatres, pédiatres, gériatres, endocrinologues, dermatologues et gynécologues médicaux, une façon de corriger les écarts de rémunérations les plus criants entre spécialités et de mieux reconnaître la durée de certaines consultations. De nouvelles mesures ont été proposées sur les cumuls d’actes à taux plein, les consultations avancées des spécialistes en zones fragiles, les actes techniques et le coût de la pratique pour tenter de convaincre les spécialités techniques et médico-techniques. « On a démarré la dernière séance avec les spécialistes, la copie est très ambitieuse ! », plaide Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de l'Assurance-maladie. « On a poussé tous les curseurs », ajoute Thomas Fatôme.

Intéressement à la clé, la nouveauté

Ces revalorisations d’honoraires s’accompagnent de dix « engagements conventionnels collectifs » en faveur de l’accès aux soins, assortis d’objectifs chiffrés (patients en ALD sans médecin traitant, primo-installés, nombre d’actes cliniques moyen, patientèle, file active, délai d’accès aux spécialistes, participation au SAS/PDS-A, affiliation à l’Optam…). Le pari de la Cnam consiste ici à exiger des résultats mesurables – un impératif politique – sans expliquer ce qui se passerait si ces objectifs (collectifs) n’étaient pas atteints. Plus question, en effet, de conditionner les hausses de tarifs au respect de paramètres individuels, confirme Thomas Fatôme, qui ne veut en aucun cas « rejouer le match » du contrat d’engagement territorial ayant braqué la profession et conduit à l’échec en 2023. Seule certitude, les indicateurs seront suivis deux fois par an par un « observatoire » de l’accès aux soins, placé sous l’égide de la commission paritaire nationale (CPN). « On va monitorer », assure Thomas Fatôme.

Quant au volet de la pertinence des soins, le DG réclame des prescriptions « plus pertinentes et plus sobres » afin de réduire les dépenses de santé inutiles et redondantes mais il accepte aussi d’en redistribuer une partie aux prescripteurs eux-mêmes sous forme d’intéressement aux économies réalisées. Comment ? Les premières pistes évoquées à ce stade concernent la part de biosimilaires (avenant 9), les prescriptions d’IPP pour les aligner sur les recommandations de la HAS et les initiations d’orthèses d’avancées mandibulaires.

Partie périlleuse

La signature majoritaire des syndicats est encore loin d’être acquise, en particulier côté spécialistes, d’autant que la Cnam a exclu d’ouvrir de nouveaux espaces de liberté tarifaire. Thomas Fatôme s’est bien gardé aussi de dévoiler l’enveloppe globale finale pour l’Assurance-maladie et le calendrier des mesures tarifaires. « Nous voulons d’abord vérifier l’adhésion sur l’équilibre global des mesures », défend-il. La prochaine séance devrait permettre de faire des simulations d’impact sur les évolutions de chiffre d’affaires, spécialité par spécialité.

La partie n’est donc pas jouée. Certes, le DG de la Cnam a obtenu un mandat de Ségur pour bâtir un nouveau pacte avec la médecine libérale, avec le G à 30 euros comme étendard. Mais disposera-t-il pour autant des crédits suffisants pour financer un deal global acceptable par la profession, alors que Bercy adresse des signaux contraires ? L’arbitrage final sur l’enveloppe et le calendrier des revalorisations sera décisif pour les syndicats, qui réclament à l’unisson ce choc d’attractivité.

Du neuf sur la table

Florilège de plusieurs avancées obtenues à la sortie de la multilatérale du 14 mars.
- Médecin traitant : création d’une consultation longue (CL) à 60 euros pour les plus de 80 ans (CLA), facturable une fois par an, et pour les personnes en situation de handicap (CLH)
- Psychiatrie : consultation à 57 euros ; avis ponctuel de consultant (APY) à 67,50 euros ; revalorisation en pédopsychiatrie (MP enfants, ados, jeunes à 15 euros)
- Pédiatrie : création d’une consultation de recours à 60 euros, sur adressage d’un médecin, de la médecine scolaire, de la PMI, d'une sage-femme, d’un orthophoniste ou d’un orthoptiste
- Gériatrie, gynécologie médicale, MPR : majoration de la consultation à 40 euros
- Endocrinologie : consultation (MCE) à 60 euros
- Dermatologie : consultation du dépistage du mélanome à 60 euros
- Avis ponctuel de consultant (APC, 60 euros) : facturation possible jusqu’à 30 jours après une télé-expertise
- Forfait de 400 euros par jour (dans la limite de trois jours par mois) pour les spécialistes effectuant des consultations avancées à tarif opposable en zones d’interventions prioritaires (ZIP)
- Maîtres de stage (MSU) : forfait annuel porté à 800 euros en ZIP et 500 euros hors ZIP
- Participation au service d’accès aux soins : forfait pérenne de 1 000 euros par an
- Après régulation : pour les effecteurs, cotations SNP et MRT à 20 euros entre 19 et 21 heures ; majoration de 10 euros pour une visite sous 24 heures
- Visites en horaires PDS : création d’une majoration de 6,50 euros le samedi après-midi/dimanche et en nuit profonde/non profonde
- Actes techniques : revalorisation de 10 points des modificateurs K et T et de 5 % du coefficient de charge (en base) pour le coût de la pratique
- Mécanisme d’intéressement des médecins sur les économies de prescriptions réalisées


Loan Tranthimy et Cyrille Dupuis