Consultation en autonomie, diagnostic, réalisation de soins, primo-prescription, extension de la pratique avancée… Alors que la loi doit redéfinir la profession infirmière pour accroître son rôle et ses missions, le corps médical affiche ses réserves, sans toutefois fermer la porte.
C’est une tendance qui s’accélère : face à une démographie médicale déclinante, des actes et missions jusque-là dévolus au médecin traitant passent dans les mains d'autres professionnels de santé – non-médecins – qui poussent pour faire bouger les lignes du parcours de soins.
Après les pharmaciens et les kinés, la profession infirmière a intensifié son lobbying pour obtenir l’évolution de ses compétences et la reconnaissance de nouvelles missions, arguant à juste titre de la puissance de frappe de ces 600 000 personnes – dont 135 000 infirmières libérales ou en exercice mixte – pour améliorer l’accès aux soins. Le vent de l’histoire semble porteur. Fin 2023, la loi sur l’accès aux soins portée par Frédéric Valletoux, alors ministre de la Santé, a créé le nouveau statut « d’infirmier référent » pour les patients en ALD. La même année, la loi Rist a autorisé le principe de l’accès direct et de la primo-prescription pour les infirmières en pratique avancée (IPA), même s’il manque encore les textes d’application.
Exit le décret d’actes de 2009…
À Matignon, Michel Barnier a repris le flambeau en promettant de faire adopter une « grande loi infirmière ». Le cap est fixé : exit le décret d'actes obsolète de 2009, l'objectif est d’inscrire dans le marbre l'ensemble des tâches déjà assurées – et souvent non reconnues – par ces paramédicales mais aussi de valoriser de nouvelles missions en matière de diagnostic, de soins, de prévention et de dépistage. Sans attendre les arbitrages du gouvernement en la matière, deux députés dont l’ancien ministre Frédéric Valletoux ont pris l’initiative (avec une proposition de loi ad hoc) qui devrait transformer en profondeur le métier d’infirmière (lire page 11).
De fait, le texte, ambitieux, définit quatre missions socles : la dispensation de soins infirmiers « préventifs, curatifs, palliatifs, relationnels ou destinés à la surveillance clinique », le suivi du parcours de santé, la prévention/dépistage et la formation des étudiants et des pairs. La refonte envisagée introduit les notions clés de « consultation infirmière » et de « diagnostic infirmier », tout en prévoyant l’extension des prérogatives en matière de prescription de médicaments ou d’examens. Enfin, le champ de la pratique avancée serait étendu à la PMI, la santé scolaire et à l’aide sociale à l’enfance.
Juste soin et sécurité
Même si cette proposition de loi infirmière vient à peine d’être dévoilée, les « avancées » qu’elle promet ont été aussitôt saluées par l’Ordre et les syndicats infirmiers. À l’inverse, faute de concertation, cette évolution pourrait crisper le corps médical, déjà passablement inquiet du décret en préparation sur l’accès direct et la primo-prescription des IPA. Dans une enquête de la MACSF en 2023, les trois quarts des médecins déclaraient être opposés à la prescription de médicaments par les infirmières et 64 % se montraient défavorables au renouvellement d’ordonnances.
Au congrès de l’Ordre des médecins, en novembre, son président a posé des limites à l’intervention de non-médecins. « Il n’est pas possible de concevoir qu’un patient diabétique, pour citer cet exemple, soit pris en charge sans examen médical préalable que ce soit pour le bilan initial ou que ce soit pour la prise en charge thérapeutique », avait déclaré le Dr François Arnault, en présence de la ministre de la Santé. « Le médecin doit rester la garantie pour le patient que le juste soin lui sera prodigué et que sa sécurité sera préservée », avait-il ajouté.
Même prudence du côté des syndicats de médecins libéraux, peu enclins à céder du terrain. Pas question que des glissements de tâches ou une dérégulation du parcours aboutissent à un chevauchement des responsabilités. « Leur métier doit évoluer mais si les infirmières endossent la responsabilité du diagnostic et de l’indication de la prise en charge, alors ce ne sera plus dans leur champ de compétence », avertit le Dr Franck Devulder, président de la CSMF. « Certains syndicats d’infirmiers un peu militants veulent se défaire complètement des médecins mais, sur le terrain, les infirmières elles-mêmes ne veulent pas faire n’importe quoi ! », recadre le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France. Le pari de Frédéric Valletoux est que sa proposition de loi obligera les deux professions à trouver des terrains d’entente.
Délais raisonnables
Le SML, historiquement attentif à la question des périmètres de compétences, fixe ses lignes jaunes. « Que l’infirmier puisse mettre en route un traitement dans certaines situations, oui, mais il faudra prévoir un rendez-vous avec un médecin au bout de 15 jours », avance la Dr Sophie Bauer, présidente du syndicat, qui refuse « l’autonomie de prescriptions avec une liste à la Prévert ».
Pourtant fervent défenseur du travail en interpro, le Dr Pascal Gendry, président d’AvecSanté (qui représente les maisons de santé et les équipes libérales), ne souhaite non plus mettre la charrue avant les bœufs. S’il conçoit qu’un prélèvement bactériologique pour une plaie chronique puisse être prescrit par une infirmière « sans forcément passer par le médecin », le généraliste de Mayenne estime que ce droit de prescription « doit rester dans un cadre particulier. Il faut surtout que l’après soit organisé, avec un avis médical dans des délais raisonnables, sinon ça va être compliqué ». Quant à l’UFML-S, sa position est tranchée, son président assumant une forme de « corporatisme ». « Nous sommes une espèce de boutique que l’on vient piller, s’agace le Dr Jérôme Marty. Tout cela procède du bricolage, de la dégradation des soins de la médecine ».
Conscients de la pénurie médicale mais aussi de la pression des patients et des élus, la plupart des leaders médicaux se montrent toutefois, non pas fermés mais très vigilants. Ils réclament une « concertation » digne de ce nom, qui permettrait de poser des « garde-fous » au nom de la sécurité et de la qualité des soins. Dans un premier temps, ils misent sur la coopération interpro avec des protocoles formalisés de délégations. Une question d’équilibre ?
Ce que font déjà les infirmières
- Prescrire des dispositifs médicaux inscrits à la liste des produits et prestations remboursables (LPPR).
- Administrer aux personnes de plus de 11 ans et prescrire en autonomie l’ensemble des vaccins du calendrier vaccinal, à l’exception des vaccins vivants atténués chez les personnes immunodéprimées, sans prescription médicale préalable.
- Prendre en charge des diabétiques insulinotraités par pompe à insuline externe selon un plan d'éducation personnalisé électronique (ePEP) avec prescriptions et soins de premier recours, sous protocole.
- Dépister le cancer du col de l'utérus en réalisant un frottis cervico-utérin, sous protocole.
- Prescrire des substituts nicotiniques, renouveler des pilules.