À la lumière de la crise du Covid qui a révélé les faiblesses françaises (pénurie de certains soignants, capacités d’accueil restreintes aux urgences ou en réa, approvisionnement parfois défaillant, dépendance sanitaire en matériel ou en médicaments), comment dynamiser une filière* d’excellence pour préparer le monde d’après et affronter d’éventuelles futures pandémies ? Dans une note intitulée « Filière santé : gagnons la course à l’innovation », l’Institut Montaigne avance une dizaine de propositions dans les champs de la gouvernance, des usages numériques, des métiers de santé ou des parcours.
La santé, moteur de croissance
En premier lieu, le think tank libéral invite le gouvernement à réformer le pilotage de toute la filière santé (2 millions d’emplois, un poids économique de 300 milliards d’euros, 12,3 % du PIB) autour d’une vision transversale des enjeux. Ce changement de logiciel exige que la santé soit gérée comme une « filière économique à part entière » – à l’instar de l’aéronautique ou de l’automobile – créatrice de richesse et d’emplois non délocalisables mais aussi de capacité d’exportation, dans une logique d’investissements et d’évaluation du retour sur investissements.
Découlent de cette ambition plusieurs mesures visant à mettre en place un « tableau de bord » de cette filière (assorti d’indicateurs sanitaires, économiques, organisationnels) ou à instaurer des référentiels pour diffuser largement les bases de données et stimuler la concurrence. « Nous insistons sur la notion de "filière" pour cesser d’opposer la santé à la création de valeur. Trop souvent la santé est vue comme une source de coût alors qu’elle est un moteur de croissance créant de la valeur pour les patients comme pour les professionnels de santé », souligne Laure Millet, responsable du programme santé à l’Institut Montaigne.
Gouvernance plus collaborative
À rebours de la culture tricolore en silos ou tuyaux d’orgue, « les collaborations entre les secteurs public et privé » doivent devenir la règle. Au niveau national, cet objectif suppose une « réorganisation profonde de l’administration en santé » pour privilégier une approche intégrée des questions de santé et de développement économique. Pour l’Institut Montaigne, cela passe par la création d’un secrétariat d’État chargé du développement de la filière santé et de la réorganisation de l’administration pour lui donner les moyens d’action.
Cette réorganisation doit aboutir à la mise en place d’un « guichet unique » pour tous les acteurs économiques de la filière. Ce décloisonnement doit s’opérer aussi au niveau régional grâce à la multiplication de pôles d’excellence pour mettre en réseau les acteurs (médicaux, industriels, de la recherche, etc.). « En développant des écosystèmes locaux d’innovation, on pourra intégrer plus facilement les professionnels de santé dont les médecins qui sont aussi porteurs d’innovation, aussi bien en créant de nouvelles pratiques de soins et de collaborations, qu’en étant partie prenante d’une équipe de recherche ou d’une entreprise innovante en santé », analyse Laure Millet.
Pour les médecins, un forfait transformation incitatif
Pour le think tank libéral, l’innovation suppose une appropriation très large des données de santé et leur partage, ce qui implique la généralisation des usages numériques par les professionnels de santé. Or, pour l’Institut Montaigne, c’est loin d’être le cas ! « Par son montant comme par son contenu », le forfait structure actuel, censé accélérer l’équipement et la modernisation des cabinets libéraux, « peine à convaincre les professionnels », déplore le think tank.
Pour changer de braquet, la note suggère de remplacer ce forfait structure vieillissant par un « forfait transformation » visant au déploiement massif des outils numériques à forte valeur ajoutée (messageries sécurisées, téléconsultation, téléservices, e-prescription…). Les médecins seraient incités par des mécanismes tarifaires à « l’usage » de ces outils digitaux et aux « résultats ». Une partie du bonus serait conditionné à l’atteinte d’indicateurs concrets comme « la réduction des délais d’obtention de rendez-vous ou l’augmentation du temps médical avec son médecin ». L’Institut Montaigne propose ici d’associer les ordres professionnels (dont celui des médecins) pour permettre l’appropriation de ces mesures.
Passerelles entre métiers
Dans un contexte de creux démographique, voire de pénurie (dans certaines spécialités et zones géographiques), il convient aussi de multiplier les « passerelles entre métiers en décroissance et métiers de la santé », mais aussi entre les secteurs médical et paramédical. « Le besoin de recrutement dans le secteur de la santé reste très élevé, cadre Laure Millet. L’idée est d’attirer dans le champ de la santé et du médico-social des personnes qui ne sont pas issues de la santé par leur formation initiale. »
Cette évolution passe par le développement de la formation continue mais aussi par la montée en gamme de chaque profession de façon concertée. « La délégation de tâches est un élément clé pour améliorer le temps disponible des médecins, explique l’experte. Les exemples de réussite à l’étranger ont montré que c’est en associant les médecins à ce processus qu’on obtient les meilleurs résultats. Il ne faut donc pas le leur imposer ».
Sans surprise, l’Institut Montaigne soutient l’évolution des modes de financement « au parcours », « à la performance », sur la base d’indicateurs de résultats ou selon des « approches populationnelles ». Autant de directions qui étaient déjà préconisées dans le rapport Aubert (2018) sur la réforme des modes de financement et rémunération.
Plus largement, l’Institut Montaigne appelle de ses vœux la transformation de l’Assurance-maladie en « assurance santé » pour mieux intégrer « les enjeux de prévention et de long terme ».
* Cette filière santé rassemble une très grande diversité d’acteurs parmi lesquels les soignants, établissements de soins publics et privés, le monde de la recherche en santé, les industriels du médicament et du dispositif médical, les payeurs, les services de santé, les entreprises du numérique, du diagnostic, etc.
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