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Dossier

Entretien avec le Pr Dominique Le Guludec

HAS : le programme de la présidente

Par Anne Bayle-Iniguez et Cyrille Dupuis - Publié le 19/03/2018
HAS : le programme de la présidente

HAS
SEBASTIEN TOUBON

LE QUOTIDIEN : Vous venez d’être nommée « pilote » du chantier qualité et pertinence des soins, dans le cadre de la stratégie de transformation du système de santé du gouvernement. Comment abordez-vous cette mission ?

Pr DOMINIQUE LE GULUDEC : Le moment est très particulier. Notre système de soins connaît une tension aiguë. Nous devons faire face à la fois à l’augmentation forte des besoins médicaux – patients âgés, polypathologies – et à des innovations majeures notamment médicamenteuses qui se multiplient à un rythme incroyable, aux biothérapies, à la e-santé… Ajoutons les changements sociétaux prégnants – besoin d’implication des patients, volonté de nos jeunes collègues de travailler autrement – et des moyens budgétaires et humains contraints, la situation est telle que nous devons trouver des mécanismes de régulation. Soit on procède de façon comptable et administrative, soit on régule de manière professionnelle, par la qualité et la pertinence. C’est ce que nous voulons faire.

Vous devez élaborer des indicateurs de qualité des parcours sur 10 pathologies chroniques les plus fréquentes… Comment allez-vous procéder ?

Le parcours du patient est déterminant dans la qualité, davantage que l’approche consistant à saucissonner les pathologies, les épisodes aigus ou les spécialités. Depuis deux ans, la HAS et les conseils nationaux de professionnels (CNP) dont le Collège de médecine générale (CMG) ont proposé des parcours de référence. Et la HAS a déjà qualifié des parcours sur l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance coronaire, l’insuffisance rénale, la BPCO, Parkinson, etc.

La deuxième étape consiste à élaborer des indicateurs de qualité. L’idée derrière, c’est qu’on ne financera plus uniquement au volume des actes mais à la qualité. Est-ce que le diabétique a eu une consultation de podologie ? Dans le cas de l’insuffisance rénale, combien de patients sont inscrits sur une liste de greffe ?

Allez-vous élaborer des listes d’actes ou de prescriptions inutiles ?

La pertinence, ce n’est pas uniquement le gâchis, la chasse au gaspi ou la surprescription. C’est aussi la sous-prescription : nous avons par exemple travaillé sur l’autisme ou les troubles dys chez les enfants, où nous constatons de la sous-prescription ou de la sous-consommation de soins.

En revanche, qu’il y ait beaucoup de surprescriptions et des actes inutiles, c’est un fait. S’y attacher pourrait peut-être nous permettre de financer les innovations. L’hétérogénéité de certaines opérations, comme la chirurgie de l’obésité ou du canal carpien, montre qu’il existe des marges de progrès.

Comment allez-vous prendre en compte l’avis des médecins libéraux dans ce chantier sur la pertinence des soins ? Il n’y a plus aucun praticien libéral au collège de la HAS…

Le collège est plus réduit qu’auparavant et, c’est vrai qu’on peut regretter l’absence actuelle de confrère libéral. Mais  personne n’est là pour défendre son pré carré au sein du collège. Libéral, hospitalier : ce n’est pas mon problème ! En revanche, dans les travaux quotidiens de la maison – les recommandations, groupes de travail – il y a des libéraux systématiquement.

Vous êtes chargée de travailler sur la télémédecine alors que des négociations conventionnelles sont en cours. Comment procédez-vous ?

Nous étudions s’il existe quelques situations cliniques où la télémédecine serait contre-indiquée. On imagine mal par exemple que le médecin n’examine pas un patient souffrant d’une plaie ouverte, ou qu’un malade souffrant d’une pathologie très aiguë ne bénéficie pas de l’œil d’un médecin sur place. L’enjeu n’est pas tant de définir les quelques très rares situations où la télémédecine est exclue que de garantir la qualité de cette pratique qui va se diffuser très vite. Nous allons donc nous attacher à qualifier ce qu’est une téléconsultation de qualité. Nous avons la même démarche d’explicitation sur la télé expertise. Nous sommes également impliqués sur l’analyse de la télésurveillance, par le biais des expérimentations.

La HAS pilote la certification des établissements. Nombre d’entre eux juge la procédure lourde et chronophage pour les équipes. Peut-on la simplifier ?

La certification aide les hôpitaux à améliorer leurs pratiques. On peut considérer que c’est du temps perdu s’il s’agit de remplir un dossier pour faire joli. À l’inverse, on peut penser que c’est du temps gagné si c’est pour mieux travailler en équipe et mieux faire son métier. Au début, nous avons surtout évalué les processus des établissements. Nous voulons désormais médicaliser la certification, et aller jusqu’au résultat du soin. C’est pourquoi nous nous intéressons au parcours médical du patient et à l’évaluation de la pertinence du soin à l’hôpital. Ce n’est pas simple. Mais c’est la non-qualité qui coûte cher au patient et au système de soins.

Quels sont les axes d’amélioration principaux des établissements ?

Le circuit du médicament fait partie des points difficiles pour quasiment tous. On observe aussi des dysfonctionnements au bloc opératoire, qui vont de la programmation à des éléments de qualité et de sécurité des soins (comme le risque infectieux). En revanche, nous n’avons pas observé de dysfonctionnements sur la chirurgie ambulatoire. C’est une pratique très balisée, notamment en sortie du patient et en surveillance postopératoire.

Nous allons développer fortement l’outil du patient traceur. Nous en faisons aujourd’hui entre trois et 15 par établissement, selon la taille de la structure.

La HAS est passée à côté de l’affaire des urgences psychiatriques à Saint-Etienne. Comment est-ce possible ? 

Lorsque la HAS est confrontée à une situation très grave dans le cadre d’une visite d’un établissement, elle peut lancer une alerte d’urgence auprès de l’agence régionale de santé. Au moment de notre passage à Saint-Etienne, à l’automne dernier, il n’y avait pas de motif de lancer l’alerte, la situation n’était pas celle qu’a connue Adeline Hazan d’un afflux massif de malades aux urgences en raison des épidémies.

Il s’agit néanmoins d’un sujet grave. Nous travaillons sur l’évaluation de la qualité des soins en santé mentale. Un des indicateurs en cours d’élaboration portera justement sur la contention. Nous avons déjà publié un guide sur la prévention des épisodes de violence en psychiatrie et une recommandation sur la contention.

Faut-il, comme pour les maternités, fixer des seuils d’activité minimum pour les activités chirurgicales ?

Les médecins qui ne répètent pas assez souvent les actes sur certaines pratiques chirurgicales ne peuvent pas maintenir leur compétence. C’est vrai pour les accouchements. Mais on ne peut pas définir un seuil en claquant des doigts. Cela réclame de la documentation. Il existe des seuils d’activité en cancérologie grâce au travail d’experts comme l’INCa, qui a établi le lien entre le volume et la qualité de l’acte sur la prise en charge du cancer du sein. Dans d’autres domaines qui exigent une très haute technicité, volume et qualité sont également liés.

Notre travail n’est pas de fournir des seuils d’activité mais des indicateurs de qualité. Notre but n’est pas non plus de fermer des hôpitaux ou des services. Notre travail consiste à tirer la sonnette d'alarme quand la qualité fait défaut, que ce soit pour des raisons de taille d’équipe, de nombre de patients ou de nombre de médecins titulaires. Quand des urgences tournent avec aucun titulaire, peut-on vraiment dire qu’elles fonctionnent ?

Les patients sont attachés à leur hôpital ou à leur maternité, c’est humain et je le comprends. Néanmoins, il vaut mieux fermer un service si la qualité telle attendue au XXIe siècle en France n’est pas au rendez-vous.

On parle aujourd’hui de recertification des médecins. Quel rôle compte jouer la HAS ?

La médecine évolue à une allure incroyable et il faut s’assurer que les médecins suivent une formation continue tout au long de leur exercice et puissent être recertifiés quant à leurs compétences professionnelles. Ce n’est pas seulement de la formation académique ! Nous allons qualifier la méthodologie de la recertification mais nous ne revendiquons pas son pilotage. Cela dit, nous accréditons déjà les praticiens des spécialités dites « à risques » et nous prônons que cette procédure vaille recertification Pour les généralistes, la recertification doit permettre d’évaluer les connaissances et les pratiques. Beaucoup de pays le font déjà, et depuis longtemps !

Propos recueillis par Cyrille Dupuis et Anne Bayle-Iniguez