LE QUOTIDIEN : Plusieurs milliers de médecins généralistes - jeunes et installés - ont manifesté le 15 mars contre le projet de loi de santé. Comment expliquez-vous le malaise de la profession ?
PR PIERRE-LOUIS DRUAIS : Ce malaise est ancien mais la loi de santé catalyse les difficultés ressenties. Les généralistes éprouvent de plus en plus une perte de sens de leur métier, sont découragés et peuvent même être touchés par le burn-out. Ils s’interrogent sur la pérennité de la profession. Les jeunes voient cela en stage et ça les effraie. Ils aspirent à une meilleure qualité de vie. Il n’est plus normal d’accepter de faire 70 heures par semaine quand on est médecin généraliste. Nous consacrons trop de temps aux formalités administratives sans être payés en retour. Certains documents sont d’une complexité insupportable et d’un intérêt très relatif. Remplir un formulaire ALD de trois pages, cela ressemble à de l’irrespect au vu de notre charge de travail !
Seulement 28 % des internes ayant entamé leur DES entre 2004 et 2010 exercent réellement la médecine générale en libéral. Cette « fuite » vous inquiète-t-elle ?
Ces résultats sont alarmants. Environ 20 % seulement des internes s’installent [en cabinet libéral] entre cinq et sept ans après leurs études, après avoir validé le DES et leur thèse. Les autres exercent à l’hôpital, dans des services où il y a des carences. Globalement, ils gagnent assez bien leur vie avec leur salaire, des gardes et des remplacements. La France compte environ 10 000 remplaçants qui remplissent un rôle important... Mais des médecins généralistes qui remplacent pendant 10, 15 ou 20 ans de leur vie, cela pose question ! Aujourd’hui, notre métier souffre d’une absence de visibilité.
Depuis 2004, la médecine générale est pourtant mieux reconnue, à l’université notamment...
C’est vrai, beaucoup de choses ont bougé avec les 80 chefs de clinique dans la spécialité. La recherche clinique (PHRC) s’est ouverte à la médecine générale et notre spécialité comptera bientôt 10 000 maîtres de stage. Quand je vois le nombre de participants au congrès de la médecine générale – 3 500 l’an dernier dont 300 externes – je trouve cela encourageant. Mais il y a un hiatus entre cette dynamique et l’installation professionnelle.
Dans votre rapport sur la médecine générale, vous réclamez un financement de 400 millions d’euros par an au titre du virage ambulatoire. Avez-vous quelque espoir d’être entendu ?
Je n’ai aucune garantie que mon rapport sera repris. Le paiement à l’acte unique n’est pas la solution. Il faut garder une rémunération à la consultation mais il est important aussi de financer des secrétariats avec des forfaits "structure". Aujourd’hui, un généraliste qui travaille honnêtement et réalise 25 actes par jour n’a pas les moyens de payer une secrétaire avec les charges sauf à perdre 50 % de son BNC net.
Un généraliste français a 0,3 secrétaire [équivalent temps plein] alors que la moyenne est de 2,4 par médecin en Europe. C’est un scandale ! Des généralistes font le ménage eux-mêmes dans leur cabinet après leur journée de boulot pour alléger leurs charges.
J’ajoute que de nombreux médecins n’arrivent pas à partir à la retraite par culpabilité. Ils ne s’imaginent pas croiser dans la rue d’anciens patients en ayant le sentiment de les avoir abandonnés. Des médecins s’en rendent malades. Près de 50 % des généralistes de plus de 55 ans sur le territoire sont porteurs d’une maladie chronique et ne sont pas correctement soignés.
Vous réclamez une équité de rémunération entre spécialités...
La réalité est simple : un généraliste gagne in fine 26 euros net de l’heure en moyenne quand un spécialiste gagne 45 euros. Cet écart s’explique en partie par l’utilisation du C2, peu contrôlée, mais surtout le nombre d’actes techniques. Dans notre société, la médecine technique est jugée plus noble que la médecine clinique.
Le C à 23 euros est indécent. Ce tarif ne tient pas compte de la coordination, du suivi des patients, de la complexité des situations. C’est pourquoi il faut agir. Soit on rémunère le C à son vrai niveau, aux alentours de 35 euros, mais ce fossé est impossible à combler d’un coup ; soit on met le C à 25 euros mais on ouvre en même temps des espaces de revalorisation complémentaire pertinents et lisibles qui rémunèrent la prévention, l’éducation thérapeutique, la coordination, les consultations longues et répétées.
Pour le DMP, on a dépensé des centaines de millions d’euros pour un maigre résultat ! Qu’on ne nous dise pas qu’il est impossible de consacrer 400 millions d’euros chaque année pour les soins primaires.
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