Guillaume Garot : « Il faut une régulation à l'installation pour assurer une répartition plus harmonieuse »

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Publié le 02/12/2022
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Après quatre mois d'auditions, l'opiniâtre député socialiste de la Mayenne, Guillaume Garot, s'apprête à rendre publique une proposition de loi contre les déserts médicaux, élaborée au sein d'un groupe transpartisan. Son ambition est de « réguler » la liberté d'installation via de nouvelles modalités (conventionnement sélectif ou autorisation d'exercice), annonce-t-il. Pour l'ancien maire de Laval, qui se défend de toute coercition, « il y a urgence à agir ».

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Vous avez lancé en juillet un groupe de travail transpartisan pour élaborer une proposition de loi sur les déserts médicaux. Où en sont vos travaux ?

GUILLAUME GAROT : Depuis juillet, nous avons conduit un cycle d'auditions et reçu 81 personnes, issues de 38 organisations, représentant des médecins, internes, élus, usagers et autres professions de santé. Ce travail est terminé et nous allons présenter notre proposition de loi d'une dizaine d'articles afin de nourrir le débat. Lors de l'examen du budget de la Sécurité sociale, le couperet du 49.3 a empêché tout échange sur les déserts médicaux. C'est dommage car nos auditions ont confirmé ce que je ressens : une angoisse grandissante des citoyens, des élus et des professionnels de santé, y compris des médecins ! Ceux qui exercent dans les territoires déficitaires sont assaillis de demandes sans pouvoir donner une réponse satisfaisante. Il y a une urgence à agir.

Avez-vous constaté un consensus du groupe pour imposer des mesures contraignantes, comme le conventionnement sélectif en zones surdotées ?

Oui. Il y a un consensus du groupe transpartisan sur la nécessité de réguler l'installation. Il ne s'agit pas de coercition ! Personne dans notre groupe ne souhaite affecter un interne ou un médecin dans un territoire, comme ce qui se fait pour les enseignants. Le principe de la liberté d'installation n'est pas remis en cause. Mais nous appelons à un encadrement de ce principe avec de nouvelles règles car, je vous le répète, il y a une urgence à agir, dans une logique d'intérêt général. C’est un enjeu républicain. Le sentiment d'abandon est très fort quand on ne peut avoir de médecin près de chez soi.

Quel type de régulation envisagez-vous ?

Deux leviers sont possibles : soit le conventionnement sélectif dans les zones surdenses, soit une autorisation d'installation ou d'exercice accordée par la puissance publique via les ARS, en fonction des besoins de santé des territoires et de l'offre de soins existante. Cela nécessite – c'est une autre proposition que nous formulons – de définir ce qu'est un territoire correctement doté et un secteur déficitaire. Aujourd'hui, il existe des indicateurs comme l'APL (accessibilité potentielle localisée) ou les zonages définis par les ARS. Mais nous souhaitons un indicateur public et transparent pour aboutir à une cartographie de l'offre de soins et des besoins de santé dans chaque territoire. Les populations ne sont pas forcément les mêmes partout, les pathologies différentes, les besoins en matière d'offre de soins variables. Cela devrait être un vrai outil de pilotage de la politique de santé.

Depuis des années, vous appelez en vain à réguler l'installation. Pensez-vous que cette proposition de loi sera adoptée cette fois ?

Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’est engagé sur la régulation de l’installation. Notre groupe n'est donc pas le seul à la proposer. C'est dans le débat public. J'entends les inquiétudes des professionnels, mais j'entends aussi les citoyens, les patients qui attendent des solutions rapides.

La régulation a aujourd'hui toute sa légitimité. Je ne dis pas que c'est la seule solution mais c'est, à mon avis, celle qui peut donner la pleine efficacité à toutes les autres. Jusqu'à présent, tout ce qui a été imaginé est utile, qu'il s'agisse de l'augmentation du nombre de médecins à former, du développement de l'exercice coordonné, des CPTS… Mais cela reste insuffisant face aux défis démographiques qui vont, hélas, s'aggraver d'ici à 2030. On nous demande de construire des maisons de santé dans les territoires, c'est très bien, mais encore faut-il qu'il y ait des médecins ! Si on veut que les politiques d'attractivité fonctionnent, il nous faut une régulation à l'installation pour assurer une répartition beaucoup plus harmonieuse. Je ne dis pas que cela sera facile, il faudra un dialogue avec l'ensemble des parties prenantes.

Êtes-vous également partisan du retour des gardes obligatoires ?

Je constate que, depuis la fin de la permanence des soins obligatoire, l'accès aux soins a reculé. Si on veut désengorger les urgences et soulager la pression qui pèse sur l'hôpital, il faudra l'envisager. Au regard de l'urgence de la situation, on peut prendre des mesures claires mais qui pourraient être transitoires pour passer le cap difficile. Je veux mettre aussi cette idée dans le débat parlementaire.

Mais pourquoi les jeunes médecins iraient-ils s'installer là où il n'y a plus de crèche ni d'école ? La contrainte ne sera-t-elle pas contreproductive ?

Vous dépeignez le milieu rural comme l'enfer, dépourvu de crèches et de services publics. Certes, la question de l'aménagement du territoire doit être posée. Mais même dans les territoires comme la Mayenne, à 1 h 30 de TGV de la capitale, avec une offre culturelle de qualité, des écoles, des crèches, un taux de chômage de l'ordre de 5 %, on n'arrive pas à trouver de médecins ! Certes, on est en pénurie mais la question de la répartition doit être posée. S'il y a toujours les mêmes flux de médecins pour aller dans les mêmes endroits, c'est à l'évidence, ce qu'il ne faut plus faire.

Et je ne crains pas un mouvement de déconventionnement des médecins libéraux. Quel serait leur intérêt de s'installer en secteur III (hors convention) sachant que les patients du territoire iront spontanément vers un praticien conventionné, pour être remboursé de tout ou partie de la consultation ?

Quelles autres solutions pourraient émerger de votre groupe de travail ?

Nous n’envisageons pas d'augmentation du tarif de la consultation pour les médecins qui s'installent dans les zones sous-dotées. La Cnam verse déjà des aides financières pour ceux qui vont dans ces secteurs fragiles. La Cour des comptes en a même fait un rapport en 2015 montrant que cela représente plusieurs dizaines de millions d'euros par an. Pour autant, le problème n'est toujours pas réglé. Dans la période actuelle, je ne suis pas sûr non plus qu'une augmentation du prix de la consultation soit bien comprise par les Français. En revanche, le texte prévoit des propositions de nouveaux transferts de tâches et d'accès direct. Nous considérons que les IPA pourraient être consultées en accès direct avec un protocole contrôlé. C'est une autre réponse aux besoins de santé.

Un article du PLFSS laisse la main aux partenaires conventionnels pour adapter les règles du jeu en matière d'installation. Qu'attendez-vous de la future convention médicale ?

Que le levier de la régulation puisse être aussi envisagé dans les discussions entre la Cnam et les syndicats. J'attends de l'Assurance-maladie qu'elle porte l'intérêt général. Il est naturel que les représentants des médecins défendent leurs propres intérêts. Je peux comprendre qu'ils soient opposés au conventionnement sélectif, mais il y a aussi l'autre levier que je propose, à savoir l'autorisation d’installation. Je les invite à discuter sereinement de toutes les solutions, sans en écarter aucune. Chacun doit être dans son rôle, le mien est de porter les attentes de nos concitoyens et de trouver des réponses justes, efficaces, rapides. J'espère arriver à un compromis pour redonner de l'espoir aux Français car je sens le pays très tendu.

Seriez-vous partisan d'une remise en question du secteur II ?

Je n'ai pas entendu de la part des partenaires conventionnels une quelconque volonté de remettre en cause le secteur à honoraires libres. Ici non plus, à l'Assemblée nationale, ce n'est pas à l'ordre du jour. En revanche, les Français ne doivent pas pâtir de ce secteur tarifaire. Qu'il faille un encadrement, cela peut s'envisager mais là on est clairement dans l’ordre du conventionnel.

Attendez-vous quelque chose du conseil national de la refondation ?

Chat échaudé… Il y a eu le Grand débat après les Gilets jaunes, qu'est-ce qu'il en est resté ? Puis la convention citoyenne sur le climat. Même question. Aujourd'hui, c'est le conseil national de la refondation sur la santé. Espérons que ceux qui se sont mobilisés de façon très sincère, très engagée dans les départements ne soient pas déçus demain. Écouter la parole de tous les acteurs, c'est une bonne chose. Mais je souhaite que la parole des parlementaires, de toutes les sensibilités républicaines, qui présentent une proposition largement partagée et inédite bénéficie de la même attention !

Propos recueillis par Loan Tranthimy

Source : Le Quotidien du médecin