Live chat du « Quotidien »

Pénurie d’organes : posez vos questions à Anne Courrèges et au Pr Olivier Bastien (Agence de la biomédecine)

Publié le 31/05/2019

Après huit années de hausse, le nombre de prélèvements et de greffes d’organes a baissé en 2018. Comment inverser la tendance ? Quel rôle pour les médecins dans la politique de dons d’organes ? Anne Courrèges et le Pr Olivier Bastien, respectivement directrice générale et directeur des prélèvements et des greffes d’organes et de tissus au sein de l’Agence de biomédecine, répondront à vos questions sur le sujet.

Journaliste QDM (SL)
Bonjour à toutes et à tous.
Nous accueillons aujourd’hui Anne Courrèges, directrice générale de l’agence de la biomédecine et le Pr Olivier Bastien, directeur prélèvement greffe organes-tissus. Comment relancer les dons d’organes ? Quel rôle les médecins peuvent-ils jouer ? Quels sont les progrès en matière de greffe ?… Nos deux invités répondront à vos questions sur le sujet pendant près d’une heure.
 
Journaliste QDM (SL)
Live chat avec Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
 
Journaliste QDM (SL)
Bonjour Anne Courrèges. Bonjour Pr Olivier Bastien. Nous sommes ravis de vous accueillir dans les locaux du « Quotidien ». Merci d’avoir accepté notre invitation.
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
Merci de votre accueil, c'est un plaisir d'être là pour répondre à vos questions. Car le don d'organes est un sujet qui nous concerne tous et plus encore le corps médical, à la fois comme citoyens mais aussi comme relais précieux.
Journaliste QDM (SL)
La journée nationale de réflexion sur le don d’organes aura lieu le 22 juin prochain. Quelles actions l’Agence de la biomédecine envisage-t-elle à cette occasion ?
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
OB - On a élargi le champ à toutes les possibilités des dons d'organes. Traditionnellement, la journée était consacrée au don d'organes dans un contexte de mort encéphalique et de la reconnaissance au donneur. Là, nous élargissons aux dons du vivant pour resituer toutes les possibilités dans leur contexte.

AC - On fait un baromètre pour suivre l'opinion régulièrement. On voit une progression de la connaissance de la loi et une adhésion au don. L'occasion de communiquer auprès d'une population indécise ou qui se sent éloigné de cette problématique, comme les jeunes ou les personnes âgées. Il n'y a pas d'âge pour donner. Le but est de faire comprendre que tout le monde est concerné. Après une année 2018 difficile, faire que tout le monde se sente acteur et concerné.
-- Siam Siam
Dans quels pays les dons sont suffisants? Et est ce que la législation y est propice ?
 
-- Doc Holliday
Des pays comme l’Espagne ou la Belgique ont de meilleurs résultats que nous en termes de nombre de donneurs par million de décès ou de refus de don. Font-ils différemment de nous ? Peut-on s’en inspirer ?
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
AC - Dans aucun pays il y a une situation d'autosuffisance, les besoins augmentent plus vite que les organes disponibles. C'est un sujet de préoccupation commune. En France, nous sommes très bien placés en termes d'accès à la greffe. La situation des besoins est une préoccupation majeure, mais la situation française est plutôt une bonne situation par rapport à d'autres pays.

OB - Nous sommes toujours en 3e position ; en termes de greffe de cœur, nous sommes devant l'Espagne. Les règles d'allocation sont différentes selon les pays européens. La France est plutôt leader, nous sommes les seuls à avoir mis en place le score cœur. L'Espagne, en termes de mort encéphalique ou Maastricht 3, est plus avancée. La politique multiple de la France sur le don visant à développer toutes les sources de greffon permet une certaine stabilité de l'activité et permet d'éviter une fluctuation trop importante.
Le Maastricht 3 est une classification internationale qui permet de faire des prélèvements en cas d'arrêt des thérapeutiques en fin de vie et pour lequel un arrêt circulatoire survient à l'hôpital, qui permet le prélèvement. En 2005, Maastricht 2 et 2014 Maastricht 3.

AC - En France, il faut une réflexion éthique approfondie avant de commencer, pour garantir l'étanchéité totale entre ce qui relève de la fin de vie et ce qui relève du prélèvement. Nous avons posé des conditions médico-techniques, notamment des machines de perfusion. Donc, on a commencé plus tard ; mais nous avons des résultats remarquables. C'est une activité qui se développe rapidement.
29 centres sont autorisés au Maastricht 3.

OB - L'âge limite est désormais de 70 ans.

AC - Les résultats sont très bons en France pour le Maastricht 3 par rapport aux autres pays, qui sollicitent notre expertise.
Journaliste QDM (PT)
Pourquoi n’est-il pas éthique de vendre un organe (non vital comme 1 rein) ?
Cela ne pourrait-il pas être une des solutions contre la pénurie ?
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
OB - Des pays comme l'Iran ont contourné ce problème en disant qu'un service est rendu à la nation, donc la nation donne une compensation financière aux donneurs.

AC - Cela ne correspond pas à notre principe de non patrimonialité. Ce sont généralement les plus pauvres qui vont être tentés. Il y a une forme d'exploitation derrière cela. Et à partir de ce moment, où cela devient une nécessité de vendre un organe, le risque est de mentir sur ses données médicales. En termes d'efficacité, cela ne sécurise pas la filière, c'est contre-productif.
Globalement, la France n'a pas à rougir de ses résultats. On a aucune raison d'encourager d'autres modèles.
Nous sommes dans les 5 premiers dans le monde en termes de greffes par million d'habitants.
Dr Lafa
Quelle est, globalement, maintenant, la moyenne d'âge des greffons et est-ce que des outils ont été développés pour vérifier la qualité des greffons (foie en particulier) au regard du vieillissement attendu de la population ?
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
OB - La moyenne d'âge était de 57 ans en 2018 (un an de moins par rapport à 2017).
AC - Nous avons gagné 20 ans en 20 ans.
OB - La qualité des greffons est toujours vérifiée. Nous comparons les survies des greffons. On essaie d'apparier l'âge du donneur à l'âge du receveur pour lisser les différences.
AC - Un certain nombre de tests sont faits pour vérifier que le greffon puisse être transféré sans risque. C'est très sécurisé en amont, pendant et après pour s'assurer qu'il n'y a aucun problème, avec une transparence sur les résultats globaux.
OB - Il y a régulièrement des greffons refusés.
AC - On est dans l'individuel : il y a une évaluation à chaque fois du bénéfice risque. Certaines équipes ont aussi une expertise chirurgicale que d'autres n'ont pas. Il n'y a jamais de réponse simple, c'est au cas par cas.
Pauline R
La mise en place du consentement présumé pour le don d’organes a-t-il eu un réel impact sur le nombre de donneurs décédés ?
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
OB - Le consentement présumé existe depuis 40 ans. Nous ne l'avons pas mis en place. Ce qui s'est amélioré, c'est la connaissance de la loi. On a une petite baisse du taux de refus. Mais c'est un travail sur la durée.
AC - Il faut continuer à travailler sur la communication à l'égard du grand public, et l'accueil dans les hôpitaux. La formation des professionnels de santé dans l'abord des proches est très importante. L'information préalable, en dehors d'un contexte de deuil par les généralistes, est aussi très importante.
OB - Cette question est abordée dans le premier module éthique, dans la 1re année. Mais la fin de vie devrait être abordée en continu au cours de la formation des médecins.
AC - Les médecins peuvent aller sur le site de l'Agence de la biomédecine pour télécharger des documents, relatifs à cette question, et des affiches à destination de leur patientèle. Ils ont toutes les informations sur le site dondorganes.fr. On a travaillé avec la CNAM pour que le DMP intègre la problématique du don d'organes. Il y a une case à cocher sur cette question. Cela peut être la base d'un dialogue entre le médecin et le patient.
Journaliste QDM (SL)
Live chat avec Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
 
Vincent 75
Quel suivi pour les donneurs vivants ? Y a-t-il des risques à long terme pour les donneurs ?
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
AC - Les donneurs vivants ont un suivi annuel et à vie. Non pas en raison de risques particuliers, mais comme une contrepartie, à la solidarité dont ils ont fait preuve. Parfois, le donneur jeune ne s'inscrit pas dans cette démarche. C'est une première difficulté. En outre, il faut que le suivi soit proposé à tous dans le cadre de cohortes.
OB - Il faut mettre en place des mesures de prévention pour que le patient, 15 ans après un don de rein, ne soit pas hypertendu. Ou que le généraliste pense à le renvoyer vers un néphrologue s'il y a une HTA à traiter. La visite annuelle est bien sûr prise en charge par l'Assurance-maladie. Le suivi doit être simple, car les personnes bougent dans leur vie. Tous les médecins peuvent faire ce suivi. L'information revient à l'ABM qui assure le suivi des donneurs vivants.
jm
Bonjour et merci de donner de votre temps pour ce Live chat... Certains pays permettent de connaître son greffé/donneur. La France applique un anonymat strict. Pourquoi cette position ? Merci.
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
AC - Dans certains pays comme les Etats-Unis, il y a possibilité de connaître son donneur. Des vidéos montrent de grandes retrouvailles... En France et en Europe, nous sommes sur le principe de l'anonymat, dans l'intérêt de chacun : des proches du donneur, pour faire leur deuil. Cela protège aussi le receveur : ça évite un droit de regard sur l'organe. Cela lui permet de s'approprier cet organe, qu'il ne lui soit plus étranger. Cela évite des problèmes liés à la volonté de choisir ou refuser son donneur. Il y a la possibilité pour les proches du donneur de savoir s'il y a eu une greffe. Cette information peut être demandée. Ils peuvent demander aussi des informations anonymisées sur l'état de santé du greffé.
Dr Holliday
Quelle forme doivent prendre les directives anticipées pour ne pas faire l’objet de contestation par les proches ?
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
AC - On est dans le domaine du consentement présumé. Nous recherchons un refus, une opposition : cela passe par une inscription sur le registre national des refus, ou par un document écrit remis à un proche, ou un témoignage oral. Nous sommes dans une autre approche que celles des directives anticipées (DA). Nous recommandons le Registre national des refus : simple, incontestable, neutre.
OB - Le refus peut être partiel : sur quelques organes.
AC - Cela concerne aussi les tissus.
Pr Chosta
La création d’un statut de donneur pourrait-elle encourager les donneurs vivants ?
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
AC - Les donneurs vivants ont un statut déjà très protecteur organisé en France. Il y a le principe de neutralité financière : tout est pris en charge, y compris les frais non médicaux : la garde des enfants, au cours de visites médicales... la personne ne doit pas être pénalisée par son don. Il y a aussi un suivi annuel, le principe de non discrimination à l'égard des assurances. Tout ce qui peut faciliter la vie du donneur est bienvenu.
OB - Nous envoyons un guide aux hôpitaux pour rappeler les principes et les solutions pratiques.
Journaliste QDM (SL)
Live chat avec Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
 
Journaliste QDM (PT)
Bonjour Madame, bonjour Professeur.
Dans certains organes comme le foie, le score MELD a été introduit pour permettre une meilleure répartition des greffons hépatiques entre insuffisance hépatique et cancer. Avez-vous déja un retour d'expérience de l'utilisation de ce score et cela est-il satisfaisant ou va-t-il être modifié ?
Bien à vous.
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
OB - Le score MELD a été une avancée. Il s'agit d'un score pour grader la gravite d'une insuffisance hépatique. Il ne prend pas toujours en compte certains stades. Il est efficace dans les cirrhoses, moins dans le cancer. On travaille à un score qui prendrait en compte tous les stades. Pour le score cœur, nous avons construit notre propre score.
Xamed
Quelles sont les contre-indications médicales au don d'organes ?
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
OB - Il y a des contre-indications absolues : un cancer évolutif avec risque de métastases, et des contre-indications relatives, au cas par cas : une méningite traitée par antibiotique n'est pas une contre-indication. L'hépatite C est une contre-indication relative : on ne pourra pas attribuer un greffon à un donneur naïf, mais on pourra l'attribuer à titre dérogatoire à un patient qui a déjà eu l'hépatite C.
emmaluna
Quand aura-t-on un suivi/accompagnement psychologique des familles de « donneurs » qui vivent très difficilement pour certains ce geste invasif ? Et dont on ne parle jamais.
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
OB - On en parle dans le milieu spécialisé du prélèvement et de la greffe. Nous rééditons les recommandations sur la prise en charge du donneur encéphalique avec un chapitre sur l'accompagnement des proches. Tous les deuils ne sont pas pathologiques : il faut détecter les proches qui vont développer un deuil pathologique et les orienter vers un psychologue, mais il ne faut pas généraliser. L'accompagnement est systématiquement proposé, mais pas imposé. Les recommandations auront deux volets : l'un pour les situations normales, l'autre pour les pathologiques.
AC - La journée du 22 juin est dédiée aux donneurs et à leur famille. Nous pensons aux donneurs et aux proches. Certes, c'est moins visible. Les proches prennent moins la parole. C'est plus facile de faire parler les greffés, mais la parole des donneurs et des proches est très forte.
Dr No
Est-ce que l'Agence de biomédecine réfléchit à repousser l'âge des receveurs pour tenir compte du vieillissement attendu de la population ?
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
OB - Il n'y a pas d'âge limite, donc on ne peut le repousser...
AC - La situation du receveur est appréciée au cas par cas.
Dr Michel
Envisagez-vous de mettre en place une filière greffe utérine ?
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
AC - La greffe utérine en est au stade de la recherche. Une première greffe vient d'être réalisée à Foch avec une donneuse vivante. Nous suivons ce protocole avec beaucoup d'intérêt. Il doit inclure 10 greffes. À Limoges, il y a un protocole avec donneuse décédée. Cela ouvre des perspectives. C'est à la frontière de la greffe d'organes et de l'AMP.
Journaliste QDM (SL)
Live chat avec Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
 
Dr Siegmund
Avez-vous des données sur les pratiques des équipes médicales en matière d’inscription des patients sur les listes d’attente de greffes ? (précoce, trop tardive, selon les équipes ?)
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
OB - Il y a des recommandations HAS. Il faut faire une étude d'impact pour savoir si elles sont appliquées. Les greffes préemptives, avant passage sous dialyse, ont augmenté de façon importante : 41 % des patients en greffe de rein sont ainsi inscrits. C'est deux fois plus qu'il y a 5 ans.
Journaliste QDM (SL)
Ce Live chat est sur le point de se terminer. Dernière question.
 
-- Dr JLG
Le retard dans la discussion de la loi de bioéthique (qui pourrait apporter des changements comme l’initiation d’une chaîne de donneurs de rein croisés par un rein d’un donneur décédé) est-il préjudiciable aux activités de greffe et de prélèvement ?
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
AC - Les principaux sujets de la loi de bioéthique seront marginaux pour la transplantation, qui a été traitée par ailleurs (y compris dans la loi santé de 2016). Mais il y a un vrai sujet important : la problématique du don croisé, qui est une option thérapeutique pour ceux en impasse immunologique. Il y a une attente de la communauté et des associations pour avoir des assouplissements législatifs pour faciliter le don croisé. Il y a un consensus, nous sommes plutôt confiants sur l'avancée de ce sujet.
Journaliste QDM (SL)
C’est fini pour aujourd’hui. Merci à nos deux invités d’avoir dialogué avec les lecteurs du « Quotidien ». Le mot de la fin ?
Anne Courrèges (AC), Pr Olivier Bastien (OB)
OB - Le prélèvement et la greffe sont une chaîne. Tout le monde doit trouver sa place. Il ne faut pas banaliser cette activité. On ne pourra pas faire de greffes sans prélèvement.
AC - Et dans cette chaîne, les médecins ont toute leur place.
Journaliste QDM (SL)
Merci à toutes et à tous pour votre participation et pour vos nombreuses questions. Merci au « Quotidien du Pharmacien » d’avoir co-organisé cet évènement avec la rédaction du « Quotidien du Médecin ». À bientôt pour un nouveau Live chat.

 


Source : lequotidiendumedecin.fr