C'est ce qui va de soi qu'il faut précisément interroger. N'est-ce pas le sens de tout questionnement philosophique ? Et quoi de plus habituel que de circuler dans un marché « décoré » de quartiers de viande sanguinolents, d'étalages de chairs tout aussi évidentes que des légumes ?Tout comme est évidente la nécessité d'accommoder ces morceaux, de les cuisiner avec talent et raffinement. La cuisine, mieux, la gastronomie, fait partie de nos représentations collectives omniprésentes et, en amont, mais mille fois moins visible, la transformation d'animaux en morceaux de viande dans les abattoirs, morceaux qui seront « pièces à disposition ».
Comment rendre compte aujourd'hui de cette métamorphose qui transforme des millions d'animaux vivants en paquets géométrisés sous cellophane ? Florence Burgat a l'art de poser les bonnes questions : « N'est-ce pas précisément au moment où l'humanité peut se passer de tuer pour se nourrir que la boucherie généralise, s'industrialise, se standardise et devient un immense empire dévolu à l'engraissement et à la mise à mort ? »
Questionné sur ces sujets, l'homme de la rue répond avec une mine faussement coupable« C'est bon à manger ». Sans pouvoir aller plus loin, héritant sans le savoir d'une longue tradition cannibale dont Florence Burgat décrit avec à-propos l'importance historique. Tout comme elle adjoint à l'exhibition des morceaux carnés la mise en scène habile dans les devantures, animaux ridiculisés au moment des fêtes avec des objets dans les narines ou la bouche, qui semblent dire « Je suis un morceau de plaisir et je suis heureux de pouvoir faire votre repas. »
Bon à penser
Si l'homme est carnivore, c'est qu'il a dû l'être dès le début, et ce début ne peut être que la chasse, à laquelle l'auteure consacre un long chapitre. Elle rappelle que l'alimentation végétale semble avoir été la première chez les hominidés et que, au néolithique, la pêche et la cueillette avaient autant d'importance. On commet avec la chasse l'erreur épistémologique qui consiste à confondre le fait originel avec le fondement. Mais la chasse a l'intérêt explicatif de mener à la saisie de l'animal et à sa manducation.
De là, passe-t-on au cannibalisme ? Une pratique qui semble avoir été la norme de beaucoup d'anciennes sociétés, comme celle des Aztèques. L'être humain est-il fondamentalement le meurtrier de l'animal ? Son goût pour une cruauté sans bornes à l'égard de ce dernier est-il le premier moteur ? Nonobstant une niaiserie bêtifiante pour les petits animaux de compagnie.
En tout cas, ce livre illustre en lui-même l'idée que « tout ce qui est bon à manger est bon à penser », comme le répète l'auteure.
Seuil, 480 p., 26 €
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