Un livre et un DVD

Antonin Artaud, lueurs ultimes

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Publié le 27/11/2020

Gérard Mordillat et Jérôme Prieur avaient rencontré, en 1993, des amis, des proches de l’écrivain du « Théâtre et son double ». Diffusé par Arte, restauré, le film est publié avec un livre qui reprend les entretiens.

Quels souvenirs d’Antonin Artaud ? L’intense beauté du comédien, saisissant dans les films où son visage d’une architecture sublime, son regard intense, frappent et ne s’oublient plus. Le moine dans « la Passion de Jeanne d’Arc », avec Falconetti, sous la direction de Dreyer, ou Marat dans le « Napoléon » d’Abel Gance, deux films muets dans lesquels son expressivité fascine. Dans les longs métrages parlants auxquels il participe ensuite, il est tout aussi marquant.

Quels souvenirs, encore ? L’intense puissance de ses textes, essais, poèmes, formules, jusqu’aux mystérieuses compositions rythmiques qui disent les battements d’un cœur déchiré, d’une âme en souffrance. Comme ses dessins. Antonin Artaud est très tôt célèbre, à Paris. Un dramaturge important, metteur en scène qui monte ses propres pièces ou d’autres, joue, publie. « Le Théâtre et son double », publié en 1938, collection d’analyses fulgurantes, dans une langue ample et imagée, avec, notamment le concept de « théâtre de la cruauté », ne cesse de servir de référence.

Enfermement

Cet être à part, né le 4 septembre 1896 à Marseille, s’éteignit, à bout de forces, usé de souffrances épouvantables, de longs séjours en asile, d’électrochocs nombreux, et de drogues, le 4 mars 1948, dans la maison médicalisée d’Ivry-sur-Seine où il était entré en février 1947. Un groupe d’amis avait réussi à le faire sortir de l'hôpital psychiatrique de Rodez, après neuf très longues années d’enfermement, mais il ne pouvait vivre ailleurs que dans un établissement de soins. Cela ne l’empêchait pas de sortir et de faire de grandes traversées de Paris ou d’aller rendre visite à ceux qui étaient ses repères. Il écrivait, il dessinait. Il avait toujours avec lui ses petits cahiers d’écolier et ses crayons.

Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, qui, ensemble, ont construit de longs documentaires (« Corpus Christi » ou « Jésus et l’Islam »), sont allés, il y a plus de trente-cinq ans, à la rencontre de ceux qui, dans les dernières années de vie d’Antonin Artaud, ont été ses proches, des témoins, des admirateurs. Des pourvoyeurs de laudanum, aussi.

On est près de cinquante ans après la mort du poète. On devine les retouches, les méfiances anciennes, sinon les haines bien enkystées. Mais tout passionne. Marthe Robert, Paule Thévenin, Jany de Ruy, Rolande Prevel, et les écrivains, Henri Thomas, Henri Pichette, Alfred Kern, Alain Gheerbrant, d’autres encore, peintres, collectionneurs, ou Lucienne Abiet, qui dactylographiait les textes sans tout comprendre, et la toute jeune Domnine. Elle est la fille de Paule Thévenin. Un jour, elle entend Artaud dire qu’il ne sait plus écrire. Elle va lui faire faire des pages de bâton ! Un merveilleux épisode. Raconté par sa tante et sa mère de manières différentes : ce qui dit bien les recompositions des souvenirs…

On regrette qu’Alain Cuny, sollicité, n’ait pas parlé, et que Jean-Louis Barrault n’ait pas été entendu. Le livre, transcription du documentaire, est enrichi de pages des deux auteurs. « Artaud le Mômo » est un livre d’Artaud, un nom qu’il se donnait : le « mômo » à Marseille, c’est le môme, mais aussi l’innocent. Dans le film, on entend Antonin Artaud et on le voit, photographié à Ivry par Denise Collomb. Son visage est raviné de rides profondes, il n’a plus de dents. Mais son regard, parfois rieur, parfois paniqué, parfois sévère, son regard sombre et désarmant, est toujours aussi unique.

« La Véritable Histoire d’Artaud le Mômo », un livre illustré, 160 p., et un DVD, documentaire de 170 minutes, Éditions Le Temps qu’il fait (27 €), diffusion Les Belles Lettres.

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du médecin