IDEES - Un matraquage planétaire

Au secours, le sport !

Publié le 12/06/2012
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« L’HOMME contemporain est placé sous transfusion sportive permanente », nous est-il affirmé très vite. De fait, qu’on le veuille ou non, dès le matin les matraques du foot ou du rugby s’abattent sur nos crânes, il ne se passe pas un quart d’heure sans qu’on ne nous donne un score. La télévision, les radios, Internet, la presse écrite sont les instruments permanents de cette transfusion. « Lors d’une Coupe du monde de football ou de rugby, ou lors de jeux Olympiques, les doses sont centuplées. »

Le plus étonnant est l’absence de réaction devant le phénomène. À part les ouvrages de Jean-Marie Brohm et Marc Perelman (en particulier « le Football, une peste émotionnelle », Gallimard, 2006), on constate l’inexistence de tout esprit critique devant la « sportivation » du monde et des esprits. Le même Perelman affirmait dans un récent ouvrage que « le sport est devenu une seconde nature, c’est comme le soleil, on ne critique pas le soleil ».

Une idéologie

Pourtant, dit Robert Redeker, le sport est une idéologie, « c’est-à-dire une vision globale, totalisante, de l’homme et du monde, au même titre que le communisme, le fascisme, le libéraliste, les religions ». Mais de quelle nature est-elle au juste ?

Éclairant avec soin les aspects les plus divers des valeurs sportives, l’auteur discerne dans le sport l’exaltation de la victoire, la compétition, la loi du plus fort, du plus performant, le tout sous l’égide de l’évaluation chiffrée. De ce point de vue, le sport a remplacé la morale. La valeur se réduit à l’évaluation, une figure idéologique qui a envahi notre monde : les films et les livres sont classés en fonction de la fréquentation et des ventes, les agences notent la santé économique, et on nous donne même l’évaluation chiffrée de la satisfaction des ménages !

L’étude s’approfondit encore lorsque l’auteur évoque la rentabilisation maximale du corps que l’activité sportive implique, l’essor des biotechnologies conduisant à la surexploitation du potentiel des athlètes. Ceci jusqu’à ce que ces derniers incarnent une sorte de surhumanité. « Le corps de l’athlète antique, nous est-il dit, illustrait l’épanouissement de l’essence fixe de la corporéité humaine. Celui de l’athlète moderne tend précisément vers le contraire, la dissolution de cette essence. Son corps, en effet, est toujours autre, toujours en dépassement de cette essence. » L’athlète se fait mutant, idée que l’auteur rattache opportunément à la fameuse « mort de l’homme » de Michel Foucault.

À l’humanité crétinisée par la sportivation du monde, il ne reste comme exutoire, dit Redeker, que de « demeurer jusqu’à leur mort des enfants écervelés pour qui la vie n’est jamais un souci ». Le monde est un parc d’attractions, un divertissement, aurait dit Pascal.

Ce même Pascal qui déplorait que l’homme soit incapable de rester seul dans une chambre, sans être conscient que, quelques siècles plus tard, on y mettrait fatalement un poste de télévision retransmettant un match de foot.

Robert Redeker, « l’Emprise sportive », François Bourin Éditeur, 184 p., 19 euros.

* Voir en particulier « le Sport est-il inhumain ? », Panama, 2000.

ANDRÉ MASSE-STAMBERGER

Source : Le Quotidien du Médecin: 9140