Quatre spectacles inspirés de films

Avatars du 7e art sur la scène

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Publié le 16/02/2017
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Theatre-La Garconniere

Theatre-La Garconniere
Crédit photo : CÉLINE NIESZAWER

Qui aime Jean Renoir, qui connaît « la Règle du jeu » sera blessé par le sort que lui réserve la metteuse en scène brésilienne Christiane Jatahy à la Comédie-Française (1). Jean Renoir s’était inspiré des « Caprices de Marianne » d’Alfred de Musset, un peu de Beaumarchais cité en exergue (« Si l’Amour porte des ailes / N’est-ce pas pour voltiger ? »), et de Marivaux. Pour reconduire le film sur scène, encore fallait-il une transposition sensible et intelligente. Mais l’artiste très en vogue veut à tout prix nous parler du Français, qu’elle découvre, de l’actualité européenne, qu’elle déchiffre avec plus ou moins de pertinence.

Alors, foin de chasse en Sologne. On est dans un « manoir » (sic) parisien. Robert reçoit ses amis. Le spectacle commence par un film de près d’une demi-heure. Des limousines s’avancent Place Colette. Un chauffeur stylé descend de la première : c’est Éric Ruf, Administrateur général de la Comédie-Française. Indice d’un humour subtil. Cadrages brouillons, prise de son à l’avenant, un film mis en boîte comme la plupart de ceux qui seront diffusés au long de ce spectacle assez bref (1 h 45) mais très fastidieux. Très peu de scènes sont filmées en direct.

C’est sur le plateau que le désastre se précise. L’aviateur ? Un marin qui a sauvé des migrants entre le Maroc et la France, parce que Christine n’est pas autrichienne, mais marocaine (« arabe », nous précise-t-on). Le garde-chasse Schumacher ? Bakary Sangaré. Comme il est originaire d’Afrique, une partie des complaisants amis de la Troupe, dans la salle, glousse, car un noir qui s’appelle Schumacher, ça fait rire. La fête ? Des chansons sentimentales pour lesquelles on demande au public d’agiter les bras comme à la télé. La chasse ? Les lapins sont des femmes déguisées comme au beau temps d’Hugues Hefner et de « Playboy ». Le braconnier ? Un méchant trafiquant qui spolie les plus démunis. À la fin, Robert fait une démonstration de drone.

Ce spectacle poussif et prétentieux enchante les comédiens, qui pensent qu’ils prennent des risques et sont dans l’avant-garde. Quelle tristesse ! On est dans la cuistrerie satisfaite et l’ennui et qui ne connaîtrait pas « la Règle du jeu » n’y comprendra rien.

Le privé mieux inspiré

Beaucoup plus accessibles sont les productions du théâtre privé. « Abigail’s Party » de Mike Leigh au Poche (2) mérite encore quelques réglages. Mais la férocité du cinéaste et homme de théâtre, adaptée par Gérald Sibleyras, orchestrée par Thierry Harcourt, qui dirige des interprètes loyaux, vous permet de plonger au cœur des moyennes classes de l’Angleterre des années 1970. Aussi drôle que cruel et très souvent touchant. On louera particulièrement Alexie Ribes et Séverine Vincent, très émouvantes.

Dans un décor magnifique à découvrir, au Théâtre de Paris (3), José Paul dirige une douzaine de comédiens très doués dans une transposition de « la Garçonnière » de Billy Wilder. Tout est gardé dans son jus 1960. Baxter, petit employé, se voit promu car il prête son appartement à son patron pour de petites séances extraconjugales. Mais c’est la jeune femme dont il est lui-même amoureux qui est l’élue du boss… Passons les détails – vous connaissez sûrement ce film épatant ! – mais louons la manière fluide dont tout est adapté par Judith Elmaleh et Gérald Sibleyras (un orfèvre très demandé) et mis en scène par José Paul. Les comédiens sont tous sympathiques et excellents. Citons Jean-Pierre Lorit, le patron, Claire Keim, la charmante, Jacques Fontanel, le médecin, et dans le rôle de Baxter un formidable Guillaume de Tonquédec.

On ne sera pas aussi laudatif pour « Scènes de la vie conjugale », d’après Bergman, au Théâtre de l'Œuvre (4). Deux comédiens fins et nuancés, curieusement ligotés par un décor dur et une mise en scène très froide qui leur interdit tout élan, toute sensualité. C’est dommage pour Laetitia Casta et Raphaël Personnaz. Le cinéaste Safy Nebbou connaît bien le théâtre, mais les retient trop. Ce spectacle-là peut évoluer de manière heureuse rapidement, si chacun y met un peu plus d’énergie.

(1) Comédie-Française, en alternance jusqu’au 15 juin. Durée : 1 h 45. Tél. 01.44.58.15.15, www.comedie-francaise.fr
(2) Poche-Montparnasse, jusqu’au printemps. Durée : 1 h 30. Tél. 01.45.44.50.21, www.theatredepoche-montparnasse.com
(3) Théâtre de Paris. Durée : 1 h 45. Tél. 01.48.74.25.37, www.theatredeparis.com
(4) Théâtre de l’Œuvre, jusqu’en avril. Durée : 1 h 30. Tél. 01.44.53.88.88,
www.theatredeloeuvre.com

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du médecin: 9556