On peut voir dans ce café une élégante jeune femme nommée Simone de Beauvoir, avec son ami, un homme peu gâté par la nature, « aux lèvres de mérou tombantes », affublé d'un terrible strabisme. Ils seront rejoints par un certain Raymond Aron, compagnon du précédent à l'École normale supérieure.
Aron revient d'Allemagne, où il a découvert la Phénoménologie d’Husserl. C'est la volonté de revenir « aux choses mêmes », en les débarbouillant de tous les savoirs qui les masquent. « Tu vois, dit Aron à Sartre, si tu es un phénoménologue, tu peux parler de ce cocktail et c'est de la philosophie. »
Mais l'atmosphère est à une autre pensée allemande, l'existentialisme, celle de l'austère maître de Fribourg, Martin Heidegger (1889-1976). Il y est question d'angoisse, de choix et de liberté. À un niveau légèrement inférieur se développe une sous-culture existentialiste qu'incarnent les boîtes et bouges de jazz, le trompettiste Boris Vian et une nouvelle chanteuse, Juliette Gréco.
Et puis il y a les cafés au coin du boulevard Saint-Germain et de la rue Bonaparte, Les Deux Magots et surtout Le Flore, là où l'auteur de « la Nausée » a dépeint la danse du garçon de café « jouant avec sa condition pour la réaliser ».
Incontestablement, la star vénéneuse est Martin Heidegger, auquel Sartre empruntera de manière souvent jargonneuse tous ses concepts. Tout le monde connaît aujourd'hui l'engagement de ce penseur altier au côté du national-socialisme hitlérien et les tardives et interminables polémiques qui l'accompagnent. Tout le monde connaît sa liaison avec la plus célèbre de ses étudiantes, Hannah Arendt, ses différends avec Husserl, qui l'a précédé à Fribourg. Tout comme on n'ignore pas le silence dans lequel il s'est muré après guerre en ce qui concerne la Shoah.
Dans son œuvre principale « Être et Temps » (1927), Heidegger explique qu'il faut revenir à la question fondamentale de la philosophie grecque, « Qu'est-ce que l'Être ? », qui sera reformulée par Leibniz en « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». Que veut dire « est » lorsque je dis que « le ciel est bleu » ?
D'aucuns ont remarqué que l'adhésion d’Heidegger au nazisme était déjà bien préparée par l'exaltation de la terre. Il se composait volontiers un look paysan et insistait sur les critères du sang et du sol (« Blut und Boden »). Traître en amitié, il ne vint jamais à l'aide d'Husserl, exclut de l'Université comme juif.
Ce livre sans jargon se lit avec un grand plaisir. On y croise bien sûr Merleau-Ponty, Jaspers et le moins connu Gadamer. Mais on y cherche en vain la composition du cocktail à l'abricot.
« Au café existentialiste - La liberté, l'être & le cocktail à l'abricot », Albin Michel, 508 p., 24,90 €
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