Proust, Claudel, Tchekhov

Bonheur des classiques

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Publié le 09/10/2020

En troupe, seul, à trois, les comédiens servent avec talent de grandes œuvres. Pour rire, sourire, pleurer et renouer avec de grands sentiments.

« Le Côté de Guermantes »

« Le Côté de Guermantes »
Crédit photo : JEAN-LOUIS FERNANDEZ

* Porter à la scène une partie de « la Recherche », de Marcel Proust, « le Côté de Guermantes » (1) est un défi. Christophe Honoré, cinéaste, romancier, mais homme de théâtre original de spectacles consacrés aux écrivains du Nouveau Roman ou à ceux qui sont morts du sida, prend soin de désigner son travail d’adaptation comme un « livret ». On entend tout de suite la musique !

Et elle est là. Mais ce ne sont pas les pages de l’époque. Ce sont des chansons mélancoliques et belles des années 1970, style « My Lady d’Arbanville » ou « Nights in White Satin ». Sans doute sont-elles bien lointaines pour un artiste né justement en 1970 et qui a dû littéralement baigner dans ces tubes !

Tout commence ainsi. Le décor, somptueux, vaste comme le plateau du Marigny où s’est installée la Comédie-Française, est à vue lorsque l’on pénètre dans la salle. Au fond, à cour, un jeune homme blond empoigne sa guitare électrique et chante Cat Stevens. C’est déchirant !

Il est malin, Christophe Honoré. Il a décidé de séduire, littéralement. « Le Côté de Guermantes », c’est « son » Marcel Proust. Il sait que l’on a une chance d’être fidèle si l’on fait un grand écart, un détour. Pas d’époque précise, pas de forme stricte. Si l’on connaît « la Recherche », on retrouve les protagonistes, évidemment. Si on ne connaît pas, on pénètre dans un monde d’oisiveté mondaine jacassant, médisant, se scrutant, persiflant, riant, fumant, et ses abîmes délétères de désenchantement, de mélancolie, de souffrance même.

On ne peut qu’admirer les talents réunis. Mentions spéciales à Stéphane Varupenne, qui est Marcel et ne quitte pratiquement pas le plateau, dans la moirure des complexités du cœur, à Serge Bagdassarian, merveilleux et contradictoire Charlus, à Loïc Corbery, qui impose un Swann aux portes de l’effacement définitif, creusé et ironique, magistral. Des scènes qui attisent la puissance de jeu de Stéphane Varupenne.

* Seul en scène, ayant tout réglé, Didier Sandre, sociétaire de la troupe, reprend un poème de Paul Claudel qu’il a déjà joué sous la direction de Christian Schiaretti, « la Messe là-bas » (2). L’écrivain, qui l'a écrit en 1917 à Rio de Janeiro, alors qu’il est en poste au Brésil, suit la structure d’une messe en nommant tous les flux qui le traversent. La conversion, l’échec de sa tentative d’entrer au monastère, l’amour, Rimbaud. L’interprétation de Didier Sandre, musicale et très nuancée, est bouleversante. À voir en se laissant baigner par ces sources vives qui vous hissent loin des réalités prosaïques du moment.

* Trois petites pièces très connues d’Anton Tchekhov pour un festival des talents de Jacques Weber, grand gourmand de travail, ici sous la direction de Peter Stein. « Crise de nerfs » (3) réunit trois petites pièces très connues : « le Chant du cygne », « les Méfaits du tabac » et enfin « Une demande en mariage », pour laquelle la place belle est faite à deux jeunes camarades, Loïc Mobihan, qui apparaît dans le premier morceau, et Manon Combes, déchaînée. Un bon moment, plein de rires et le grand Jacques Weber, inlassable enfant des planches.

 

(1) Théâtre Marigny, jusqu’au 15 novembre. Durée 2h30. Tél. 01.44.58.15.15, theatremarigny.fr

(2) Studio-Théâtre de la Comédie-Française, jusqu’au 11 octobre. Durée 1h05. Tél. 01.44.58.15.15,comedie-francaise.fr

(3) Théâtre de l’Atelier, jusqu’au 2 janvier. Durée 1h30. Tél. 01.46.06.49.24, theatre-atelier.com

 

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du médecin