Philosophie et rituels

Cadavres exquis 

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Publié le 02/12/2019
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Entre les morts et les vivants, la société s'interpose, souvent sous la forme de la sépulture. Éric Crubézy, médecin-archéologue, professeur d'anthropobiologie et directeur du laboratoire Anthropologie moléculaire et imagerie de synthèse CNRS-université Paul-Sabatier à Toulouse, a étudié les ensembles funéraires sur quatre continents. Au-delà d'une étonnante diversité, il s'interroge sur le rapport des hommes à la mort.

Mettre un cadavre sous la terre ou le faire brûler n'implique pas forcément qu'il y a sépulture. Si celle-ci est exigée dans certaines cultures, son refus peut aussi correspondre à la volonté de faire disparaître le corps loin du monde visible. 

De fait, l'ouvrage est construit sur l'opposition entre vouloir à la fois voir le corps et le cacher. Le cadavre peut hériter du respect que l'on avait pour l'être vivant, mais certains corps sont encombrants et sont traités parfois comme des déchets malodorants. De cette ambivalence témoigne un excellent exemple donné par Éric Crubézy, le largage en mer des cadavres de criminels nazis condamnés à Nuremberg, dont on ne veut pas qu'ils puissent constituer un exemple — comme ont été jetés à la mer les corps de Ben Laden et al-Baghdadi.

Rien ne signale plus et mieux l'ambivalence que nous éprouvons à l'égard de la mort elle-même que les conduites concernant les cadavres et les sépultures. Dans certaines cultures, il faut protéger celui que fut le défunt, mettre la dépouille à l'abri des animaux, le veiller, au cas où il se réveillerait, le mort n'étant qu'un dormeur…

Dans beaucoup d'autres cultures, comme en Égypte, bien sûr, la mort donne lieu à une toilette funéraire et à des rituels très compliqués, qui souvent cherchent à combattre les débuts de rigidité du corps. Presque partout se retrouve la fermeture des yeux.

Éric Crubézy sait se faire auto-analyste lorsqu'il scrute la part de morbidité qu'implique le choix d'un tel sujet. Et il est aussi philosophe lorsqu'il note que « dans les domaines qui intéressent la mort, tout nous renvoie à notre propre fin ».

— Éric Crubézy, « Aux origines des rites funéraires - Voir, cacher, sacraliser », Odile Jacob, 256 p., 22,90 €

— Sur les rites funéraires, signalons le récent ouvrage de Christian Delahaye, collaborateur du « Quotidien », « l'Aggiornamento des funérailles - Enjeux et perspectives ecclésiologiques » (Parole et Silence, 140 p., 13 €). Sachant que les funérailles résistent au recul des pratiques religieuses, un point de vue théologique avec l'idée que l'Église pourrait trouver là une source d'inspiration pour le renouveau selon lui nécessaire.

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin