IDEES - L’intérêt d’une « non-valeur »

Ce que dit la bouche d’ombre

Publié le 27/03/2012
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C’EST BIEN une épreuve, puisque, de façon surprenante, l’auteur déclare tout de go, au début de son essai : « J’ai peu de détestations : ma haine du mensonge en est une. » Mais dit-il la vérité ?

Élevé chez les Jésuites, Gérard de Cortanze témoigne d’une vie pleine de solennité et de retenue. Mais, explique-t-il, il y avait beaucoup de méridionaux dans sa famille, en particulier un grand-père qui affirmait que, « la Loire dépassée », le mensonge était une forme de sociabilité, une sorte de politesse inévitable.

De manière plus philosophique, l’essai s’envole sur les ailes d’un aphorisme de Jankélévitch affirmant que « le jour du premier mensonge chez l’enfant, nous découvrons chez l’innocent la profondeur inquiétante de la conscience ».

En effet, mentir, c’est découvrir une virtualité en soi, un Mr. Hyde, donc la possibilité d’une double vie. Richesse, sans doute, mais double veut aussi dire duplice et l’écrit émigre alors utilement vers la morale. Utilisant un ancien texte du philosophe Alexandre Koyré, Gérard de Cortanze s’en prend aux médias au travers d’une généralisation un peu pesante : « La parole, l’écrit, le journal, la radio..., tout le progrès technique est mis au service du mensonge », disait Koyré, et notre auteur verse en pluie des exemples de tromperie et de duplicité médiatiques. « Sans le mensonge, dit-il, les médias ne pourraient plus jouer avec la transparence forme ultime du brouillage de piste. »

Construction.

Tromperie donc et mensonge de l’infidèle, de l’annonce sur le Net promettant une « location de petite amie.com » (!). Idem pour l’escroc vantant une maximisation constante de votre revenu. Mais l’assimilation mensonge-tromperie est trop systématique, le menteur doit parfois dans l’immédiat se sortir d’un mauvais pas, il a un côté ponctuel et peut témoigner d’une grande habileté dans l’invention. La tromperie suppose un montage, une construction complexe, Madoff ne mentait pas au début et ses clients furent appâtés par de réels gains.

D’intéressantes analyses mettent en lumière le caractère positif du mensonge. En matière de création littéraire, « mentir, c’est créer ». Kipling disait : « Choisissez d’abord vos faits, puis déformez-les. » Même si l’esprit de fiction reste vague, là où souvent le mensonge exige une très grande précision de la part de celui qui le profère et ne doit pas se couper par la suite.

Ce qui conduit à cette authentique interrogation philosophique : la limite du mensonge, n’est-ce pas paradoxalement le vague de la vérité ?

Gérard de Cortanze, « Éloge du mensonge », Éditions du Rocher, 140 p., 12,90 euros.

ANDRÉ MASSE-STAMBERGER

Source : Le Quotidien du Médecin: 9105