Six spectacles à Paris

Classiques et contemporains

Par
Publié le 22/09/2016
Article réservé aux abonnés
Théâtre-Les Femmes savantes

Théâtre-Les Femmes savantes
Crédit photo : PASCAL VICTOR

Du côté des classiques, on est gâtés, puisqu’au Théâtre de la Porte-Saint-Martin (1), Catherine Hiegel met en scène « les Femmes savantes » de Molière dans un très beau décor de cabinet de curiosités imaginé par Goury et des costumes somptueux de Renato Bianchi, le grand artiste longtemps patron des ateliers de la Comédie-Française.

C’est une représentation respectueuse et inventive, vive et précise, donnée sans aucune musique sur un rythme excellent. La distribution est faite de fortes personnalités qui se fondent dans un ensemble harmonieux mettant en valeur chaque personnage. S’étant prise de passion pour le savoir, Philaminte, Agnès Jaoui, qui possède l’autorité et la sensibilité qui conviennent, vit sous la loi d’un imposteur, Trissotin. C’est Philippe Duquesne qui le joue, pas comme un pitre, même s’il fait beaucoup rire, mais comme un inquiétant libidineux blafard. Entraînées par Philaminte, sa fille Armande (Chloé Berthier, très bien) et sa belle-sœur Bélise (épatante Evelyne Buyle), qui pense que tous les hommes sont amoureux d’elle. La fille cadette, Henriette (la délicieuse Julie-Marie Parmentier), veut épouser son amoureux Clitandre (le fin Benjamin Jungers). Mais elle est contrariée par sa mère qui vient de renvoyer la fidèle servante Martine (Catherine Ferran, savoureuseI), ce qui a le don de courroucer Chrysale (Jean-Pierre Bacri, formidable, moderne dans son jeu et fidèle à Molière), qui se fait aider d’Ariste (Baptiste Roussillon, idéal) pour tenter de faire revenir un peu de raison dans la maison. Ici, chacun expose ses vues. Philaminte et Chrysale ont chacun un très grand monologue pour s’exprimer. Un spectacle parfaitement réussi.

Autre classique, mais que l’on ne connaissait pas, « le Duc de Gothland », de l’Allemand Christian Dietrich Grabbe, que Bernard Sobel nous permet de découvrir au Théâtre de l’Épée de Bois (2). Traduite et adaptée par Bernard Pautrat, la pièce se passe en Suède, au bord de la mer Baltique. Les Finnois, menés par un Africain devenu leur chef charismatique (Denis Lavant, impressionnant), attaquent l’Europe. Théodore, le duc de Gothland (Matthieu Marie, noble et sobre) va abandonner toute morale, tout ce qui fondait sa vie, et perdre ses amis et ceux qui l’aiment, manipulé par le diabolique ennemi. Une très grande pièce, jouée par une troupe engagée, dans un décor magnifique du peintre Lucio Fanti. Une œuvre qui date de 1822 et nous parle de notre monde.

Du côté de la comédie contemporaine, voyez « Renata », de l’Argentin Javier Ulises Maestro, traduite et adaptée par Stéphan Druet, qui la met en scène, et Sebastian Galeota, qui interprète le rôle-titre à la Comédie Bastille (3). Lorsque leur patron richissime meurt, ses employés de maison s’organisent pour faire croire que sa femme, disparue depuis des années, est toujours là. La gouvernante, Sophie Mounicot, autoritaire et fantasque, sa sœur, Emma Fallet, alcoolique et sentimentale, son mari, Philippe Saïd, lâche et libidineux, son fils, Sebastian Galeota. C’est ce dernier qui va prendre la place de Renata, dans des robes éblouissantes imaginées par Denis Evrad, et tourner la tête du jeune notaire, Antoine Berry Roger, épatant. C’est déjanté, féroce, très drôle. Cela ressemble un peu à du Joe Orton. C’est très bien interprété par des comédiens spirituels et fins. Pour rire !

En musique

Une version de deux heures qui mêle, sur le plateau, d’excellents musiciens qui jouent avec des chanteurs-comédiens : « Traviata » est un spectacle à part, signé Benjamin Lazar, Florent Hubert, Judith Chemla. C’est cette dernière, miraculeuse, qui interprète Violetta. Une comédienne saluée à Venise dans le film de Stéphane Brizé « Une vie » (sortie en novembre), et qui chante admirablement, très bien entourée, notamment de Damien Bigourdan en Alfredo. Les Bouffes-du-Nord (4) sont un écrin idéal pour cette proposition à part.

Des comédiens qui chantent, il y en a beaucoup à la Comédie-Française. Au Studio Théâtre (5), Serge Bagdassarian a écrit et joue « l’Interlope ». Évocation d’un cabaret de travestis et des souffrances des artistes homosexuels, célébration du music-hall. C’est drôle, mélancolique. Avec Véronique Vella, Michel Favory, Benjamin Lavernhe et Bagdassarian, bouleversant.

Enfin, à Nanterre-Amandiers (6), Claude Régy propose une plongée aux limites de la plus cruelle poésie et du théâtre avec « Rêve et Folie », de l’Allemand Georg Trakl, avec Yann Boudaud. Une expérience sensible, dans des lumières affleurant magiquement d’Alexandre Barry. Bref et envoûtant. 

(1) Jusqu’à la fin de l’année. Tél. 01.42.08.00.32, www.portestmartin.com
(2) Jusqu’au 9 octobre. Tél. 01.48.08.39.74, www.epeedebois.com
(3) À signaler, la reprise d’« Evita », les mardi et mercredi. Tél. 01.48.07.52.07, www.comedie-bastille.com.
(4) Jusqu’au 15 octobre (puis tournée en France). Tél. 01.46.07.34.50, www.bouffesdunord.com
(5) Jusqu’au 30 octobre. Tél. 01.44.58.15.15, www.comedie-francaise.fr
(6) Jusqu’au 21 octobre. Tél. 01.46.14.70.00, www.nanterre-amandiers.com

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du médecin: 9519