En 1988, une publicité pour Ikea dit : « En 1968, on refaisait le monde, en 1988 on refait sa cuisine ». Voici venir le temps de l'individualisme effréné, en rupture avec les anciennes structures accueillantes, la Nation ou les clubs, associations et autres qui nous structuraient.
En 1979 paraît aux États-Unis « la Culture du narcissime» : Christopher Lasch y analyse le détachement d'avec le collectif, le repliement sur son plaisir, la recherche de l'épanouissement personnel, l'obsession du souci de soi, bref, le culte de « l'individualisme bobo » et son intrinsèque futilité. Au livre américain répond en 1983 le très pertinent « Ère du vide » de Gilles Lipovetsky, qui épingle le culte de l'ego et de la séduction.
Découle directement de cette légèreté ce que Philippe Muray nomme l'Homo festivus. Soit une systématisation de l'animation festive, de la rencontre, du partage des émotions et de l'injection forcenée dans nos paroles du « vivre ensemble », du « bien-être » et de la « citoyenneté », à un moment où il n'y a plus que le heurt des solitudes.
Il faut donc être festif, léger, heu-reux. Ce nouveau conformisme se retrouve dans d'autres domaines, la célébration de l'enfant-roi, la dénégation de la pénibilité du travail sous le verbiage du management, l'invasion de la vie affective par le langage psy. S'agit-il du retour (mal) refoulé de thèmes soixante-huitards ? Ou au contraire d'un tardif règlement de comptes avec ce passé ?
Corps malade
Jean-Pierre Le Goff a un incontestable talent pour saisir le Zeitgeist, l'esprit de notre époque, ses modèles culturels, ses irritants snobismes, ses tics de langage. Plus profondément, il témoigne dans ce livre d'un besoin de faire corps avec une Nation au sens le plus noble, celui d'Ernest Renan. « On ne crée pas le désir de vivre ensemble à partir de rien, dit-il, et la démocratie ne peut retrouver un élan sans la reconstruction de ce fond commun. »
Un fond commun terriblement secoué par l'irruption dans notre pays du terrorisme et de la barbarie, qui, selon Jean-Pierre Le Goff, frappent avec d'autant plus d'aisance un corps malade. D'où la nécessité de retrouver un fort engagement citoyen pour colmater les fractures évoquées plus haut et de souscrire à cet idéal d'Albert Camus* : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. »
Stock, 272 p., 19 €.
* «Discours de Suède» (lors de la réception du prix Nobel), 1987.
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