Les livres de la médecine

De la fiction à la révélation intime

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Publié le 07/10/2019
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Médecins, Patricia Vergauwen, Serge Tisseron et Bruno Veyrès ont saisi le témoignage, le récit autobiographique et la fiction pour dire le deuil, la honte et l’impossible rédemption. Annette Hug s'empare de la figure de José Rizal, héros de l’indépendance des Philippines et médecin, tandis que Stéphanie Fugain interroge les médecins et les soignants ; et alors qu’une héroïne sortie du « Quatuor » d'Anna Enquist remet en question sa façon d’exercer la médecine, Julia Buckley plaide en faveur des traitements alternatifs.

Patricia Vergauwen est pédiatre à Bruxelles. Elle est aussi la mère de quatre enfants, dont Victor, mort à l’âge de 13 ans à la suite d’une chute de dix mètres. Trois ans après le drame, elle publie avec son mari et père de Victor, Francis Van de Woestyne, éditorialiste à « La Libre Belgique », un bouleversant récit, « Un enfant » (1). Dans des chapitres alternés ils essaient de dire l’indicible, l’amour qu’ils portent à leur fils, la colère, l’impuissance face à la vie qui continue, le déni parfois, et surtout le manque.

Psychiatre, psychanalyste, spécialiste de Tintin et des secrets de famille et auteur de plus d’une trentaine d’ouvrages, Serge Tisseron révèle, dans « Mort de honte » (2), un secret de famille qui le concerne. Il évoque dans ce récit autobiographique la honte de ses origines sociales, de la faillite financière, d’une maladie vécue comme stigmatisante, et aussi que sa mère l’a utilisé comme objet sexuel. « Si je me sens fondé à évoquer cet événement comme une hypothèse plausible, c’est que je n’ai jamais cessé, tout au long de ma vie, de le dessiner. » Preuves à l’appui.

Bruno Veyrès exerce à Nice, « Tout ce que nous n’avons pas fait » (3) est son premier roman. Il se situe dans une petite ville des Rocheuses où il a séjourné un an durant ses études, dans les années 1970 ; il était hébergé dans une famille dont le fils est mort au Vietnam. En s’imprégnant de tous les objets de son quotidien laissés intacts, il a tissé les fils d’une histoire possible, non de la guerre, mais « de garçons qui se sont laissés prendre leur vie (… ), de tout ce que nous n’avons pas fait, de l’impossible rédemption pour ceux qui les ont laissés partir et de notre médiocrité face à des vies indépassables, inégalables ».

Destins

Anna Enquist est une femme aux multiples talents. Poète et romancière après avoir mené une double carrière de pianiste et de psychothérapeute en milieu hospitalier, elle donne une suite plus intimiste à son grandiose « Quatuor ». Dans « Car la nuit s’approche » (4), elle s’intéresse au destin de Caroline, la violoncelliste et médecin généraliste. Après la mort de ses enfants, elle part en Chine et fait la connaissance d’un pédiatre américain qui enquête sur les conditions de vie dans les orphelinats. Elle doit faire des choix en matière d’amour, de lieu de vie, de pratique musicale, mais aussi de façon d’exercer la médecine.

Prix suisse de littérature 2017, « Révolution aux confins » (5) est le premier roman traduit en français d’Annette Hug. Il nous reporte en 1886, lorsque José Rizal, futur héros de l'indépendance des Philippines, alors colonie espagnole, est en Allemagne pour parfaire sa formation d'ophtalmologue. En marge de ses études il traduit dans sa langue maternelle, le tagalog, le « Guillaume Tell » de Schiller, que le poète disait avoir écrit en réponse à la Révolution française. Histoire politique et poétique du monde, où les époques et les cultures se mêlent sans jamais se confondre, le roman suggère comment les livres, quand ils circulent, peuvent nourrir des mouvements révolutionnaires.

Témoignages

En 2002, Stéphanie Fugain a passé 11 mois à l’hôpital Saint-Louis, à Paris, auprès de sa fille atteinte de leucémie. Elle a fondé l’association Laurette Fugain et publié, dix ans après la mort de cette dernière, « Tu n’avais peur de rien », pour témoigner de ses jeunes années et de son courage. Aujourd’hui, à travers quatorze témoignages de médecins et de soignants, elle tente de dire qui sont réellement les femmes et les hommes « Derrière la blouse blanche » (6). Un livre d'entretiens pour donner à mieux comprendre leur attitude, leur ressenti et la pression qui pèse sur eux dans l’exercice de leur profession.

Que faire quand on souffre de douleurs chroniques, une douleur que les médecins ont qualifiée d’incurable mais que l’on veut à tout prix surmonter ? La Britannique Julia Buckley s'est lancée dans l’exploration de tous les domaines des sciences, de la psychologie et de la spiritualité, et, partie à la rencontre des savants, psychiatres, sorciers ou guérisseurs… qui interviennent en marge de la médecine conventionnelle et traditionnelle, a essayé une trentaine de traitements alternatifs à travers les cinq continents. « Va, vis, guéris » (7) témoigne de son combat au long cours, qui est d’abord, dit-elle, celui à mener pour conserver une image positive de soi face aux soignants !

(1) Grasset, 238 p., 18 €

(2) Albin Michel, 217 p., 17 €

(3) Toucan, 345 p., 17,90 €

(4) Actes Sud, 284 p., 22 €

(5) Zoé, 203 p., 19 €

(6) Flammarion, 299 p., 19 €

(7) JC Lattès, 472p., 21,90 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin