Figures d'un merveilleux malheur

Des héros, l'étoffe et la doublure

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Publié le 02/05/2016
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Idées-Cyrulnik

Idées-Cyrulnik

Ces héros furent pour le petit Boris des personnages d'orphelin, comme le Rémi de « Sans famille », Oliver Twist, Cosette ou les intrépides Zorro et Tarzan. Très souvent, ils ont eux-mêmes souffert d'un manque ou viennent panser les nôtres. Boris Cyrulnik détermine ainsi avec précision leur rôle et leur image : « Le héros est un remède contre la faiblesse naturelle des enfants, la blessure relationnelle des adultes ou l'humiliation historique d'une nation. »

Le héros figure en nous sous la forme d'une douce revanche, il intervient parfois comme un modeste personnage qui joue un rôle immense. « Toutes les cultures ont besoin de héros puisqu'il n'y a pas d'Histoire sans tragédies. » Hélas, toutes les cultures ont besoin d'un « autre » auquel imputer leur malaise. Ce peut être un fou, un nègre dont la peau tranche avec un ensemble blanc, un juif que l'on marquera d'un signe, chapeau jaune au Moyen Âge et plus tard étoile.

A fortiori, lorsque le héros se la jouait humble, une fois au pouvoir il confisque brutalement les libertés, l'identification qu'il avait suscitée devient une machine à écraser. C'est alors que les persécutés peuvent être sauvés par un modeste, qui considère, comme autrefois un protestant du Chambon-sur-Lignon, qu'« on ne fait pas ça aux gens ». Ces héros simples étaient des « Justes » et la vie très connue de Boris Cyrulnik vient affleurer au travers de beaucoup de ses analyses.

On voit ici le double rôle de l'homme providentiel : il surgit au moment d'une détresse personnelle ou collective, il vous révèle d'où venait le mal et vous donne le moyen d'y échapper, ou au contraire il instrumentalise ce mal, qui peut être l'humiliation causée par le Traité de Versailles, par exemple.

Les jeunes des « quartiers » se sont vus proposer une identification avec les auteurs des actes terroristes. Ils ont considéré que Mohamed Merah était un modèle, car « lui, on le craint ». Hélas, « eux qui se disent révolutionnaires ou bras armé de Dieu ne sont que des pantins déculturés » (interview de Boris Cyrulnik dans « L'OBS » du 14 avril). Quand les héros deviennent monstrueux, ils se transforment en planteurs de haine et en pourvoyeurs du pire.

C'était vrai dans l'Allemagne de 1933, ça l'est dans le cas des « gogos de l'Islam » ou, comme l'exprime l'auteur, « quand les États défaillent, les sorcières apparaissent ».

Odile Jacob, 230 p., 22,90 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9493