La révolution numérique a créé des gestes nouveaux, le mouvement de l'index pour faire défiler des documents, le pincement de deux doigts pour zoomer. Un léger lamarckisme irait jusqu'à dire que ces modifications peuvent s'inscrire dans l'hérédité. Les médecins affirment constater une recrudescence de problèmes de mains liés à l'ordinateur et au téléphone portable.
Prenant du recul, Dorian Leader pointe l'importance qu'il y a à occuper les mains, comme s'il y avait un risque, voire une faute, à avoir les mains libres. De fait, l'espèce humaine n'a eu de cesse de saisir, gratter, tricoter, tordre, comme s'il était important de se rendre maître de ces organes.
La fiction, à rebours, a cultivé le thème de mains devenues folles, nous échappant pour commettre des crimes, comme dans « les Mains d'Orlac », film autrichien de 1924. Dans « Dr Folamour », de Stanley Kubrick, l'ex-nazi incarné par Peter Sellers doit empêcher ses mains de faire jaillir le salut hitlérien. Maligne, la main sait aussi se faire « invisible » dans les lois du marché.
Bonnes manières
L'auteur est psychanalyste, nous l'avons dit, et il vient de façon fort intéressante sur le terrain de l'enfant, et même du bébé. Il décrit la manière dont la main de ce dernier prend le relais de la bouche et explore les objets tout en les scrutant. La conjonction du pouce et de l'index lui permettra, à partir de 6 mois, de pincer, pousser, enfoncer, et il connaîtra les joies de manger avec les doigts.
Puisque nous évoquons les bonnes et mauvaises manières, on saura gré à l'auteur d'évoquer le travail du sociologue Norbert Elias, qui a décrit l'influence sur le corps des pratiques de la société de cour de la Renaissance. Cette dernière a accouché de « manuels de courtoisie » dans lesquels on met en garde contre la morve et la salive, témoignages d'une époque où on mangeait avec les mains, se servait dans les mêmes assiettes et se léchait les doigts, où l'on pétait et se grattait sans vergogne. À partir du XVIe siècle, on met au point des codes symboliques pour contenir ces débordements.
Nous rappelions plus haut qu'il fallait toujours occuper ses mains, comme si on soupçonnait tout état d'inaction d'abriter un vice caché, comprenez bien sûr la masturbation, objet dans les siècles passés d'interdictions horrifiées. On connaît par ailleurs l'histoire racontée par Freud de « l'enfant à la bobine », qui conjure l'angoisse et la satisfaction causées par l'absence de sa mère en la faisant disparaître et réapparaître sous la forme d'une bobine attachée à un fil.
Cet érotisme fondamentalement lié aux mains fut naguère superbement évoqué par le très oublié Gilbert Bécaud : « Mes mains/Dessinent dans le soir/La forme d'un espoir/Qui ressemble à ton corps. »
« Mains - Ce que nous faisons d'elles et pourquoi », Albin Michel, 234 p., 19 €
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