Au théâtre, Proust et Claudel

Du côté de la grande littérature

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Publié le 22/11/2018
THÉÂTRE-UN instant

THÉÂTRE-UN instant
Crédit photo : PASCAL VICTOR/ARCOMPRESS

Théâtre-L'Échange

Théâtre-L'Échange
Crédit photo : MICHEL CAVALCA

Dans un espace étrange imaginé par le metteur en scène lui-même, qui signe aussi les lumières, c’est à une fascinante plongée dans l’univers de Marcel Proust que nous invite Jean Bellorini, qui a également mis au point cette « adaptation » avec les deux comédiens qui l’incarnent, Hélène Patarot et Camille de La Guillonnière. Ce dernier est essentiel dans le travail de Jean Bellorini, directeur du Centre dramatique national de Saint-Denis, le théâtre Gérard-Philipe. Ensemble, ils ont notamment donné de magnifiques spectacles, « Tempête sous un crâne » d’après Hugo, « Paroles gelées » d’après Rabelais.

Voici donc « Un instant » (1). Ici, on tourne le dos aux habitudes des adaptateurs de Proust qui, s’ils veulent bien se souvenir du narrateur, aiment se tourner vers les évocations brillantes de la mondanité. Avec son amoncellement de chaises, le décor évoque une église. C’est dans l’ensemble de « la Recherche » qu’en lecteurs attentifs les artisans de ce beau spectacle ont puisé. Depuis « Du côté de chez Swann » jusqu’au « Temps retrouvé ».

Deux interprètes seulement, donc : le narrateur, Camille de La Guillonnière, toujours aussi fin et sensible, et sa grand-mère, Hélène Patarot. Cette comédienne délicate est ici avec son histoire : elle a quitté l’Indochine en 1954, après Diên Biên Phu… Le passé est également celui du XXe siècle. La force de cette proposition est qu’au-delà des faits qui ne concernent que deux personnages, chacun reconnaît des expériences personnelles.

Haute langue

Tout peut paraître plus simple avec « l’Échange » (2). Un chef-d’œuvre, une pièce composée par un Paul Claudel encore très jeune en 1894. Il reprendra son œuvre en 1951, mais ici, nous sommes devant la première version, créée en 1914 par Jacques Copeau et son ami Charles Dullin. Christian Schiaretti, directeur du Théâtre national populaire à Villeurbanne, opte pour un espace complètement dégagé, n’était un pauvre tabouret de bois, un effet à l’ouverture et à la fin une apparition fantomatique.

Rappelons-le, cela se passe aux États-Unis : Claudel est vice-consul à New York puis Boston lorsqu’il écrit « l’Échange ». La passion de l’argent, du jeu, la méfiance face à l’autre, le métis indien, la quête d’un sens, l’audace sensuelle, sexuelle, jusqu’au feu qui détruit, on se dit que les thèmes n’ont rien perdu de leur actualité…

Pour transmettre cette langue si particulière, quatre comédiens puissants, deux couples. D’un côté, deux grands cyniques américains au pouvoir : l’extraordinaire Francine Bergé dans le rôle de Lechy Elbernon, comédienne de théâtre, narcissique et méchante, et un Robin Renucci formidable dans le rôle de Thomas Pollock Nageoire, l’homme d’affaires passionné par la perte aussi bien que par la réussite. Face à eux, Louis Laine, qui a du sang indien et leur sert de gardien. Marc Zinga, comédien que l’on a souvent applaudi, dans Aimé Césaire notamment, est ce jeune homme torturé qui a ramené de France sa femme, Marthe. Une révélation que Louise Chevillotte, magnifique. Évidemment, il faut aimer la haute langue…

 

(1) Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, jusqu’au 9 décembre. Durée 1 h45. Tél. 01.48.13.70.00, www.theatregerardphilipe.com

(2) Théâtre les Gémeaux-Sceaux, jusqu’au 1er décembre.  Durée 2 heures. Tél. 01.46.61.36.67, www.lesgemeaux.com. Puis au TNP-Villeurbanne, du 6 au 23 décembre, tél. 04.78.03.30.00, www.tnp-villeurbanne.com

 

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du médecin: 9704