1995... UNE DATE pour indiquer que le « spécialiste de la mort » n’est plus là pour nourrir ce qui tient un peu de la hantise métaphysique, un peu de la fixation amoureuse. Cette disparition maintenant mise en perspective, demandons à l’auteur de présenter son livre. « C’est un essai sur Cioran. C’est un voyage dans Cioran. C’est un pied de nez à Cioran... C’est un exorcisme qui a loupé. Il me hante encore plus qu’avant... J’espérais en l’affrontant en face, le rendre inoffensif, le vider de son pouvoir corrosif. Or non. C’est pire. »
De fait, nombreux sont ceux qui, il y a quelques années, découvrirent l’abîme de néant révélé par le penseur roumain, trop roumain. Des titres qui ne font pas forcément bondir de joie. En 1934, il est « Sur les cimes du désespoir ». Il nous mettra, grâce à un lucide « Précis de décomposition », en garde contre l’effarante « Tentation d’exister ». Non sans passer par un flirt plus que coupable avec les mouvements fascisto-nazifiés de son pays et l’antisémitisme qui va avec. Un épisode qui montre que l’amertume absolue accepte sans broncher de très relatifs engagements.
Élisa Brune l’affirme, elle n’a aucun lien de parenté avec LUI, ne fut même pas une étudiante fascinée, ne l’a jamais rencontré. « Tout par ouï-dire ? Même pas, par lu-écrire. » Une lettre écrite un soir, peut-être le prophète de la souffrance la sortira-t-elle de la sienne ?
L’inutilité de la conscience.
Mais à la lire, pas vraiment. Une petite lampe s’est allumée en elle, elle donne une petite lumière qui maintient éveillée l’inutilité de la conscience, l’impossibilité de vivre. Elle lui suggère à l’infini des aphorismes cioranesques, du genre : « Le destin de l’homme est comme un œuf : évasé à la base, rétréci à la fin. »
Et puis, nous avons ce livre, très agréable à lire, dont on découvre qu’il ne court pas toujours vers le néant à tombeau ouvert. Elle finit par se calmer. « Écrire est une thérapie contre l’insupportable. » En collant trop à l’idole, on perd en humour, on risque, dit-elle, d’oublier l’amour et la musique. On dirait d’ailleurs que, livre écrivant, ses yeux se décillent : « Il n’est pas le meilleur adepte de sa propre pensée. Il aurait fallu qu’il trouve indigne d’écrire. »
Il aurait fallu qu’il ne fasse pas un étendard de sa détresse ou qu’il ait le courage de son ami Benjamin Fondane, qui n’a pu survivre longtemps à Auschwitz et s’est jeté dans la Seine.
La distance que prend souvent le livre par rapport à l’emprise subie n’empêche pas que, comme dernière pirouette, reste une légère infection. Élisa Brune a voulu « embrasser le serpent sur la langue », comme dit la légende indienne. Le pire n’est pas que Cioran ne se soit pas suicidé, c’est qu’il est mort gâteux.
Élisa Brune, « la Mort dans l’âme- Tango avec Cioran », Odile Jacob, 213 p., 21,90 euros.
DJ et médecin, Vincent Attalin a électrisé le passage de la flamme olympique à Montpellier
Spécial Vacances d’été
À bicyclette, en avant toute
Traditions carabines et crise de l’hôpital : une jeune radiologue se raconte dans un récit illustré
Une chirurgienne aux nombreux secrets victime d’un « homejacking » dans une mini-série