AVANT même de savoir ce qu’est un expert, il est intéressant de se demander d’où ils tiennent leur nécessité et, habilement, notre auteur s’est mis dans leur tête. En 2007, le Congrès adopta une motion simplifiée du traité établissant une constitution pour l’Europe, infirmant un premier vote populaire. Tout est là, « le peuple ne sait pas tout, il n’a pas conscience de la complexité des enjeux qui lui sont soumis, il ne maîtrise pas les dossiers. Il a tendance à voter avec ses tripes plus qu’avec sa tête, etc. »
On comprend mieux à partir de là pourquoi il faut des experts. Ces derniers ont des dossiers qui sont pleins d’expérience et de savoir, deux atouts qui permettent d’avoir la tête au-dessus des petits intérêts égoïstes. Philosophes-rois, les experts voient mieux et plus loin. Ils rêvent d’une démocratie sans peuple, comme certains profs d’une école sans élèves. De ce cas, se dresse en exemple absolu, en « idéal-type », aurait dit Max Weber, Jacques Attali, auquel sont consacrées plusieurs pages assez réjouissantes. Le personnage, présenté comme « très infatué », « courant les médias », est férocement brocardé pour ses 314 « décisions fondamentales », même si on pourrait rétorquer à Mathias Roux qu’un expert cherchant à concrétiser ses vues vaut largement celui qui se borne à constituer ces fameux dossiers.
De quoi l’expert est-il le nom, demande malicieusement notre professeur ? Ce n’est pas toujours facile de le savoir, car beaucoup interviennent en dehors de leur domaine spécifique. Ainsi le neurologue Boris Cyrulnik participe aux travaux de « la libération de la croissance française ». On notera à l’intention de l’auteur que les philosophes, de par l’universalité de leur matière (« la science des sciences ! ») viennent régulièrement sur les plateaux de télévision donner leur avis sur l’air du temps. Les deux se ressemblent : le philosophe étudie particulièrement l’Universel et l’expert est spécialiste... en expertise.
Plus profondément, le livre voit dans le surgissement triomphal des experts une sorte de dévoiement de la Politique.
C’est ici qu’un ressourcement nous est demandé. L’homme est un animal politique, un zoon politikon, dit Aristote, il réalise son essence dans la cité, il y trouve harmonie et justice et la réalisation de ses fins. Animal politique et non animal social, terme qui désigne un équilibre entre le juridique, l’administratif, l’économique, etc. C’est précisément là qu’interviennent les experts, c’est fou ce qu’ils sont à l’aise dans le fatras des lois et des règlements. L’expert est l’homme de la division des problèmes, il complique tout, ce qui amène la création de contre-expertises à l’infini, il barbote à l’aise dans le juridique.
La politique, réaffirme Mathias Roux, « ne saurait se réduire à effectuer des choix entre différentes techniques administratives ». Elle a son chez soi, la cité, et doit projeter ses fins, deux visions étrangères à l’expertise, qui est chose liée aux moyens. La politique est l’art de la communauté, là où l’expertise cherche à organiser le vivre ensemble.
En définitive, on se demande si, en combattant la technocratie des moyens, l’auteur ne nous enferme pas dans un holisme un peu étouffant des fins. Nous ne vivons plus dans la simple cité grecque mais dans des sociétés où s’enchevêtrent tous les domaines, et qui sont donc complexes, dirait l’expert en complexité Edgar Morin.
Mathias Roux, « J’ai demandé un rapport », Flammarion, collection « Antidote », 117 p., 8 euros.
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